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Salomé Gasselin et Emmanuel Arakélian en concert au Festival de La Roque d’Anthéron 2023 – Solaire ! – Compte-rendu

 

 À Concertclassic, nous avions beaucoup apprécié le premier enregistrement de la violiste Salomé Gasselin, Récit (1), paru cet hiver. En duo avec Emmanuel Arakélian ou Justin Taylor, en consort de violes avec Mathias Ferré, Andréas Linos et Corinna Metz, elle y « démêlait le fil des voix » dans la musique baroque française pour clavier. On renvoie, pour le détail de ce débusquement de la viole sur le territoire de l’orgue, au livret qu’elle a elle-même rédigé d’une plume aussi nette que son archet est poétique. Et l’on se rend donc au concert que donnaient les deux jeunes trentenaires dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, lequel ouvre le cloître de Silvacane à la musique pour claviers anciens (2) – et ses extensions.
 

© Valentine Chauvin

Ils sont venus en voisins. Emmanuel Arakélian est titulaire des orgues de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume dans le Var, il enseigne l’instrument au conservatoire Pierre-Barbizet de Marseille, où Salomé Gasselin a ouvert il y a deux ans la classe de viole de gambe. Sur scène, leur complicité d’écoute et d’attention rappelle celle des musiciens de jazz quand ils improvisent ensemble, un regard, un sourire, un acquiescement : les musiques du Grand Siècle et des Lumières seraient-elles moins corsetées qu’on le croit ?
 
Aux morceaux choisis de leur Récit – pièces de Marin Marais, Jacques Boyvin, Pierre du Mage, Louis Marchand dont on raconte qu’il déclara forfait au « tournoi de Dresde » contre Jean-Sébastien Bach, Jean-Adam Guilain qui pourrait avoir été le prête-nom de Marchand, exilé de la cour pour son caractère acerbe –, ils associent François Couperin et, justement, Jean-Sébastien Bach, avec deux œuvres : en final, la Sonate pour viole de gambe et clavecin n° 3 ; au cœur du programme, l’adaptation pour viole de la Suite n° 2 pour violoncelle seul.
 

© Emmanuel Arakélian
 
À la sortie du disque, sans doute influencés par leur programmation à la Folle Journée de Nantes estampillée « Ode à la nuit », nous l’avions écouté comme un nocturne de velours, un récit des ténèbres. Ici, peut-être parce que le bleu du ciel et la peau de lumière sur la pierre, on comprend qu’il y a du satin dans cette musique, des reflets de moire, des frissons harmoniques. La danse et le chant avancent de concert, et c’est dans l’articulation impalpable des ornements, comme un duvet de silence, que battait en cette fin de journée le pouls d’une musique vivante : les siècles ont passé, pas leurs couleurs. Il y a, dans le langage corporel de Salomé Gasselin, quelque chose de l’extase baroque et de l’angelot musicien, qu’elle cherche une respiration sous la voûte de pierre ou qu’elle éprouve la fragilité d’une résonnance. On se dit – comme on ne dit plus – qu’elle a du chien. Et du cran aussi, pour promener une viole de quatre cents ans en plein air – parce que, paradoxalement, un cloître est un plein air, demandez donc aux cisterciens qui s’y souvenaient du jardin d’Eden ! – et batailler avec l’accord des sept cordes en boyau susceptible. Et plus encore, une sacrée dose de patience pour supporter, imperturbable, les sonneries répétées d’un portable au deuxième rang – décidément, l’âge et l’éducation ne font rien à l’affaire, le respect se perd dans les sacs à main de nos grand-mères …
 
Plutôt que de rabâcher paresseusement tout ce qui a été dit sur et par Salomé Gasselin depuis six mois – elle a bonne et nombreuse presse que vous pouvez aisément lire et écouter en ligne – on se promet d’inviter à la prochaine occasion Concertclassic à la soumettre à la question, afin qu’elle nous en dise plus sur sa relation sensuelle et mystique à son instrument, sur ses curiosités scientifiques, son goût pour les saveurs de caractère. On pensait connaître tous les matins du monde grâce à Jordi Savall, on sait désormais qu’il faudra suivre la course du soleil en compagnie de Salomé Gasselin.

 
Didier Lamare

 
(1) Récit, 1 CD Mirare 2023, livret de Salomé Gasselin
www.mirare.fr/albums/recit/
 
(2) Du 24 juillet au 10 août au cloître de l’abbaye de Silvacane se sont succédé et se succéderont, entre autres, Jean Rondeau, Le Consort et Justin Taylor, les frères Marc, Jérôme et Pierre Hantaï, Skip Sempé (2 août), le Ricercar Consort et Philippe Pierlot (10 août).
 
Festival international de piano de la Roque d’Anthéron,  cloître de l’abbaye de Silvacane, 27 juillet 2023
www.festival-piano.com/

Photo © Valentine Chauvin

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