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Une interview de Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris – « Les faits nous donneront raison »
En 1981, les prémices de la Cité de la musique figuraient déjà dans le rapport confié à Jack Lang («Mission de réflexion sur l’idée d’une cité de la musique » ) qui envisageait un opéra, un grand auditorium symphonique de 2 500 places sur le site des anciens abattoirs de La Villette, dans le 19e arrondissement de Paris. Un projet qui comportait, en outre, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), des espaces pédagogiques, un musée, un petit amphithéâtre, une salle modulable de 900 places. L’opéra connut la suite que l’on sait avec la construction de l’Opéra Bastille. C’est donc bien la presque totalité du projet initial qui se concrétise aujourd’hui avec l’inauguration de la Philharmonie.
Il aura ainsi fallu près de trente-cinq ans, quatre présidents de la République, quatorze premiers ministres, dix-sept ministres de la Culture pour que ce projet voie le jour ! Sur le projet lui-même, tout a été dit : les polémiques socio-esthétiques qu’il engendre, ses dépassements financiers, sa situation géographique, son architecture, etc. Thématiques qui ont jalonné sans relâche les longues années de sa conception, de sa construction et généré des débats qui, comme pour l’Opéra Bastille, s’éteindront peut-être à l’épreuve des faits et de la réussite publique. Il est encore trop tôt pour le savoir. Depuis 2001, au milieu de ce maelström d’hommes et de débats, un point fixe incarné par Laurent Bayle, Directeur Général de la Cité de la musique et, depuis 2006, Président de l’association Philharmonie de Paris dont la mission est, entre autres, d'assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction de la Philharmonie de Paris sur le site du Parc de la Villette, ainsi que l'exploitation de la Philharmonie auprès d'un large public.
Laurent Bayle est un homme brillant que l’on sait capable de manier à merveille la langue « «institutionnelle », lorsqu’il la juge nécessaire et protectrice. A contrario, nous lui avons demandé de nous raconter cette aventure telle qu’il l’avait vécue de l’intérieur. C’est ce qu’il a fait de bonne grâce, sans précaution oratoire nous offrant un cocktail d’objectivité et de subjectivité, à l’image même de ce projet qui, par son ampleur et la radicalité de ses choix, la mixtion permanente de l’artistique et du politique, ne saurait laisser personne indifférent…
Toutes les grandes aventures sont modelées par les hommes qui les portent, par le sens et les valeurs qu’ils donnent à leur parcours. Pour comprendre votre place et votre action au cœur du projet de la Philharmonie, il me semble nécessaire de découvrir ce qui vous a préalablement construit. Tout commence pour vous à Strasbourg au début des années quatre-vingt. Vous n’êtes pas alors spécialiste de la musique, encore moins des musiques contemporaines et, cependant, vous êtes choisi pour créer le Festival Musica.
Laurent BAYLE : C’est vrai, mon absence de légitimité première en a fait réagir plus d’un à l’époque ! Lorsque j’ai créé le Festival Musica, en 1982, l’intérêt majeur pour moi de cette proposition était d’imaginer un modèle en partant de rien. C’est-à-dire en partant de la seule décision politique ainsi énoncée : concevoir un festival apte à développer un nouveau modèle de transmission de la création contemporaine, qui se distinguerait donc des festivals nationaux ou internationaux existants.
Cette demande ainsi formulée ne voulait rien dire et c’est cela qui m’a passionné. Comment imaginer ce que pourrait être cette « autre chose » vouée à l’élargissement des publics ? Cette expérience m’a appris que le point de départ de toute réflexion devait s’arrimer au contexte. C’est-à-dire au cadre sociologique, urbanistique, architectural, historique, etc. Strasbourg, c’est l’est de la France, il y existe une proximité avec la culture germanique, l’enseignement musical à l’école y est aussi pauvre qu’ailleurs, mais il y a une richesse spécifique de la vie musicale associative et des harmonies, etc.
C’est avec tous ces éléments que j’ai dû imaginer un événement, sachant que son identité devait se dessiner très vite, car les politiques vivent sur un temps court, exigent des résultats immédiats, sous peine de suppression - tout aussi immédiate - des projets.
C’est grâce à Musica que j’ai rencontré des artistes de tous ordres, dont Pierre Boulez. Je lui avais demandé d’être le leader de la première édition à l’occasion du centenaire de l’anniversaire de naissance d’Edgar Varèse dont je souhaitais qu’il dirige une grande partie de l’œuvre à cette occasion. De là est né notre échange qui depuis n’a jamais cessé.
En 1986, il m’a proposé de prendre la direction artistique de l’Ircam, avec la perspective de lui succéder à son départ. Ce qui fut fait en 1990. J’ai beaucoup réfléchi avant d’accepter. Musica était une expérience captivante, mais dont les limites m’apparurent assez vite. Les limites temporelles que suppose tout festival, mais aussi les limites de développement. En effet, lorsqu’un tel projet est un succès, ce qui fut le cas, les politiques se satisfont de ce succès et n’éprouvent aucune nécessité de plus grandes ambitions. L’Ircam et la personnalité de Pierre Boulez pouvaient, au contraire, me permettre de retrouver une autre forme de risques et d’expérimentation, toujours en lien avec la création contemporaine. Je n’ai pas été déçu (rires).
