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Saint-Céré, Glyndebourne-sur-Lot


Faut-il croire à l’effet du retour en masse des Anglais, ces dernières années, sur les terres du Sud-Ouest dont la Guerre de cent ans les avait chassés ? Toujours est-il que le Festival de Saint-Céré n’a plus rien à envier à celui de Glyndebourne, au sud de Londres, du moins pour la qualité de ses pique-niques ! Car nombreux sont les touristes sujets de Sa Majesté à fréquenter la principale manifestation lyrique du Lot munis de la fameuse panière de pique-nique made in England pour se mêler aux spectateurs continentaux.

Les deux principaux lieux de plein air du Festival de Saint-Céré possèdent, en effet, des espaces particulièrement propices au pique-nique : l’imposante citadelle rouge feu de Castelnau-Bretenoux offre au pied de ses remparts crénelés une vaste terrasse dominant la vallée de la Dordogne et le bijou Renaissance de Montal un havre de verdure intime à souhait. A noter que les organisateurs du festival ont à cœur d’ancrer plateaux-repas et sacs de gourmandises dans le riche terroir local, le foie gras aux figues et le cabécou voisinant avec la rasade de cahors : on ne rappellera jamais assez que Bacchus est à la fois le dieu du vin et de la musique.

La principale nouveauté du cru 2007 à Saint-Céré est La Traviata de Verdi mise en scène par le maître des lieux Olivier Desbordes et dont Dominique Trottein dirige une orchestration réduite de Philippe Capdenat. Laissons aux puristes coincés la joie d’en exprimer des regrets en feignant d’ignorer les règles du jeu de l’entreprise qui consiste, d’une part, à former et à mettre le pied à l’étrier à de jeunes professionnels et, d’autre part, à présenter des spectacles suffisamment légers pour partir en tournée dans une quinzaine de villes de l’Hexagone durant la saison hivernale d’Opéra éclaté (1). Ce qui ne nous empêchera pas de conseiller à la poignée de jeunes violonistes de ne pas tremper leur archet dans le vinaigre, le froid de la nuit et l’hygrométrie n’autorisant pas tous les dérapages…

On imagine mal dans la forteresse médiévale les décors archi-lourds, très Allemagne de l’Est, conçus pour la dernière Traviata du Palais Garnier. Ils y seraient aussi déplacés qu’immédiatement écrasés par la beauté de ces magnifiques lieux de plein air dont le public entend bien profiter : quelques fauteuils, une bouteille de champagne, un parterre de roses géantes pour figurer la serre du 2ème acte, un matelas enfin pour accueillir l’agonie de Violetta au dernier tableau. Quant à la direction d’acteurs, elle se doit de viser l’efficacité et la lisibilité de l’histoire, aucun surtitre ne devant défigurer la pierre centenaire. Olivier Desbordes a la sagesse de jouer la pédagogie et la clarté sans prise de tête.

Il sait que la jeunesse des interprètes constitue son atout majeur. Et ici Violetta, la soprano française Isabelle Philippe, et Alfredo, le ténor italien Andrea Giovannini , ont l’âge de leur rôle. Ajoutez que les voix sont belles, fraîches et agiles. Si la jeune dame aux camélias joue l’intériorité, son amoureux affiche toutes les caractéristiques du Méditerranéen extraverti, plastronnant de toute sa voix comme s’il était à l’Opéra Bastille ou aux arènes de Vérone ! Ca lui passera. Quant au père Germont incarné par Armand Arapian, il a décidément pris un coup de vieux comme José van Dam à Paris. Mais l’ensemble de la troupe est homogène dans son jeu comme dans son chant. Le chef a la rigueur qui lui permet de maintenir l’attelage en équilibre.

Si la tragédie se consomme dans l’enceinte rougeoyante du château de Castelnau, l’humour joliment décalé par Michel Fau du Bastien et Bastienne de Mozart se niche sans heurt dans le calcaire blanc de la cour Renaissance de Montal : un castelet, un rideau, deux fauteuils, une fontaine, trois moutons, une corde pour se pendre comme Papageno, et les arbres du jardin font le reste. C’est charmant et drôle, plein de réminiscences. En moins d’une heure et demie, la bergerie s’endort, tandis que le public gagne l’aire de pique-nique. Pas de doute, cette pièce d’un Mozart de 12 ans gagne à être chantée par des adultes : ici, le trio Bastien, Bastienne et le magicien Colas – Blandine Arnould, Raphaël Brémard et Jean-Claude Sarragosse, décidément prêt pour la grande carrière - quittent soudain leur statut de marionnettes pour accéder aux cœurs déchirés dont Wolfgang sait comme personne déchiffrer les intermittences. Trois petites notes, et voilà la mélancolie de la Comtesse des Noces de Figaro ; quant au faux suicide par pendaison de Bastien, il anticipe de façon incroyable celui de l’oiseleur de La Flûte enchantée. Conclusion : il n’y a pas de Mozart enfant !

Jacques Doucelin

La Traviata : Le 31 juillet 2007, puis les 10, 13 et 16 août, à 21h30, Château de Castelnau.

Bastien et Bastienne : Le 1er Août 2007, puis les 11 et 17 août, 20 h, Château de Montal ; 8 août, cloître de Souillac et 14 août, Cahors, 21 h.

Réservations : 05 65 38 29 08

Email : festival.saint-cere@wanadoo.fr

(1) Tournée nationale d’Opéra éclaté :

La Traviata : Cahors (8 janvier 2008), Carcassonne (9 janvier), Rodez (10), Odyssud à Blagnac (11 et 12), Dreux (17), Issoudun (19), Meaux (20), Gagny (26), Gap (31 janvier), Alès (1er et 2 février), Saint-Louis (5 février), Brest (8 et 9), Millau (13), Clermont-Ferrand (14) et Plaisir (15 février).

Bastien Bastienne : Toulouse (23 et 24 novembre 2007), Decazeville (25 novembre).

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Photo : DR

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