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Trois Questions à Claire Delamarche, Conservatrice de l’orgue de l’Auditorium de Lyon – Un orgue mythique
En novembre 2013, après sa restauration par Michel Gaillard, était inauguré l'orgue de l'Auditorium Maurice Ravel de Lyon. Trois saisons ou presque se sont écoulées, au cours desquelles il a pu faire la preuve de sa beauté et de sa polyvalence retrouvées.
Claire Delamarche © Pascal Julia
Les travaux de 2013 ont radicalement transformé l’orgue de l’Auditorium de Lyon. En quoi ont-ils consisté ?
Claire DELAMARCHE : « Aller chercher l’esprit qui dormait dans la matière… » C’est ainsi que Michel Gaillard a défini sa mission, lorsqu’il a accepté de mener ce chantier. Le défi était de taille, par l’ampleur des transformations à réaliser dans un temps extrêmement court autant que par le poids historique de l’instrument.
Au commencement, il y a l’orgue construit par Aristide Cavaillé-Coll pour le palais du Trocadéro, à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878. Cet instrument doit à la fois faire valoir la facture instrumentale française à l’Exposition (il remporte le premier prix) et, en tant que premier grand orgue laïc de salle de concert (on est juste après la Commune), accompagner les grandes fêtes républicaines et faire sortir le répertoire de la liturgie (mission accomplie également). Il suscite de nombreuses compositions, des Trois Pièces de Franck au Chemin de la Croix de Dupré, en passant par les Cinquième, Sixième et Huitième Symphonies de Widor et bien d’autres partitions. Guilmant y fait découvrir tout un répertoire ancien lors de concerts historiques (dont le principe sera repris à Chaillot). Fauré y présente la version définitive de son Requiem. Et Dupré, après l’avoir rôdée au Conservatoire, y joue en 1921 sa fameuse intégrale de l’œuvre de Bach par cœur, en dix concerts !
Lorsque le palais du Trocadéro est rhabillé en palais de Chaillot (bâtiment inauguré en 1937), l’orgue est déposé et reconstruit par Victor Gonzalez, électrifié et mis au goût du jour : le buffet à plates-faces et tourelles laisse place à un dessin géométrique qui correspond mieux à son écrin Art déco, et l’ajout de jeux aigus, mutations et mixtures tire l’instrument vers l’esprit néo-classique. Là encore, un répertoire très large est à l’affiche, des pages présentées par André Marchal dans ses concerts-conférences commentés par Norbert Dufourcq aux pièces contemporaines –Concerto de Poulenc, Litanies d’Alain, Requiem et Prélude et Fugue sur le nom d’Alain de Duruflé, Corps glorieux de Messiaen et bien d’autres encore.
Lors du transfert à Lyon par Georges Danion, cet instrument historique a subi une importante transformation sonore. L’orgue trouvé par Michel Gaillard péchait par des fonds affadis, des anches privées de leur rondeur et de nouvelles mixtures aigrelettes.
La démarche a été avant tout patrimoniale : rendre aux tuyaux de Cavaillé-Coll et de Gonzalez leurs caractéristiques physiques, et retrouver ainsi les couleurs qui avaient été nivelées dans la recherche d’un « orgue à tout faire ». Rallonge des tuyaux coupés, travail sur les biseaux des jeux à bouche et les noyaux des jeux d’anches, surélévation de trois sommiers permettant au son de s’épanouir, renforcement des graves par des décalages en 16’ et en 32’, ajout de jeux nouveaux (chamades 8’ et 4’, régale, dulciane, septième, larigot…) ont permis de ressusciter la poésie et la variété qui s’étaient perdues.
L’orgue dispose à présent de registres aux caractères affirmés, qui permettent d’aborder des répertoires a priori antagonistes (orgue classique ou symphonique français, orgue baroque ou romantique allemand, musique contemporaine, improvisation) tout en présentant un ensemble parfaitement cohérent. L’orgue a considérablement gagné en définition, en précision, en éloquence, et surtout en âme !
Cette réussite sonore n’aurait pas été possible sans une remise à niveau minutieuse de tous les éléments techniques et sonores : débosselage, nettoyage et restauration des quelque 6500 tuyaux, nettoyage, réfection et fiabilisation du vent, des circuits électriques et électroniques (notamment dans la console), aménagement de planchers d’accord et d’accès pour l’entretien…
Et puis il y a eu la formidable saison inaugurale, portée par Vincent Warnier, qui était alors en résidence, et close par une création européenne, le Concerto pour orgue de Kaija Saariaho Maan varjot, que nous a fait découvrir Olivier Latry (une co-commande de l’Orchestre national de Lyon avec l’Orchestre symphonique de Montréal, l’Orchestre Philharmonia et le Southbank Centre de Londres). Il nous reste un magnifique souvenir des concerts inauguraux : un CD Saint-Saëns avec la Troisième Symphonie, Cyprès et Lauriers et la Danse macabre (transcription pour orgue seul), avec Vincent Warnier, l’ONL et son directeur musical, Leonard Slatkin (Naxos).
L'orgue au palais du Trocadéro en 1878 © DR
Quelle place la programmation de l’orgue occupe-t-elle dans une salle aussi occupée que l’Auditorium de Lyon ?
