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​Télémaque et Calypso de Destouches au Festival d’Ambronay – A la fin de l’envoi... Destouches – Compte-rendu

 
Ce n’est pas d’hier que le festival d’Ambronay contribue à révéler l’œuvre d’André Cardinal, dit Destouches (1672-1749). En 2007 déjà, Hervé Niquet dirigeait les élèves de l’Académie dans Le Carnaval et la folie ; plus récemment, en 2018, sa Sémiramis était à l’honneur, déjà avec l’ensemble Les Ombres, et cette année, Sylvain Sartre (photo) persiste et signe en ressuscitant Télémaque et Calypso (1714, remanié en 1730), inspiré très lointainement de l’Odyssée et surtout des Aventures de Télémaque de Fénelon, best-seller européen au début du XVIIIsiècle. Pour son livret, cependant, l’abbé Pellegrin part des données de base du roman mais s’en éloigne (comment il devait un peu plus tard s’éloigner de Racine dans Hippolyte et Aricie) pour oublier le message didactique et ne retenir que les situations propices au genre lyrique : comme chez Fénelon, Calypso s’éprend aussitôt de Télémaque, mais elle est aussi une magicienne comme Armide – elle invoque les démons, elle fait apparaître des jardins enchanteurs – et, comme Iphigénie en Tauride, elle est tenue de procéder à des sacrifices humains, en l’occurrence, de verser le sang d’Ulysse.
 

© Bertrand Pichène

Evidemment, pas d’opéra sans une dose d’amours contrariées : Télémaque, lui, ne s’éprend pas de Calypso mais d’Eucharis, alias Antiope, tandis que le malheureux Adraste soupire en vain après Calypso. A cet entrelacs sentimental se mêlent les divertissements attendus, et tout se termine sur une tempête engloutissant l’île d’Ogygie. Destouches avait donc de quoi montrer son savoir-faire dans cette partition à mi-chemin entre Lully et Rameau, avec quelques superbes monologues dramatiques pour les deux rivales et une orchestration touffue qui inclut de belles surprises.
 
Le prologue obligé, à la gloire de Louis, suscite néanmoins quelques craintes : Apollon (Adrien Fournaison) et Minerve (Marine Lafdal-Franc) ne sont pas très intelligibles – la soprano sera bien plus frappante au quatrième acte, en grande-prêtresse de l’amour – et les Chantres du CMBV semblent eux aussi pâtir de l’acoustique de l’abbatiale d’Ambronay. L’apparition d’Hasnaa Bennani en Amour éloquent commence à démentir cette impression, le chœur gagne en netteté et conviction, et tout change véritablement avec le premier acte.
 

 © Bertrand Pichène
 
La très affligée Eucharis offre à Emmanuelle de Negri une occasion idéale de briller dans le registre de la plainte autant que dans l’aveu pudique de son amour, d’une voix opulente et superbement projetée. Face à elle, l’impitoyable Calypso trouve en Isabelle Druet une interprète de choc, survoltée, incarnant son personnage avec une ardeur égale dans le chant et dans le jeu : la reine d’Ogygie fascine par l’expressivité de ses gestes et de ses mimiques autant que par le caractère impérieux de son chant. Il faut attendre le deuxième acte pour qu’apparaisse Télémaque, et l’on craint initialement qu’Antonin Rondepierre n’ait pas tout à fait l’envergure nécessaire ; s’il possède un timbre de haute-contre tout à fait adéquat, il manque d’abord un peu d’assurance dans son discours, mais la voix se chauffe bientôt et l’artiste s’affirme au fil de la soirée. Adraste est un personnage un peu sacrifié par le livret, et David Witczak doit se contenter de jouer les utilités, malgré sa participation au saisissant trio du premier acte et sa (brève) agonie à la fin du quatrième. Parmi toutes les figures secondaires qui gravitent autour de ce quatuor, il convient de mentionner David Tricou, aux interventions vigoureusement ciselées, et un des Chantres, Colin Isoir, qui se détache du chœur pour interpréter le rôle du grand-prêtre de Neptune, d’une jolie voix dont la déclamation pourrait toutefois être plus ferme.
 
© Bertrand Pichène
 
L’exécution de cet opéra est menée sans le moindre temps mort par Sylvain Sartre, et les Ombres rendent pleinement justice à l’inspiration de Destouches dans son écriture orchestrale, l’insubmersible Marie-Ange Petit soutenant les instruments avec son habituelle maîtrise des percussions. Outre la captation réalisée par France Télévision et par France Musique, on espère qu’un disque permettra d’apprécier plus à loisir cette belle résurrection.

Laurent Bury 
 

 
André Cardinal Destouches : Télémaque et Calypso - Abbatiale d’Ambronay, 29 septembre (concert capté pour Culturebox ; diffusion prévue sur France Musique le 21 octobre à 20h)

 
Photo © Bertrand Pichène

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