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Une interview de Daniel Bianco, directeur du Teatro de la Zarzuela de Madrid - « Ouvrir les portes et les fenêtres du répertoire de la zarzuela »

« Único en el mundo » : Unique au monde ! Le ton est donné, dans cette formule à effet d’annonce, accompagnant en sous-titre le Teatro de la Zarzuela de Madrid dans ses affiches et prospectus. Et de fait, la formule est juste. Car où voir ailleurs, de par le monde, une programmation régulière de zarzuelas ?... Si ce n’est dans ce temple dédié à ce genre lyrique depuis plus de 150 ans. Une tradition qui se perpétue fièrement, avec une succession de spectacles lyriques, comme aussi de ballets, concerts et récitals.
Mais si le Teatro de la Zarzuela reste fidèle à sa vocation, celle de la mise en valeur du répertoire dont il porte glorieusement le nom, il sait se renouveler. C’est ainsi que Daniel Bianco vient de prendre ses fonctions comme directeur de l’institution madrilène depuis le début de cette saison, succédant à Paolo Pinamonti (appelé aux destinées du Teatro San Carlo de Naples), avec des idées neuves. Daniel Bianco s’était fait un nom jusque-là comme scénographe, en tant qu’assistant notamment d’Emilio Sagi, maître en zarzuela s’il en est, mais aussi comme directeur adjoint (toujours avec Sagi) du Teatro Arriaga de Bilbao. Pour dire qu’il a été à bonne école. 
 
A l’approche des représentations (du 25 mars au 8 avril) d’un diptyque formé de Château Margaux et La Viejecita, deux ouvrages en un acte de Manuel Fernández Caballero, Concerclassic donne la parole à Daniel Bianco. De quoi attiser l’envie d’une escapade madrilène en ce début de printemps ...
 
Pouvez-vous évoquer la politique artistique du Teatro de la Zarzuela, telle que vous l’avez entreprise et entendez la poursuivre depuis votre prise de fonction ?
 
Daniel BIANCO : Ma ligne générale reste la défense du répertoire de la zarzuela auquel ce théâtre se dédie. C’est-à-dire : redécouvrir le répertoire lyrique espagnol, mais aussi le conserver et lui apporter tout le soin possible. Car il y a les œuvres connues, qui demandent à revenir régulièrement, mais aussi celles qui méritent d’être découvertes. La musique espagnole, et le genre lyrique de la zarzuela en particulier, sont suffisamment amples et touchent à des domaines les plus divers, dans une diversité extraordinaire. Pour cela, je désire mettre l’accent sur la transmission, puisque ce fut à l’origine, et l’est toujours aujourd’hui, un genre populaire en Espagne mais aussi dans les Amériques hispaniques. Et c’est pour maintenir cela que je désire ouvrir les portes et les fenêtres de ce répertoire, dans un dialogue entre le spectateur et la scène. Voilà pourquoi je souhaite maintenir une diversité, entre des ouvrages de textures différentes, connus ou non connus. Cette saison en est le reflet, commencée avec une grande œuvre très dramatique comme Las golondrinas de José María Usandizaga, se poursuivant avec une zarzuela baroque, Iphigenia en Tracia (1), puis La villana (2), qui est une autre récupération mais d’une zarzuela du début du XXe siècle, pour arriver à Château Margot et La viejecita (3), deux petites zarzuelas de Manuel Fernández Caballero qui appartiennent au genre chico ou léger. C’est un exemple de l’éventail large des possibilités. Parce que je pense qu’il ne faut pas s’adresser uniquement à un public d’habitués, sinon travailler pour l’avenir.
 
C’est ainsi que votre programmation se distribue en grands axes, qui sont le répertoire traditionnel, la redécouverte d’œuvres récentes ou baroques de zarzuela et d’opéra espagnol, avec le travail musicologique conséquent, et l’ouverture à la création contemporaine. Est-ce votre avis ?
 