C. D. : L’orgue fait aujourd’hui partie de la vie de la maison au même titre que l’orchestre, les récitals de piano ou la musique de chambre. Il n’en a pas toujours été ainsi : après le décès de son premier titulaire, Patrice Caire, en 1992, il est tombé lentement en déshérence. La faute aux choix esthétiques qui avaient été faits par Georges Danion en 1977, mais aussi à un entretien insuffisant qui a fait surgir de nombreux problèmes. C’est ainsi qu’au début des années 1990 l’Orchestre national de Lyon et Emmanuel Krivine ont enregistré deux œuvres emblématiques de l’orgue du Trocadéro, la Troisième Symphonie de Saint-Saëns et le Requiem de Fauré… sur un orgue électronique ! L’instrument a repris vie avec la résidence de Thierry Escaich (2006-2010). Que ce soit en ciné-concerts, dans ses œuvres ou en récital, il a su tirer le meilleur d’un instrument en piteux état et redonner au public l’envie d’entendre de l’orgue – il a fallu toute son expérience et toute sa patience pour que certains concerts aient lieu, car il ne savait jamais ce qui allait tomber en panne en plein concert…
À présent, l’orgue restauré fait l’unanimité. Mes collègues de l’Auditorium l’ont adopté, les musiciens de l’Orchestre ne crient plus au scandale dès qu’un son surgit derrière leur tête, les organistes n’ont plus peur de se retrouver avec un clavier muet ou un cornement en pleine toccata, et nous avons de surcroît un directeur musical américain, Leonard Slatkin. Or, pour un chef américain, avoir un orgue dans la salle est juste normal ! Il est donc aisé de bâtir des projets avec lui, et nous n’y manquons pas. Cet orgue sait tout faire, les tutti fracassants à la fin de la Deuxième Symphonie de Mahler comme des pianos susurrants en musique de chambre. Il fait même parfois du continuo. Un grand positif de 82 jeux, le luxe !
L’accompagnement improvisé de films muets est devenu une de nos marques de fabrique, avec Thierry Escaich et avec la formidable relève qu’il a formée au Conservatoire de Paris. Et nous multiplions aussi les ateliers, les moments de découverte, les projets avec les enfants, de la crèche au collège.
La saison 2016-2017 vient tout juste d’être dévoilée. Pouvez-vous nous en tracer les grandes lignes ?
C. D. : Elle sera, à l’image de la saison 2015-2016, riche d’expériences très variées. Nous commençons en fanfare puisque le concert d’ouverture, le 15 septembre, verra Cameron Carpenter jouer la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov en compagnie de l’Orchestre national de Lyon et de Leonard Slatkin. Et, deux jours plus tard, on le retrouvera en récital.
Au chapitre des récitals, nous accueillons également Karol Mossakowski pour un concert de midi le 7 octobre, ainsi que le plus francophile des organistes allemands, Edgar Krapp, dans un programme franco-allemand couronné par la Sixième Symphonie de Widor. Autre pièce composée pour l’inauguration de l’orgue du Trocadéro, la Première Symphonie pour orgue et orchestre de Guilmant, jouée par Vincent Warnier et l’Orchestre de la Garde républicaine (9 avril).
Thierry Escaich vient à deux reprises : le 12 mars pour accompagner un film muet (Der müde Tod de Fritz Lang), le 21 avril avec l’Orchestre d’Auvergne dans le Concerto de Poulenc. Deux autres ciné-concerts sont au programme : l’un (film à définir) le 16 octobre avec Thomas Ospital, dans le cadre du Festival Lumière, l’autre, avec des dessins animés de la Petite Taupe, pour les tout-petits, avec Paul Goussot (19 avril).
Parmi les projets qui nous tiennent tout particulièrement à cœur, il y a le premier disque des sœurs Nikitine, Katherine (piano) et Véra (orgue), avec des arrangements d’œuvres de Liszt (Concerto pathétique), Ravel (Ma Mère l’Oye) et Moussorgski (Tableaux d’une exposition) qui mettront particulièrement en valeur le caractère symphonique de l’instrument ; l’enregistrement a lieu cet été pour Triton, et le concert de lancement, le 11 mars, va être un grand moment.
Autre projet original : celui de Pierre-Yves Fleury, le 10 décembre, dans le cadre de la Fête des Lumières. Des vidéos projetées sur les tuyaux, selon le procédé du mapping, vont traduire en temps réel les sons émis par l’orgue selon les principes de la synesthésie (la correspondance sensorielle entre la perception de sons et celle de couleurs). Et nous aurons aussi des concerts de musique de chambre avec Christophe Henry (9 octobre) et Mathias Lecomte (23 avril), des concerts avec chœur (Diego Innocenzi, 7 et 8 janvier), des ateliers… Bref de quoi satisfaire tous les goûts !
Mais la saison 2015-2016 n’est pas finie ! Outre le récital hispanique d’Olivier Vernet et Cédric Meckler ce 21 avril, Daniel Roth jouera le 22 mai un superbe programme couronné par la Sonate de Reubke et, en juin, Octavian Saunier sera l’artisan – entre autres – d’un concert avec des chœurs amateurs (5 juin) et de spectacles pour les enfants (Pierre et le Loup, 21 juin).
Propos recueillis par Michel Roubinet, le 20 avril 2016
Sites Internet :
Auditorium Maurice Ravel de Lyon :
Instrument : www.auditorium-lyon.com/L-Auditorium-ONL/L-orgue
Récitals d'orgue 2015-2016 : www.auditorium-lyon.com/Programmation-15-16/Orgue/Recitals
Chœurs et orgue : www.auditorium-lyon.com/Programmation-15-16/Orgue/Chaeurs-et-orgue
Saison 2016-2017 : www.auditorium-lyon.com/En-savoir/Decouvrez-la-saison-2016-2017
Photo © Orgue de l'Auditorium de Lyon © Claire Delamarche
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