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Tannhäuser à l’Opéra national du Rhin - Eblouissante baguette - Compte-rendu

C’est à Strasbourg en 1855, dix ans après Dresde, que Tannhäuser fut créé en France. Ecartelée entre le grand opéra romantique et la musique de l’avenir, l’œuvre a été, pour Wagner, un chemin de croix le contraignant à modifier plusieurs fois sa partition sans en être d’ailleurs totalement satisfait. En 1882, un an avant sa mort, il prétendait encore devoir un Tannhäuser à la postérité, sans doute pour en réaliser la véritable synthèse qui ne vit jamais le jour.

Dans un décor très sombre de Boris Kudlicka, entre maison close, salle de spectacle et univers de fin du monde contemporain des années 1850, la mise en scène de Keith Warner ne s’attache guère à peaufiner la direction d’acteur. Un immense cône tubulaire monte et descend des cintres pour signaler chaque péripétie de l’action (du départ à Rome à la rédemption finale) prenant des couleurs variées au fur et à mesure des états d’âme du héros. De grands moments picturaux (la bacchanale de nymphes et de satyres du Venusberg) ne parviennent pas à susciter logique et unité de conception même si le théâtre n’est pas absent de cette représentation.

Le rôle de Tannhäuser nécessite un ténor en pleine possession de ses capacités. On souffre de la méforme de Scott MacAllister dont l’endurance et la vaillance ne peuvent masquer des difficultés à se mouvoir dans ce personnage psychologiquement tourmenté, en proie aux appels du corps et de l’esprit. Son chant détimbré, au registre médian instable dans les deux premiers actes, parvient miraculeusement à se hausser au niveau requis dans le Récit de Rome, dramatique et expressif parfois à la limite du cri. Moins à l’aise qu’à la Bastille mais toujours aussi sensuelle, Béatrice Uria-Monzon campe une Vénus d’une force de séduction irrésistible. L’Elisabeth de Barbara Haveman, déclamation ample et chant puissant, détient beaucoup d’atouts mais peine à incarner la virginité du personnage. Stylistiquement parfait, le Wolfram de Jochen Kupfer, trop contenu sur le plan de l’émotion (la Romance de l’étoile), paraît un peu vert et en retrait. Le solide Landgrave Hermann de Kristinn Sigmundsson, voix profonde mais aigus fatigués, fait preuve en revanche d’envergure et de présence. Les autres protagonistes tiennent bien leur rang de Minnesänger, et le Pâtre d’Odile Hinderer possède le charme et la fragilité qui conviennent.

Le véritable triomphateur de la soirée est incontestablement le jeune chef d’orchestre Constantin Trinks très apprécié outre-Rhin, ancien assistant de Christian Thielemann, nommé à Darmstadt en 2009 et futur invité à Bayreuth. Il tient l’orchestre à bout de bras, mobilise les énergies dans une version mixte alliant Dresde et Paris. Souple et fluide, il assure la cohésion de l’ensemble. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg n’est pas sans défauts (cordes parfois à la limite de l’implosion), mais sous l’impulsion de cette baguette experte réussit à tirer son épingle du jeu. Les chœurs préparés par Michel Capperon se montrent remarquables de densité et de couleur et contribuent à donner vie au plateau lors de leurs nombreuses interventions.

Michel Le Naour

Wagner : Tannhaüser - Strasbourg, Opéra national du Rhin, 30 mars, prochaines représentations à Strasbourg les 5 et 8 avril, à Mulhouse les 21 et 23 avril 2013.

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Photo : Alain Kaiser
 

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