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Semiramide de Rossini au Théâtre des Champs-Élysées - Juste et vrai - Compte-rendu

Semiramide appartient à la catégorie des opéras tragiques, ou seria, de Rossini ; nettement moins célébrée que celle de ses opéras légers, buffa ou semi-seria, bien que tout aussi florissante. Avec Tancredi, Semiramide n’en représente pas moins l’opera seria le plus souvent donné, avec parcimonie néanmoins. Cette demi-gloire est cependant due aux circonstances, presque à un malentendu : la compétition à laquelle se livrent les divas du gosier, notamment lors des duos qui confrontent les exploits des deux héroïnes, la soprano et la mezzo. Les volutes opposées de la Caballé et de la Horne ont ainsi marqué les annales lyriques…
 
Mais, et précisément, Semiramide vaut beaucoup mieux que ces jeux du cirque vocaux. Et ce, n’en déplaise à une partie bruyante du public de ce concert au Théâtre des Champs-Élysées : ponctuant les airs et interventions chantées d’un délire outré d’applaudissements répétitifs et lassants, de cris intempestifs d’une parfaite grossièreté… dans une mauvaise caricature du plus mauvais public italien. Il faudrait apprendre à ces quelques énergumènes que l’opéra ce n’est pas cela, et la musique encore moins !
 

Evelino Pidò © DR
 
Et justement, c’est ce que démontre cette version de concert, réunissant un plateau vocal des mieux adaptés, loin d’un vedettariat tapageur, sous une direction d’une efficacité sans effet déplacé. Puisque Evelino Pidò est à la baguette, expert hors pair de ce répertoire. Il a pourtant fort à faire, avec un orchestre, celui de l’Opéra de Lyon, démesuré, alignant bien plus que les cinquante instrumentistes requis par la partition. D’où certains manques d’équilibre en première partie, avec des passages brutaux de piano à des forte tonitruants, pareillement du côté du chœur trop fourni (toujours de l’Opéra de Lyon).
Pidò ne cesse de marquer de sa main gauche une tempérance, qui finalement portera pleinement ses fruits au second acte. Les détails ciselés, la balance sonore entre les instruments et les voix, tiennent alors de l’alchimie. Exploit d’autant plus remarquable au long des trois heures trente (malgré environ une demi-heure coupée – à quand une version intégrale ?) d’un opéra qui fourmille de mille nuances. Car, on l’a compris, Semiramide est avant tout un chef-d’œuvre de musique, qui, hormis quelques rares cadences napolitaines usées et chœurs martiaux, mêle inspiration mélodique débordante et raffinements subtilement enchevêtrés.

Ruxandra Donose © DR

 
Elena Moşuc (photo) et Ruxandra Donose se partagent donc les deux rôles enviés de la plus que sémillante Semiramide et du non moins redoutable Arsace. Avec une constance dans l’émission et une justesse stylistique, qui font passer sur de fugaces duretés chez la seconde et des ornements parfois arrachés chez la première, mais au sein d’une vocalité soumise à dure épreuve. Finalement pleinement acquittée. John Osborn leur ravit presque la vedette (à en croire le tonnerre déchaîné de bravos qu’il suscite), ténor belcantiste du moment, alliant sûreté et vaillance. Le vétéran Michele Pertusi ne déçoit pas sa réputation, conférant au traitre Assur une incarnation d’une sensibilité inattendue. Un beau moment, digne du propos d’un grand chef-d’œuvre.
 
Pierre-René Serna
 
Rossini : Semiramide (version de concert) - Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 23 novembre 2014.

Elena Moşuc © DR

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