Journal

Sélim Mazari au Festival Chopin de l’Orangerie de Bagatelle 2022 – Évidence – Compte-rendu

 

 
La curiosité du Festival Chopin envers les jeunes pianistes n’est plus à dire et c’est avec l’Espagnol Martin García García, 3Prix du dernier Concours de Varsovie, que s’est ouverte le 18 juin une édition 2022 qui confirme en bien des occasions par la suite son ouverture à la nouvelle génération (avec la présence entres autres de plusieurs artistes polonais dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut National Frédéric Chopin de Varsovie).
Sous un radieux soleil dominical, le public a répondu en nombre à l’appel pour le récital d’un jeune interprète, français celui-là : Sélim Mazari. Un admirable premier disque construit autour des Variations Eroica de Beethoven (Mirare) a fait connaître à un large public le talent de l’ancien élève de Brigitte Engerer et a souligné sa relation privilégiée avec la musique de Beethoven (compositeur qui tient lieu de fil rouge du Festival Chopin 2022).
 
C’est par elle que s’ouvre le récital, avec la Sonate n° 31. L’évidence s’impose dès les premières notes : Mazari est chez lui ; il s’engage dans l’une des réalisations les plus personnelles du musicien allemand avec une intensité du propos et une concentration du geste dont pas un seul instant il ne se départira. On a eu l’occasion de l’écouter dans l’Opus 110 il y a quelques années ; il s’y montrait déjà remarquablement maître de la complexe structure de l’ouvrage. Avec le temps écoulé, et les conseils des aînés auprès desquels il a travaillé, il a mûri sur ce plan mais, plus encore, dans la relation entre forme et expression. Il n’est pas souvent donné dans l’Opus 110 de percevoir  –  d’aussi palpable façon a-t-on envie d’écrire, face à une sonorité aussi signifiante, une respiration, des affects aussi justes — le processus de transmutation du sentiment à l’œuvre dans les deux fugues et qui abouti à la jubilatoire coda. Magistral !
 
Quel meilleur moyen pour aller retrouver Chopin en fin de récital que de s’offrir une transition via Debussy – qui doit tant à la leçon de liberté du Polonais. Mazari à retenu la 2série d’Images, un cahier qu’il aborde en refusant le flou, le brumeux, ce que l’on comprend dès Cloches à travers feuilles, pièce qui ne perd rien de sa poésie traitée avec des couleurs aussi pleines et un étagement aussi net des plans sonores. On ne cède pas moins à l’hypnotique mystère de la lune, avant des Poissons d’or où la densité de la sonorité ne s’oppose jamais à la souplesse et à la mobilité des lignes.
 
Chopin pour conclure donc. Nulle emphase dans l’attaque de la Fantaisie en fa mineur op. 49, mais une accroche qui happe l’oreille et embarque l’auditeur dans une interprétation aussi virile que narrative. L’esprit de la fantaisie est totalement là ; on pardonne aisément un petit défaut de mémoire tant il convient de saluer le souffle et la large palette sonore avec lesquels Mazari explore la partition. On n’est pas moins séduit par la joueuse luminosité qu’il met ensuite dans le Scherzo n° 4, avec en son cœur un trio vécu avec une noblesse et une ferveur merveilleuses. Evidence, encore une fois ...
 
Aux anges, le public réagit avec enthousiasme, largement récompensé puisque le pianiste offrira en bis les trois Novelettes de Poulenc, pleines de caractère, entrecoupées de la Toccata du Tombeau de Couperin. Les affinités de Sélim Mazari avec l’univers ravélien étaient connues, mais on l’entendait pour la première fois chez Poulenc. Puisse-t-il continuer l’exploration d’une musique bien sous-estimée et trop rare dans les programmes !
 
La fête du piano se poursuit à Bagatelle jusqu’au 14 juillet : après François Dumont (5/07), on retrouvera Caroline Sageman (6/07), Vardan Mamikonian (7/07), Jérémie Moreau et Julie Alcaraz (9/07), Gaspard Dehaene (10/07), Jean-Philippe Collard (11/07), François-Frédéric Guy (12/07) et Abdel Rahman El Bacha (14/07).
 
Alain Cochard

 

Paris, Parc de Bagatelle, 3 juillet 2022 / 37e Festival Chopin ; jusqu’au 14 juillet 2022 : www.frederic-chopin.com/pages/festival-chopin-a-paris/37e-festival-chopin
 
Photo © Caroline Doutre

Partager par emailImprimer

Derniers articles