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Sunwook Kim en récital à Piano**** - L’invitation au rêve – Compte rendu

Avec Sunwook Kim, autant ne pas s’attendre à des déluges de notes, de décibels et d’exploits gymniques, comme il en est tant à ce jour: on n’ouvre pas le parapluie pour se protéger, mais on se laisse aller à une douce promenade dans un parc, comme avec un Watteau qui vous emmènerait au fond de son tableau, dans des vapeurs argentées. Car tel est l’univers dans lequel se meut cet étrange jeune homme, aux doigts de satin, qui dit  jouer pour lui plutôt que le public. Une personnalité qui ne craint pas les comparaisons dans la fabuleuse galerie de Piano ****, où André Furno a coutume d’accoler les plus grands noms.
 
Donc, accepter de se laisser prendre par la main, oublier que le jeune homme fut aussi une bête à concours – il faut dire que celui de Leeds (en 2006), notamment, où brillèrent Perahia et Lupu bien avant lui, n’est pas de ceux où l’on sanctifie la vélocité et le tape à l’oreille – et découvrir la musique autrement, tout en gardant quelques réserves indispensables : pour un excès de pédale, en tout premier, qui brouille quelque peu les différences de plans sonores, et pour un discours qui ne tient pas compte du tout des traditions, des styles reconnus.
Un panorama plus que varié a donc permis de pousser les portes de ces chambres poétiques que le jeune Coréen fréquente : et tout d’abord, un délicieux Dans les brumes, de Janáček, cycle de 1912, où le compositeur se laissait aller à une veine impressionniste toute de délicatesse, et que Sunwook joue comme s’il caressait les fleurs d’un jardin nocturne. Un incroyable toucher, qui comble la soif de douceur que le public peut ressentir.
Puis Beethoven et la Sonate n°23  «Appassionata », comme libérée des fureurs habituelles, venue des profondeurs et sachant douter, s’arrêter puis s’exalter en une belle progression, finement menée, et non axée sur la seule dynamique.
 
Enfin, plongée au cœur de Liszt, pour plusieurs de ses pièces maîtresses, extraites de la Deuxième Année de Pèlerinage-L’Italie, enchaînées de façon à constituer un vrai profil du compositeur. Subtil Sposalizio d’un compositeur fou de beauté classique, possédé par un idéal de transparence et de sérénité, Penseroso un rien trop étalé, où l’équilibre ténu entre  mélancolie et vide penchait trop vers le second volet, Canzonetta del Salvator Rosa, rieuse et légère, Sonnets de Pétrarque distillés comme des parfums, pour finir sur la grandiose Fantasia quasi Sonata, Après une lecture du Dante. Là un ton peut-être un peu trop recherché, des alanguissements Art nouveau qui introduisaient un rien de d’Annunzio dans le romantisme puissant de Liszt, et l’on se sentait transporté dans quelque salon Belle Epoque, que Proust aurait croqué.

En regrettant que le chant clair de la main droite soit à nouveau brouillé par les interrogations pressantes de la main gauche. Puis l’oiseau s’est envolé, en une vapeur de notes cristallines, et le pianiste a quitté son clavier comme on ferme un livre très chéri. Tendre et discret Sunwook Kim, dont on suit le jeu comme une invite au rêve.
 
Jacqueline Thuilleux

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Paris, Philharmonie 2, le 11 janvier 2017
  
Photo © www.sunwookkim.com

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