D. B. : C’est effectivement le chemin que je m’attache à suivre. Pour la prochaine saison, il y aura ainsi la création mondiale d’une zarzuela, écrite par le compositeur universellement reconnu dans le domaine de la musique contemporaine, Tomás Marco. N’a-t-on pas trop dit que le genre de la zarzuela était mort dans les années 1950 ?... Mais je dois préciser que je ne tiens pas à avoir seulement une vison musicologique, sinon également théâtrale. La zarzuela est un théâtre musical, qui doit prendre en compte sa dimension de spectacle, dans son aspect dramaturgique et scénique. Et j’ai à cœur de concevoir des spectacles cohérents, en faisant appel aux meilleurs metteurs en scène. Cela dit, il en est de même pour l’opéra et pour tout théâtre lyrique.
 
Vous avez cependant prévu des concerts, sans mise en scène donc, pour donner à entendre certaines œuvres… Mais dans le cadre de vos productions, quelle projection souhaitez-vous leur donner ?
 
D. B. : Je suis effectivement d’avis de projeter nos productions au-delà de notre théâtre et au-delà de Madrid. Il y a le reste de l’Espagne, le monde de langue espagnole dans les Amériques, équivalent à cinq cents millions de personnes, mais aussi, je dirais le reste du monde. D’où mon idée de faire le plus possible des coproductions. Par exemple, la prochaine saison nous avons prévu une coproduction avec l’Opéra de Lausanne. Ainsi que des reprises à Dijon et certainement Lille, du spectacle des deux œuvres baroques de Sebastián Durón créées la saison dernière (4), sous la direction de Leonardo García Alarcón. Est également prévue une coproduction avec le Liceo de Barcelone. Nous travaillons aussi pour un projet avec la ville de Naples, près de Miami aux États-Unis, pour une autre coproduction. Mais aussi avec la Russie, où nous allons tenter d’importer la zarzuela baroque précitée, à Moscou plus précisément. Ainsi qu’au Teatro Colón de Buenos Aires.
 
Avez-vous aussi prévu de laisser la trace de ces productions par le disque audio ou vidéo ?
 
D. B. : C’est effectivement souhaitable. Mais on se heurte ici à des difficultés pratiques. Parce qu’il convient, selon les lois espagnoles, de rétribuer en cachets supplémentaires de leur travail à la scène, tous les agents de la production, depuis le personnel du théâtre jusqu’aux artistes. Ce qui a pour effet de doubler le coût d’une production ! Une sorte de cercle vicieux, auquel sont confrontés aussi d’autres théâtres. C’est regrettable, mais c’est ainsi. C’est un blocage pour l’instant. Mais je ne désespère pas.
 
En revanche, y aurait-il des transmissions de radio ou télévision ?
 
D. B. : Le problème est un peu du même ordre. Sauf que dans ce cas, on parvient à certains résultats.
 
Dans un autre domaine, mais similaire, il y a l’édition de partitions. Comme dans le cas de la récente Villana, pour l’occasion de laquelle vous avez suscité la publication d’une nouvelle édition critique de la partition de l’œuvre. Pensez-vous poursuivre sur ce chemin ?
 
D. B. : Dans ce cas, c’est presque une nécessité. Sur les milliers de zarzuelas qui ont été écrites au cours de près de quatre siècles, bien peu bénéficient, disons environ deux cents, d’une édition imprimée récente en grande partition d’orchestre. Il nous faut donc souvent le matériel musical nécessaire pour chaque production, et nous devons y suppléer par une nouvelle édition quand n’existent que les manuscrits conservés dans les archives, les fac-similés ou au mieux les partitions piano-chant. Cette fois, nous avons bien l’intention de persévérer dans cette voie. Notre directeur musical, Óliver Díaz, s’en chargera particulièrement, suivant les besoins, comme cela a été le cas pour La villana. Ici, oui, nous laisserons une trace gravée, imprimée à défaut d’être enregistrée. Et nous poursuivrons.
 
Dans certains propos que vous avez tenus, vous avez manifesté l’intention de donner une conception moderne à la zarzuela. Qu’entendez-vous pas là ?
 
