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Une brève histoire de la Zarzuela - I. FLORAISON BAROQUE
Le Teatro de la Zarzuela, à Madrid, affiche du 14 février au 2 mars Curro Vargas de Ruperto Chapí. Une zarzuela de la fin du XIXe siècle en forme de drame ténébreux, et une bonne occasion de découvrir ce genre théâtral lyrique si peu fréquent sous nos latitudes. Car le plus souvent, les mélomanes se méprennent grandement sur cette variante opératique venue d’Espagne. Jusqu’à son intitulé, qui intrigue… pour sa signification et y compris même sa prononciation !
Un bel inconnu
Pourtant, la zarzuela quitte parfois ses frontières d’origine, les Pyrénées, pour essaimer dans des parages qui nous sont plus familiers. Il n’est que de mentionner, ces dernières années, Pan y toros à l’Opéra de Lausanne, Los sobrinos del capitán Grant à l’Opéra de Nancy, La generala au Châtelet, Doña Francisquita au Capitole de Toulouse, ou tout récemment, au mois de décembre, La verbena de la Paloma à l’Opéra de Reims, ou de ponctuels concerts de zarzuelas baroques comme au Festival de Beaune… Et ses meilleurs interprètes jouissent d’une réputation internationale qui n’est plus à consacrer : Domingo, Carreras, Kraus, Villazón, Florez, Caballé, Berganza, Bayo ou bien… Patricia Petibon et Elīna Garanča.
À croire que rien n’y fait ! Car ce répertoire reste encore, hors de ses contrées élues de langue hispanique, un bel inconnu. Un petit développement s’impose donc, pour un lecteur francophone, loin des clichés et des simplifications abusives, ne serait-ce que pour susciter l’envie ou désir de lever le couvercle entrebâillé du coffre aux merveilles.
Le baptême de la zarzuela
Petits repères historiques pour commencer. Au cœur de l’âge d’or du théâtre espagnol, en 1622, est représenté au Palais d’Aranjuez, dans les environs de Madrid, La gloria de Niquea ; puis en 1629, La selva sin amor (“ La forêt sans amour ”, sur un livret de Lope de Vega) au Palais de l’Alcázar de Madrid. Avec ces deux ouvrages, l’art lyrique espagnol était né. Concomitamment à l’opéra italien, suivant de peu Rome mais précédant Venise, bien avant la tragédie lyrique française ou le singspiel allemand. Mais en 1648, dans un palais royal de villégiature d’été de la sierra au nord de Madrid, El jardín de Falerina consacre le baptême de la zarzuela. Spectacle de cour à l’origine, elle se distingue primitivement par son lieu d’exécution, le Palais de la Zarzuela (zarzuela signifierait ronceraie, du nom du palais où les ronces autrefois abondaient). Ces Fiestas de la Zarzuela, vite et simplement désignées zarzuela, caractérisent des soirées théâtrales mêlées de musique, chant et ballet.
20000 ouvrages recensés
C’est alors que la zarzuela (à prononcer “ sarssouéla ”, le son “ z ” équivalant en espagnol à un “ s ” chuinté), va adopter son statut définitif : celui d’une pièce théâtrale lyrique sur un livret en espagnol associant, au-dessus de la fosse d’orchestre, chant et dialogues parlés, à la manière du singspiel allemand ou de l’opéra-comique français ; genres qui, eux, n’apparaîtront que plus d’un siècle après. Le qualificatif d’opéra se réservant, par la suite, aux pièces entièrement chantées, initialement davantage dévolues à la cour de Madrid (au palais du Buen Retiro et son théâtre pourvu d’une fastueuse machinerie dont il n’est guère alors d’exemple qu’à Venise). Mais le distinguo, souvent établi dans la péninsule, entre opéra espagnol et zarzuela demeure toujours difficile à cerner, tant les hybrides abondent. Il n’en reste pas moins que les quelque vingt mille pièces recensées au cours de près de quatre siècles, attestent la brillante vitalité de la zarzuela. Entre-temps, elle aura connu une histoire diverse et mouvementée.
Le rôle déterminant de Calderón
Au XVIIe siècle, se distinguent, parmi tant d’autres, les compositeurs Cristóbal Galán, Juan de Navas, Juan de Serqueira et surtout Juan Hidalgo (1614-1685). De ce dernier, a été conservé Celos aun del aire matan, créé en 1660 sur un livret de Calderón de la Barca, ou Los celos hacen estrellas de 1672. L’esthétique aristocratique, accumulant ritournelles et lamentos dévolus à des personnages mythologiques, se pique aussi de tonos (modèles de chant espagnol) et chœurs verticaux (très espagnols également) qui confèrent une vigueur, une variété dramatique, assez loin de la monotonie qui languit chez Cavalli, le correspondant italien du moment. Cette esthétique recoupe celle des zarzuelas du temps. Hidalgo fut attaché à la cour des Habsbourg d’Espagne, au même titre que des écrivains et dramaturges, ou des peintres comme Vélasquez. Malgré l’image qu’a pu laisser cette monarchie dominatrice d’un vaste empire, emprunte de piété et rigide dans son étiquette, elle n’en était pas moins gourmande de festivités où se croisaient cultures savantes et populaires. Les librettistes figuraient alors parmi les plus prestigieux auteurs. Ainsi Calderón, à qui l’on doit d’avoir institué les règles qui vont régir le genre, d’avoir su s’en faire le propagateur et même de fixer une appellation jusque-là indéterminée.
