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Tristan und Isolde au Metropolitan Opera – Triomphe pour le Wagner sans concession de Mariusz Treliński - Compte-rendu

L’événement lyrique de la rentrée new-yorkaise était sans aucun doute la nouvelle production de Tristan und Isolde. Titre placardé un peu partout, photos de Nina Stemme sur les bus et dans le métro, articles dans la presse ; le Metropolitan Opera avait vu grand pour communiquer tous azimuts sur l’un des ouvrages phares du répertoire.
Son directeur, Peter Gelb, connaît son public, son conservatisme et son goût pour la tradition, mais il a su en quelques années instiller à pas comptés dans une programmation calibrée, des mises en scènes plus novatrices, défendues par des créateurs résolument tournés vers la modernité. Après Chéreau, Lepage ou Tcherniakov voici donc Mariusz Treliński et sa très contemporaine version de Tristan und Isolde coproduite avec les Opéras de Baden-Baden (où elle a été donnée en mars dernier), le Teatr Wielki de Varsovie et le NCPA de Pékin.

© Ken Howard / Metropolitan Opera
 
L’univers dépeint par le Polonais fait froid dans le dos : les aiguilles d'un immense sonar envahissent dès les premiers accords l'écran qui occulte le plateau, puis les images d'un navire sur une mer déchaînée nous renseignent sur la lutte sans merci que l'équipage endure face à une nature hostile. A son bord, le capitaine Tristan exécute les ordres, allant jusqu’à tuer un homme, tandis qu’il escorte la future épouse de son amiral. Les images vidéo de Bartek Macias montrent successivement Tristan enfant dans les bras de son père, plus tard vêtu en marin, puis seul avec une arme à la main, autant d’éléments prémonitoires qui nous éclairent sur la psychologie et la destinée d’un homme tourmenté, qui semble avoir toujours été contraint d’exécuter des actes contraires à sa volonté et à son éthique.
 
Au 1er acte l'immense décor sur plusieurs niveaux de Boris Kudlicka, permet d'embrasser d'un coup d’œil le bureau de Tristan, la cabine d’Isolde, les coursives et les escaliers métalliques du navire. La tension est immédiatement palpable, Isolde et Brangäne, constamment surveillées, tiennent tête à des marins brutaux à peine disciplinés par Kurwenal, la confrontation entre Tristan et Isolde prenant un tour inattendu à l’arrivée de Brangäne qui apporte au couple des boissons...
 Au second acte, les amants se retrouvent fiévreusement dans une tour-mirador, avant de se glisser furtivement dans un entrepôt où sont cachés des fûts, sans doute de produits toxiques, et d’être découverts par l’amiral Marke qui, pour se venger malmène Isolde et fait arracher les décorations de Tristan. Ainsi humilié, ce dernier menace son entourage d'un revolver et se blesse pendant la rixe qui s’ensuit.
Une chambre d’hôpital tient enfin lieu de cadre au 3ème acte : Tristan gît sur un lit dans un semi-coma tandis que viennent s'incruster sur un écran les images de son enfance et qu’un tout jeune garçon tourne autour de lui pour vérifier s'il respire encore. Kurwenal veille sur son maître et assiste à son délire lorsqu’il lui annonce le retour d’Isolde. Disparu avant que celle-ci n’entame son « Liebestod » - l’héroïne s’est ouvert les veines au préalable -, Tristan réapparaît finalement, assis à ses côtés pour l’éternité ...

© Ken Howard / Metropolitan Opera
 
Marquée par la violence, l’inconscient et le réalisme de certaines scènes, la lecture du metteur en scène polonais n’a pas heurté le public qui a adhéré à cette vision forte et sans concession. Brillamment dirigée par Asher Fisch (en alternance avec Simon Rattle), la partition d’une puissance et d’une beauté magnétique accompagne chaque étape du drame comme s’il était vécu tantôt par les yeux d’Isolde, tantôt par ceux de Tristan. Au suspense écrasant du premier acte, succède le vertige amoureux du second, avant l’inévitable marche au supplice et l’extase du dernier.
Pour incarner le couple mythique, Nina Stemme et Stuart Skelton ont été convoqués. La soprano suédoise y est exceptionnelle, d’endurance, d’aisance, de tenue vocale, livrant une interprétation très personnelle du rôle. Son jeu d’un naturel confondant, quasi cinématographique, qui révèle une direction d'acteur de très haut niveau, confère à son personnage une présence singulière rendue avec plus d’acuité encore par les caméras qui viennent à plusieurs reprises saisir ses émotions en les projetant sur grand écran. Sa diction limpide, ses phrasés infrangibles, son aigu souverain, jamais forcé, et l’intensité de son chant en font l’Isolde du moment, désormais sans rivale depuis les adieux de Waltraud Meier. Stuart Skelton qui incarnait Tristan à Baden Baden face à Eva-Maria Westbroeck est remarquable : la difficulté du rôle ne l’effraie pas. Il possède les ressources nécessaires pour enchaîner le second et le troisième acte, une émission claire, des registres maîtrisés, la relance et l’énergie qui font les grands Tristan.
Ekaterina Gubanova prête à nouveau sa longue et belle voix au personnage de Brangäne dont elle est l’une des plus émouvantes interprètes, même si les « Appels » du 2 n'ont plus tout à fait la stabilité d'autrefois. Il suffit à René Pape d’apparaître et d’ouvrir la bouche pour que le miracle opère : son Roi Marke aux sonorités de violoncelle et à la ligne aussi ductile que soyeuse, n’a pas d’équivalent. Evgeny Nikitin met quelque temps avant d’incarner son Kurwenal qui ne prend véritablement chair qu’au troisième acte, Neal Cooper (Melot), Alex Richardson (Ein Hirt) et David Steersman (Ein Steuermann) apportant leur contribution à une production qui marquera à coup sûr les esprits pour de nombreuses années.
 
François Lesueur

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 Wagner : Tristan und Isolde – New York, Metropolitan Opera, 24 novembre 2016 / www.metopera.org/Season/2016-17-Season/tristan-und-isolde-wagner-tickets/
 
Photo © Ken Howard / Metropolitan Opera

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