D. B. : Je pense effectivement qu’il convient de prendre une optique contemporaine. Cela ne signifie pas qu’il faille manquer de respect à l’œuvre, ou tomber dans la provocation ou la facilité. La vie, comme le théâtre, figure un prisme avec ses nombreuses facettes. Je pense que la zarzuela se mérite d’être présentée sous un jour de bonne facture, de bonne présentation, un jour neuf peut-être. Dans le cas de La villana par exemple, nous avons fait appel à des artistes internationaux. C’est le chemin à suivre. Et scéniquement aussi. L’intention est d’accueillir dans la zarzuela le meilleurs directeurs de scène actuels, pour la rendre neuve et nouvelle comme au premier jour.
 
Pour cela, vous avez accumulé aussi des initiatives pour ouvrir vers l’extérieur. Pouvez-vous préciser ?
 
D. B. : L’idée est de projeter le théâtre dans ville. Nous avons donc multiplié les lieux, à l’intérieur et à l’extérieur du théâtre, avec des réalisations ponctuelles ; comme ce que nous appelons « notas del ambigú », sous forme de petit concert ou récital dans le foyer du théâtre. Ou des manifestations dans le reste de la ville : concerts ou projections en plein-air, spectacles dans d’autres théâtres et lieux de Madrid, comme dans les locaux de l’université, où nous avons donné deux petits spectacles et prévoyons en mars le spectacle chorégraphique Zarzuela en danza (5), ou dans les locaux de la Fondation culturelle Juan March, avec un petit opéra de Manuel García, Le Cinesi, donné en janvier, et prochainement un autre petit opéra, de Rimski-Korsakov cette fois, Mozart et Salieri. Ce sont en quelque sorte des illustrations en petit format des thèmes présentés dans la grande salle. Pour aussi attirer un nouveau public, et renouveler le public potentiel.
 
Dernière question : pouvez-vous nous livrer quelques pistes sur la prochaine saison du Teatro de la Zarzuela ?
 
D. B. : Je ne peux pas déjà avancer les titres qui seront programmés. Mais je peux dire que nous allons poursuivre dans un éventail large, entre des choses très classiques ou connues, que nous allons tâcher de faire redécouvrir sous un nouvel aspect, à côté de choses neuves ou mal connues que nous remettrons en avant. C’est toujours l’équilibre que je recherche dans la programmation. De plus, nous avons l’intention d’amplifier les démarches déjà entreprises. Ainsi le  projet « zarza » que nous avons mis en œuvre cette saison. Il s’agit d’un projet, avec la collaboration de centres éducatifs, par et pour des jeunes, après audition, à qui nous faisons travailler une œuvre pour ensuite la présenter solennellement dans notre salle à tout public. Comme cette année avec La revoltosa, de Ruperto Chapí (6). Un projet didactique qui entend former les jeunes non seulement à l’écoute mais aussi à la pratique de la musique, en l’occurrence celle de la zarzuela.
 
Propos recueillis par Pierre-René Serna, le 30 janvier 2017
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1) Voir :
www.concertclassic.com/article/iphigenia-en-tracia-au-teatro-de-la-zarzuela-de-madrid-jose-de-nebra-en-maniere-de-grand
 
2) Voir :
www.concertclassic.com/article/la-villana-damadeo-vives-au-teatro-de-la-zarzuela-de-madrid-bucolique-et-foudroyant-compte
 
3) Du 25 mars au 8 avril.
 
4) Voir :
www.concertclassic.com/article/spectacle-sebastian-duron-au-teatro-de-la-zarzuela-de-madrid-double-gagnant-compte-rendu
 
5) Du 8 au 11 mars, dans l’auditorium de l’Université Carlos III de Madrid.
 
6) Du 1er au 5 mars.
 
teatrodelazarzuela.mcu.es/en/
 
 
M. F. Caballero : Château Margaux / La Viejecita
25, 26, 29, 30 et 31 mars, 1er, 2, 5, 6, 7 & 8 avril 2017
Madrid – Teatro de la Zarzuela
teatrodelazarzuela.mcu.es/es/temporada/lirica-2016-2017/chateau-margaux-la-viejecita-2016-2017
 
Photo Daniel Bianco © Laurent Léger

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