C’est à l’Ircam que j’ai pris conscience de l’importance de l’architecture
Lorsque je suis arrivé à l’Ircam, Boulez avait essuyé les plâtres de la création et fixé les fondamentaux qui sont l’essence même de sa vision de la création. Le projet de Boulez, bien au-delà de l’Ircam, a toujours été de penser l’acte de créer comme allant de l’amont - le mystère de la création, les concepts, etc. - jusqu’à la transmission que représentait l’Ensemble Intercontemporain et, à travers lui, le déploiement de la vision d’un chef d’orchestre sur la modernité. Par ailleurs, les concepts qui devaient sous-tendre l’action étaient posés : articuler la pédagogie et la recherche. C’est à l’Ircam que j’ai pris conscience de l’importance de l’architecture. En effet, j’ai immédiatement ressenti que son côté « souterrain » avait à voir avec l’architecture même du bâtiment.
C’est pourquoi j’ai beaucoup travaillé sur les extensions de ce bâtiment. À l’Ircam, j’ai découvert également une situation très spécifique. Il y avait là des créateurs et des chercheurs en résidence : le jeu du dialogue, de la confrontation entre eux devait être permanent, c’était la règle. Or la difficulté était que ces deux mondes sont mus par des temporalités qui n’ont rien à voir, les créateurs travaillant à plus court terme que les chercheurs. La difficulté pour moi était donc de faire bouger ce modèle de fonctionnement, de le rendre plus dynamique dans tous les sens du terme. Tenant compte de tout ça, j’ai essayé d’insuffler une mutation sans générer de rejet. Un exercice d’équilibriste…
À cette époque-là, les attaques étaient nombreuses pour dénoncer la « fermeture » et le côté « souterrain » de l’Ircam que vous évoquez. Cette mutation délicate, l’avez-vous faite au nom de « l’ouverture », ce mot qui est aujourd’hui la signature de la nouvelle Philharmonie ?
L.B. : Oui, j’ai très vite réalisé que cette « ouverture » était indispensable pour mettre en valeur une nouvelle génération de compositeurs. Après la première génération mise en place par Boulez, il fallait s’ouvrir à des communautés plus larges de musiciens. C’est dans cet esprit que nous avons alors mis à disposition gratuite les outils techniques créés par l’Ircam. De là sont nés des développements pédagogiques et, avec eux, l’ouverture sur d’autres univers, à travers toutes sortes d’événements et de collaborations… La difficulté était de réussir cette ouverture sans fragiliser la fonction initiale de l’Ircam : la recherche, la prospection, l’innovation qui sont la justification de l’investissement public dans un tel projet.
En vous écoutant parler de Musica et de l’Ircam, il me semble que ces deux premiers postes étaient une sorte de formation idéale pour affronter les projets de la Cité de la musique, puis de la Philharmonie. Tous les éléments constitutifs, tous les partis pris et valeurs et déjà en germe dans ces deux premières institutions, semble-t-il ?
L.B. : En effet, lorsque je suis arrivé à la Cité de la musique en 2001, tous ces éléments étaient présents dans le projet initial. Le concert doit être un moment magique qui ne fait sens que s’il est contextualisé, expliqué et pour cela il faut offrir au public différents modes d’appropriation… On retrouve là bien sûr les fondamentaux de la conception de Boulez qui étaient au point de départ de la Cité.
Dans la proposition qui m’était faite de diriger la Cité de la musique, je retrouvais tout ce qui m’avait séduit dans Musica : s’approprier un projet et essayer de développer une vision à long terme. Cela était possible, car la Cité était encore en devenir et permettait toutes les expérimentations.
JMV : Il est difficile, voire impossible de penser à vous sans penser à Pierre Boulez. Selon que l’on adhère ou pas à son projet, vous êtes très vite apparu comme une sorte de « fils spirituel » ou d’âme damnée ?
L.B. : Cette relation est bien sûr pour moi essentielle. C’est aussi l’évolution de cette relation qui a déterminé beaucoup de mes choix. À mon arrivée à l’Ircam, nous avions une grande proximité et un rapport très agréable, mais j’étais totalement respectueux de ses volontés. Après son départ de l’Ircam j’ai acquis ma pleine liberté. Notre relation amicale s’est alors nouée et nourrie de la défense commune de projets nationaux ou internationaux qui avaient du mal à accoucher et auxquels nous croyions tous deux fermement.
On ne résout les contradictions qu’en avançant
Ce fut d’ailleurs le cas de la Cité de la musique à ses débuts. À mon arrivée à la Cité, j’étais donc profondément nourri de ma propre expérience et de ma propre volonté, enrichies de la « réappropriation » d’un certain nombre des principes de pensée et d’action de Pierre Boulez que j’avais faits miens. En particulier une idée qui fut pour moi déterminante : on ne résout les contradictions qu’en avançant !
