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​Tristan et Isolde au Théâtre des Champs-Elysées – Drôle d’Eire – Compte-rendu

Tristan et Isolde au Théâtre des Champs-Elysées ? Cela n’était jamais arrivé en version scénique. Avec cette nouvelle production luxueuse, la maison de l’avenue Montaigne renoue avec Wagner et permet au mélomane de profiter de cette musique de façon plus intimiste que lors d'une exécution en concert. 

Après plusieurs mises en scène wagnériennes très remarquées (un Ring disponible en DVD, Parsifal et Lohengrin), Pierre Audi signe ici son premier Tristan. Son esthétique, toujours très travaillée, dévoile une nouvelle facette de l’œuvre à chaque acte. On appréciera particulièrement les panneaux mouvants au premier, évoquant la cale rouillée d’un navire, et sur lesquels des jeux de lumières (Jean Kalman est à l’œuvre) feront apparaître des formes dans lesquelles l’esprit peut imaginer une épée, une silhouette masculine, de la végétation… Les deux actes suivants, avec leurs décors en longues branches de bois flotté, ancrent davantage l’histoire dans une tradition celtique primitive et rappellent les paysages de Cornouailles. Ainsi, le roi Marke, avec ses guerriers munis de lances, apparaît davantage comme un chef de clan que comme un souverain médiéval, et Isolde comme une druidesse en lien avec « l’Autre Monde » celtique : le Sidh, que les Irlandais imaginaient quelque part vers l’Ouest, de l’autre côté de l’horizon…
 

© Vincent Pontet

La vraie originalité de Pierre Audi est plutôt d’avoir considéré Tristan non pas comme une faste fresque immobile mais, à l’instar de Patrice Chéreau à la Scala en 2007, bien comme une pièce de théâtre. Mais ce que le metteur en scène engage au premier acte s’estompe au fil de l’œuvre, comme si la théâtralité résistait à l’œuvre de Wagner... ou aux habitudes des chanteurs. Le spectacle finit par céder aux tics paresseux des mises en scènes de Tristan : des amants qui s’effleurent à peine et chantent leur duo d’amour à quinze mètres de distance face au public ; un monologue du roi Marke terriblement statique ; Tristan qui se roule par terre au 3ème acte comme aucun blessé ne songerait à le faire… L’opéra s’achève ainsi sur un léger sentiment d’inassouvi : Pierre Audi aurait pu aller plus loin dans sa démarche de re-théâtralisation de l’œuvre.
 

Daniele Gatti © DR

Cela n’aurait d’ailleurs que renforcé la cohérence du spectacle, puisqu’il s’agit aussi du parti pris de Daniele Gatti. Heureuse surprise, le chef donne à la partition un souffle dramatique assez inhabituel. Là où de nombreux chefs cherchent à étirer le temps à l’extrême, Gatti, fidèle à lui-même, révèle un Tristan plus anguleux et contrasté, un peu sec, comme s’il voulait le ramener davantage vers Beethoven que vers le Schönberg des Gurre-Lieder. Aurait-il pu en être autrement avec l’Orchestre National de France ? Plutôt que de chercher la rondeur et la fusion des timbres auxquelles nous sommes habitués chez Wagner, le chef a préféré mettre en valeur les qualités de son orchestre, aviver les couleurs instrumentales, souligner les dynamiques et faire avancer l’action inexorablement.Une lecture qui ne sera pas du goût de tous – et l’on pourra regretter parfois un manque de poésie et de langueur – mais qui présente au moins le mérite de faire entendre l’opéra différemment. Et puis, la magie wagnérienne opère, elle submerge par sa beauté : que demander de plus ?

Une partie de la distribution vocale semble s’être aussi bien impliquée dans ce Tristan théâtral, et au premier chef l’Isolde brûlante, presque sauvage, de Rachel Nicholls.
Remplaçante d’Emily Magee à trois semaines de la première, et grande wagnérienne, elle incarne le rôle avec beaucoup d’implication et de spontanéité (1). L’aigu dévoile un vibrato assez ample, mais la voix corsée et charnue sur l’ensemble de la tessiture parvient à passer l’orchestre sans la moindre difficulté. Lui aussi wagnérien éprouvé, Torsten Kerl peine à convaincre entièrement dans le rôle de Tristan. Certes, il l’assure avec une certaine connaissance du métier, mais semble être rattrapé par la fatigue – ou par la paresse... Que dire de son jeu de scène lorsqu’il passe le plus clair de son temps dans la posture typique du Heldentenor sur le point de jeter son aigu (vissé au sol, face public, les pieds écartés, visage crispé) ? Des aigus souvent attaqués par en dessous, et un peu bas… Kerl reste plus à son aise, du moins vocalement, dans le 3ème acte qu’il maîtrise de bout en bout. Michelle Breedt (Brangäne), ne possède pas le plus joli timbre du monde, mais se fait presque l’alter ego d’Isolde, tout aussi engagée et nerveuse. Brett Polegato fait quant à lui valoir sa magnifique voix de baryton dans le rôle de Kurwenal, tandis que le Roi Marke de Steven Humes, tout en nuances, se distingue par sa présence aussi bien que sa douceur. Notons aussi le Melot très convaincant d’Andrew Rees, vieillard servile dont le coup porté à Tristan n’a jamais semblé si lâche, ainsi que le timonier de Francis Dudziak et Marc Larcher, beaucoup plus à l’aise dans le rôle du berger que du jeune marin.

Originale et surprenante, cette nouvelle production de Tristan et Isolde marque à coup sûr les esprits en les amenant vers d’autres rives, mais toujours les mêmes émotions.

Raphaël Dor

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Wagner : Tristan et Isolde – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 12 mai ; prochaines représentations : 15, 18, 21 et 24 mai 2016. 
www.theatrechampselysees.fr/saison/opera-mis-en-scene/tristan-et-isolde
(1) Lire l’interview : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-rachel-nicholls-soprano-jai-aime-le-role-disolde-la-minute-ou-jai-ouvert-la

Photo © Vincent Pontet
 

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