Évolution stylistique
À l’orée du XVIIIe siècle, la zarzuela commence à quitter les résidences royales pour s’exporter dans les théâtres ouverts à tous, de Madrid essentiellement. Sebastián Durón (1660-1716) est représentatif de ces nouvelles tendances, avec des ouvrages destinés à séduire les Grands d’Espagne comme la population. Son style le reflète, encore soumis aux principes des règles chantées espagnoles, tonos, chœurs verticaux, entremêlement des voix. Avec Antonio Literes (1673-1747) et José de Nebra (1702-1768), l’esthétique évolue pour faire place à une prééminence du da capo, à la façon des opéras, plus tardifs, d’un Haendel. La facture des livrets demeure toutefois identique, mythologique, comme au siècle précédent, et comme dans le reste de l’Europe lyrique, à une époque où les productions de zarzuelas se bousculaient. C’est ainsi que nombre de musiciens italiens importés s’adonnent aussi à ce genre lyrique intrinsèquement espagnol, tel Luigi Boccherini qui aura fait toute sa carrière à Madrid.
Personnages et sentiments de tous les jours
La seconde moitié du siècle marque un tournant. Conséquence logique, mais un peu retardée, des représentations dans les théâtres publics, les sujets en portent la trace. Ils font intervenir des personnages de valets ou de paysans, au point parfois de remplacer les rôles allégoriques (attribués jusque-là quasi exclusivement à des chanteuses, travesties pour les divinités masculines). Ramón de la Cruz, écrivain par ailleurs de renom, constitue l’un des librettistes essentiels et l’initiateur de ce renouvellement du genre. La musique, dont disparaît le continuo instrumental, fait pareillement de plus en plus appel aux thèmes tirés du terroir : séguedilles, fandangos, passacailles, sarabandes et autres chacones, toutes formes traditionnelles entrées très tôt dans la musique savante d’Espagne et d’ailleurs. Aux côtés de Fabián García Pacheco, Ventura Galván ou Antonio Rosales, le compositeur Antonio Rodríguez de Hita (1724-1787) en est caractéristique, avec en particulier Las labradoras de Murcia (“ Les paysannes de Murcie ”). Foin d’héroïsme donc ! mais des personnages et sentiments de tous les jours, des comédies ou drames imbriqués dans lesquels le public peut lui-même se reconnaître. Grétry, comme Mozart, font de même...
La concurrence de l’opéra italien
Mais voilà que, après cent cinquante ans de gloire ininterrompue, la zarzuela subit à la fin du XVIIIe siècle une éclipse. La présence des Bourbon, succédant aux Habsbourg, sur le trône d’Espagne correspond à des goûts plus cosmopolites, qui, alliés à la montée d’une nouvelle couche sociale, la bourgeoisie, mènent à l’emprise de l’opéra italien sur la Péninsule ibérique. Et la zarzuela ne résiste guère. Tout du moins suivant les canons établis antérieurement ; car elle se perpétue sous une forme résiduelle brève : la tonadilla. Pablo Esteve, Luis Misón et Blas de Laserna, parmi ses musiciens, figureraient un peu des équivalents pour l’Espagne de Philidor et Dalayrac en France ou de Cimarosa et Paisiello en Italie. Parallèlement, apparaissent des appendices, le melodrama et le melólogo, pièces déclamées sur fond musical dont le plus remarquable auteur est Tomás de Iriarte. Mais ces genres eux-mêmes déclinent. L’un de ses derniers représentants sera Manuel García, peu avant de devenir l’un de ces musiciens espagnols migrateurs de l’époque. Cette décadence et ces différents exils artistiques s’expliquent par un passage du siècle particulièrement agité et douloureux en Espagne. Et c’est ainsi que pour la zarzuela d’autres temps s’annoncent…
En attendant ce nouveau chapitre, choisissons quelques œuvres emblématiques, comme leurs compositeurs, afin de mieux illustrer nos propos : Salir el amor del mundo de Durón (disque Dorian, dans l’interprétation un peu grêle de l’ensemble El Mundo, au nom tout indiqué) ; Júpiter y Semele de Literes, chef d’œuvre de l’époque baroque (Harmonia Mundi, dir. Eduardo López Banzo) ; de Literes également, Acis y Galatea (Harmonia Mundi, dir. Eduardo López Banzo) ; Viento es la dicha de Amor de Nebra (Auvidis, dir. Christophe Coin) ; Ifigenia en Tracia du même Nebra (disque Glossa, dirigé par Emilio Moreno) ; et aussi différents arias de zarzuelas baroques chantés par María Bayo ( Naïve, dir. Christophe Rousset). Notons que les disques ne sont pas toujours accessibles dans les bacs commerciaux ; mais internet y pourvoit. À défaut de faire le voyage en Espagne, où la zarzuela demeure toujours vivace (voir notre article “ Journées de Zarzuela à Cuenca ”)(1).
Lisez la suite de l'histoire de la Zarzuela...
(1) www.concertclassic.com/article/journees-de-zarzuela-cuenca-lart-lyrique-espagnol-en-tous-ses-etats-compte-rendu
Pierre-René Serna
N.D.L.R. Pierre-René Serna est l’auteur du Guide de la Zarzuela (Bleu Nuit Editeur – 335 pp), unique et indispensable ouvrage en langue française consacré à un genre musical aussi riche que méconnu de ce côté-ci des Pyrénées.
Chapí : Curro Vargas (drame lyrique en trois actes)
14, 15, 16, 20, 21, 22, 23, 26, 27, 28 février, 1er et 2 mars 2014
Madrid – Teatro de la Zarzuela
Rens. et rés. : http://teatrodelazarzuela.mcu.es
Photo © DR
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