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Skip Sempé, Capriccio Stravagante Renaissance Orchestra et Collegium Vocale Gent au 2ème Festival Terpsichore – Pour la gloire de Praetorius – Compte-rendu

Pour refermer, en l'église Saint-Louis-en-l'Île, la seconde édition de son festival Terpsichore (1), Skip Sempé et son Capriccio Stravagante Renaissance Orchestra ne pouvaient faire choix plus inspiré que les Danses de Terpsichore (1612) de Michael Praetorius (1571/72-1621), auxquelles répondait un florilège d'œuvres vocales. Somptueusement déployées, les deux parties du programme offraient en miroir une double symétrie : Capella I (pièces vocales) puis Sinfoniae Instrumentalia I (pièces instrumentales) ; Sinfoniae Instrumentalia II puis Capella II.
 

Benjamin Alard © Jean-Baptiste Millot
 
Touchant, en introduction à chaque partie, l'orgue Aubertin dont il est titulaire, Benjamin Alard fit tout d'abord entendre Allein Gott in der Höh sei Ehr, a 4 de Praetorius, monument qui n'appartient pas aux dix pièces spécifiées Pro organico constituant son œuvre d'orgue. Ou d'emblée se dessinait une constante de la Renaissance finissante et du premier baroque : la survivance du va-et-vient entre musique vocale et instrumentale, nombre de motets de Praetorius, par exemple, ayant été transcrits pour orgue dès son vivant, ainsi par Johann Woltz en 1617 (2), l'évidence des liens et affinités d'écriture et de moyens instrumentaux s'imposant à l'écoute de ce majestueux et sonore À Dieu seul, dans les cieux, la gloire. Un grand motet sur le même choral s'ensuivit, proclamant les fastes de l'instrumentation Renaissance, idéalement « prolongée » par l'intense et chaleureux Collegium Vocale Gent. Un souci de diversité des masses et des couleurs sous-tendant ce programme, deux pièces a cappella (dont une de Bach réaffirmant de manière sensible la dette du Cantor à l'égard des « maîtres anciens » : évolution, mais sans rupture) firent transition vers des motets aux teintes inlassablement renouvelées – l'apparat sous son jour le plus vif.
 
Le second volet fit alterner les affects les plus divers : élégie ou déploration dans une éloquente Lacrymae Pavan I de Dowland (une Lacrymae Pavan II ouvrait à l'orgue la seconde partie : Byrd, Farnaby et Morley, dans le Fitzwilliam Virginal Book, en ont proposé des versions pour clavier) et cette page envoûtante d'Anthony Holborne : The Funerals (impact saisissant des percussions), mais aussi pièces lyriques ou sublimant l'esprit et l'énergie pure de la danse. Une place de choix y fut faite à William Brade (1560-1630), avant l'irrésistible entrée en scène de Praetorius et de ses Danses de Terpsichore, qui de leur inventive vitalité illuminèrent plus encore le premier volet de la seconde partie : Passamezze et Gaillardes, Ballets des Baccanales, des Matelotz ou des Cocqs, musique euphorisante entre toutes. Outre la réécoute de ce concert sur les ondes de France Musique (3), on aura à cœur de connaître les gravures réalisées au fil du temps par Skip Sempé et ses musiciens (4).
 
Se démarquant de celui d'un Philipp Pickett dans sa gravure des Danses de Terpsichore (L'Oiseau-Lyre, 1985) – pour beaucoup synonyme de révélation –, inspirée de la centaine d'instruments recensés par Praetorius dans son Theatrum Instrumentorum seu Sciagraphia : un foisonnant kaléidoscope rehaussé de vielle à roue, cromornes, chalemies, courtauds, cervelas, sorduns, schryari et autres rauschpfeifen, l'orchestre de Skip Sempé parvient à la grandeur et à la diversité avant tout par l'excellence de ses multiples grandes familles, dont un sidérant quintuple pupitre de flûtes à bec, avec le prodigieux Julien Martin, mais aussi de violes, avec Josh Cheatham, tous rivalisant de musicalité avec les cornets et sacqueboutes conduits respectivement par Doron Sherwin et Simen van Mechelen : « Nous avons redécouvert cette sonorité extraordinaire de l'orchestre de la Renaissance […] Ce qui l'a rendue possible […] c'est la réunion d'un groupe de virtuoses exceptionnels qui jouent avec une totale liberté d'expression musicale et un abandon instrumental vivifiant […] » (Memorandum XXI). Les pages vocales refermant le programme, signées Ludovicus Senfl (1486-1542/43) et Praetorius (dont le joyeusement carillonnant Resonet in laudibus, a 7), élargirent cette approche au domaine vocal de façon superbement convaincante.
 
Michel Roubinet

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Paris, église Saint-Louis-en-l'Île, 30 novembre 2015
 
 
(1) www.concertclassic.com/article/festival-terpsichore-2015-lenvol
     www.concertclassic.com/article/virginalistes-trois-au-2eme-festival-terpsichore-kaleidoscope-elisabethain-compte-rendu
     www.concertclassic.com/article/lensemble-masques-au-festival-terpsichore-lumineux-compte-rendu
 
(2Cf. Jean-Charles Ablitzer à l'orgue admirablement conservé du château de Frederiksborg (Danemark), construit en 1610 par Esaias Compenius en collaboration avec Michael Praetorius (+ pages transcrites des Danses de Terpsichore)
ablitzer.pagesperso-orange.fr/discographie.html
 
(3) Le 16 février 2016 dans l'émission d'Édouard Fouré Caul-Futy Les mardis de la Musique ancienne, de 20 h à 22 h 30
 
(4) Cf. les CD 1 & 2 du riche coffret Memorandum XXI (Écrits et entretiens sur la musique et l'interprétation + 5 CD, Paradizo PA0012) et naturellement l'album intitulé Terpsichore (Paradizo PA0011)
www.skipsempe.com/skip-sempe/memorandum-xxi
store.harmoniamundi.com/terpsichore.html#desc
 
 
Sites Internet :
 
Festival Terpsichore – Livre-programme de l'édition 2015
terpsichore-festival.com
terpsichorefestival.files.wordpress.com/2014/07/terpsichore2015-programmefinal.pdf
 
Capriccio Stravagante
www.stravagante.com/capriccio-stravagante/
 
Collegium Vocale Gent
www.collegiumvocale.com/fr
 
 
Photo © Jean-Baptiste Millot

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