Journal

Sylvie Guillem fait ses adieux au Théâtre des Champs-Elysées - Baroud d’honneur - Compte-rendu

Quelques galas un peu partout, qui vont se clore au Japon en octobre (1). Et un unique programme doux-amer, Life In Progress, qui tranche avec le pathos des ballerines quittant la scène sous un déluge de fleurs : pour ses adieux, Guillem a abandonné le chausson dont elle fut reine, pour sortir de l’arène sur la plante des pieds. Tout un symbole. Elle n’a jamais triché : rien à cacher, ni du cœur ni du corps. Une liberté critiquée, assumée, glorieuse et semée d’embûches car ses choix ne furent pas toujours heureux. Du moins les a-t-elle assumés avec l’orgueil qui est le sien. Altière et généreuse, rebelle et disciplinée,
 
Née sous nos yeux dans un historique Lac des Cygnes à l’Opéra qui lui valut à 19 ans une nomination d’étoile unique dans les annales, quelques jours seulement après être devenue première danseuse, elle éblouit dans tous les grands rôles classiques que sa beauté, sa technique d’airain et un travail féroce lui firent dominer de haut. Mais, frontale, solaire, elle ne fut jamais une danseuse romantique, car elle ne se glissait jamais sous les masques lointains de ces incarnations éthérées. Elle était bien là, claquante, indépendante, comme cette Sissi que Béjart lui fit incarner et dont elle avait les exactes mensurations. Et aujourd’hui, elle s’en va en marchant, sans pointes ni tutu, mis de côté depuis longtemps, il est vrai, et sans tenter de donner l’illusion d’une fragile couronne que d’ailleurs elle n’a jamais perdue.
 

Bye ( chor. M. Ek) © Bill Cooper

Le programme qu’elle a composé pour ses adieux est porteur de plusieurs signes : il marie les signatures de chorégraphes auxquels elle s’est attachée, même si cela satisfait moins son public, notamment, pour Here and After, Russell Maliphant dont elle aime l’univers poétique. Le brillant Akram Khan, l’un de ses complices favoris, lui a bâti Technê, un solo tout en ondulations lancinantes, elle a mêlé à ce spectacle des amis, Brigel Gjoka et Riley Watts, pour Duo 2015, une pièce de Forsythe bien cadencée puisqu’elle figure les mouvements d’une pendule. Elle a partagé la scène avec son amie Emanuela Montanari, enfin elle a retrouvé le plus profond et le plus  incisif de tous, Mats Ek, celui qui même quand ses mouvements ne sont pas beaux a toujours la force du vrai : pour une pièce qu’il fit pour elle en 2011, Bye, sur laquelle se clôt évidemment le spectacle. Le tout dans une pénombre un peu triste, qui donnait l’impression d’adieux crépusculaires, même si le génie plastique les marquait toujours.
 
Mais en la voyant dans cette dernière pièce, sublime cinquantenaire dont pas une cellule ne porte la marque des ans, on a compris qu’elle voulait redevenir normale, elle en qui tout semblait anormalité, avec ses immenses jambes, ses cous-de pied inouïs, sa frimousse provocante. Astre pendant trente ans, elle a voulu s’éclipser. Suprême orgueil de vouloir à tout prix se remettre à l’aune des mesures des autres. Elle va s’occuper de plantes, d’animaux, de vieilles pierres. Il sera difficile de ne plus s’occuper d’elle. 
 
Jacqueline Thuilleux

(1) voir les dates sur www.sylvieguillem.com
 
Life in Progress, Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 17 septembre ; dernières représentations les 19 et 20 septembre 2015.  www.theatrechampselysees.fr
 
Photo (Technê, chor. A. Khan) © Bill Cooper

Partager par emailImprimer

Derniers articles