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Toulouse - Compte-rendu - Anna Caterina Antonacci se mesure à la Medea de Chérubini

Madeleine de Proust : lorsque vous découvrirez la cour de Créon, toute de noir vêtue, vous ne pourrez empêcher le souvenir de la suite de Cybèle de vous submerger. Les décors obsidienne et or de Kokkos, parmi ses plus simples et de ses plus efficaces, pourraient convenir à Atys.

Ils vont en tout cas comme un gant à la Médée chérubinienne. Au premier acte, l’arrivée des Argonautes, avec leur vaisseau en proue féminine et leur voile tissée du précieux métal, comme les prémices de l’hymen entre Jason et Glauce, symbolisées par ces pétales de roses rouge sang tachant un tulle blanc, font autant de tableaux saisissants. Le deuxième Acte, son temple de Junon au vaste autel sacrificiel d’une pureté toute nippone, où le retour, au III, dans un palais marqué par l’imminence du carnage, un feu divinatoire brûlant sans discontinuer dans une vasque, font d'autres images fortes. Kokkos y reproduit son classique plan élevé fuyant vers l’arrière, où la matricide essaiera de se soustraire à ses crimes alors que tombera le rideau final.

Prise de rôle pour Anna Caterina Antonacci. Il en est peu d’aussi périlleux que cette Médée marquée par des cantatrices tigres, Callas, Olivero, mais aussi par de pures belcantistes comme Leyla Gencer. On se doute à quel modèle Antonacci se réfère, mais elle se garde bien (trop ?) de sombrer dans la veine hystérique, femme abandonnée, habituée aux rigueurs du destin, qui calcule avec une certaine froideur sa vengeance. Est-ce pour cela que Kokkos n’a pas voulu tirer sur la corde de la maternité : Médée, dans son adresse à ses enfants chante au public, ses têtes blondes restant dans les bras de Néris, comme si elle s’était déjà détachée de sa progéniture.

Dés lors l’infanticide ne sera plus qu’un geste libérateur, Kokkos contrairement à bien d’autres, respecte le livret et ne nous montre, ne nous suggère même pas les meurtres. Devant Jason, elle exhibera les vêtements ensanglantés, rien de plus. Le Falcon d’Antonacci correspond-t-il à la typologie vocale de Médée ? Julie-Angélique Scio, la créatrice qui sera également la première Léonore de Pierre Gaveaux, un opéra génial qui surclasse de loin la Léonore beethovénienne et que l’on devrait découvrir au plus vite, possédait si l’on en croit les récits d’époque un soprano « di forza » de grand format dramatique. Cherubini lui évite d’ailleurs tout chant orné, comptant sur la vérité tragique.

Avec sa tessiture plus centrale, Antonacci donne au rôle des teintes sombres que ses aînées avaient ignorées, si ce n’est Callas, remplaçant la noirceur du timbre par la raucité de l’expression et de la diction. Il y a avec les héroïnes de Gluck, Armide, Iphigénie, Alceste, une proximité d’écriture troublante, qui indique d’ailleurs une voie d’avenir probable pour la soprano italienne dont on connaît l’excellent français (elle fut déjà Armide pour Riccardo Muti à la Scala). La diction si essentielle ici comme chez Glück, ne la trouve jamais en défaut, et elle surveille sa ligne de chant, évacuant toute tentation de sorcellerie. Le Jason de Nicola Rossi Giordano, possède un timbre attachant, mais son médium engorgé (méforme passagère ?) le contraignait à des émissions en arrière assez déstabilisantes.

Annamaria dell’Oste met à sa Glauce une emission trop durcie, et ne peut vocaliser comme l’exige Cherubini. Le Créon bien chantant de Giorgio Giuseppini, malgré quelques défaillances au début du II, campe un personnage rogue, furieux, presque surdimensionné. Cherubini a réservé son plus bel air, avec un sublime basson concertant issu tout droit du Concert Spirituel, à Neris. On n’y espérait pas Sara Mingardo aussi splendide, voix en deuil déjà, d’un contralto moirée.

Dans la fosse, Evelino Pido, comme toujours, choisi l’allégement et la vivacité, mais sa direction agit plus par automatismes que sous l’effet de l’inspiration. Cherubini ouvre pourtant toutes grandes les portes de sa musique au geste du chef, peu d’opéras lui laissent une telle latitude pour empoigner le drame d’un livret inusable, qu’illustra également avec un génie tout différent Giovanni Simone Mayr. Ce spectacle exemplaire fera, dans le cadre du Festival des Régions, les beaux soirs du Châtelet le 30 juin puis les 5, 8 et 3 juillet prochains.

Jean-Charles Hoffelé

Luigi Cherubini : Medea, Théâtre du Capitole, Toulouse, le 22 mai 2205, puis les 24, 28 et 31 mai.

Photo: Patrice Nin
 

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