Tout comme lui, je ne suis guère sensible au fait que le « nouveau » puisse mettre en danger « l’existant ». Je ne pense pas qu’il faille à tout prix protéger l’existant. Je pense, au contraire, que l’on ne fait rien si l’on n’est pas déterminé à créer des ruptures. Mais, il faut le faire en pleine conscience et avec une analyse très exigeante du contexte. Au final, la plupart du temps, on se rend compte que si l’analyse était bonne, le changement n’est pas une rupture, mais une forme créative de continuité. A contrario, si l’on reste prisonnier de l’idée de l’existant et de sa protection, au final il ne se passe jamais rien !
Riche donc de vos deux expériences préalables, ayant construit une sorte de philosophie de l’action, vous voici face au projet de la Philharmonie. Quel était l’état de son avancement lorsque vous arrivez en 2001 à la Cité de la musique ?
L.B. : Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il battait de l’aile ! L’Opéra Bastille ayant eu du mal à exister dans ses premières années, les acteurs politiques étaient affolés à l’idée d’initier de nouvelles aventures. Personne n’avait de véritable réflexion globale, encore moins à l’aune de la situation musicale internationale. Pourtant, l’on avait fait à ce moment-là de nombreux rapports sur la Philharmonie, des rapports d’ailleurs qui aujourd’hui nous coûtent très cher, car, comme toujours, pour faire avancer un projet et n’effrayer personne, ils minimisaient considérablement les coûts… Bref, rien n’avançait, les politiques n’étant pas mûrs.
C’est alors que Catherine Tasca, ministre de la Culture, me confia un énième rapport. Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’époque le projet était plutôt un agrandissement de la Cité de la musique existante. L’exact inverse d’aujourd’hui où la Cité de la musique est incluse dans le projet de la Philharmonie. La stratégie de Tasca était d’aller très vite avant les présidentielles de 2002, afin que le projet puisse être repris dans le projet électoral du candidat Jospin. Dès que j’ai su que ce serait le cas, j’ai couru voir Jean-Jacques Aillagon pour l’en informer, espérant que cela le pousserait à convaincre Chirac d’en faire autant… (rires). Ce qui fut fait.
Cette anecdote est une véritable parabole des liens complexes entre le politique et les acteurs de la culture en France et des ruses manœuvrières qu’ils supposent pour ces derniers ?
L.B. : Effectivement, d’ailleurs la suite est édifiante ! Jacques Chirac tout juste élu a nommé Jean-Jacques Allaigon comme ministre de la Culture et celui-ci s’est alors empressé de faire s’enliser le projet de la Philharmonie qu’il avait défendu pendant la campagne tout en le désapprouvant. Il pensait en effet qu’il fallait protéger et développer en priorité les nouveaux projets récemment initiés. Cela était tout à fait respectable, mais favorisait les musées au détriment de la musique !
Après cette nouvelle péripétie, très vite, on m’a demandé de m’occuper de la situation inextricable qui s’était créée avec Pleyel, l’Orchestre de Paris à Mogador, les musiciens qui ne voulaient plus jouer, etc. C’est alors que j’ai pris la charge de la rénovation et de la programmation de Pleyel qui a débuté en septembre 2006.
Ce travail, une fois accompli, a été très important, car il a prouvé que l’on pouvait faire revenir à Paris des grandes formations internationales, comme la Philharmonie de Berlin qui ne voulait plus y venir, faute de salle adaptée. Dans le même temps, en 2006, le projet de la Philharmonie s’est emballé et a été remis sur les rails.
Par quel miracle ?
L.B. : La conjonction de deux intérêts politiques majeurs. Le premier : la recherche d'un rayonnement international pour la capitale, qui a motivé Bertrand Delanoë qui est ensuite resté fidèle à cet engagement jusqu’à la fin de son mandat. Le second était que le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, se voyait encore candidat à la présidentielle et cherchait donc à défendre un modèle culturel qui puisse représenter la France et son rayonnement à l’international.
Conjonction d’intérêts politiques
Dans cet esprit, l’idée d’une Philharmonie l’a séduit, lui que je n’avais jamais vu au concert ! Mais si l’un et l’autre étaient partants, il m’a fallu une nouvelle fois tout reprendre à zéro pour les convaincre l'Etat et la Ville de la validité du choix géographique ainsi que des buts fondateurs du projet ! Pour le choix de la situation géographique, il était évident que pour rester fidèle au projet initial, choisir un autre site dans Paris que celui de la Villette supposait de reconstruire toute une infrastructure : conservatoire, salles de travail, musée, etc. Une aberration puisque tout était déjà existant à la Villette…
N’oublions pas que l’idée de la Philharmonie était déjà là, en germe dans le projet de la Cité. Cette évidence n’était pas suffisante, à ce moment-là, les sujets de polémiques étaient déjà très vifs et n’ont jamais disparu depuis : les difficultés d’accès, le fait que le bâtiment regarde du côté du boulevard périphérique et de la banlieue, tout cela pouvait être vu comme un inconvénient ou un avantage selon que l’on considérait le présent ou l’avenir, etc.
Au-delà de ces batailles politico-culturelles, à titre personnel, ce lieu, ces choix étaient-ils une évidence pour vous ?
L.B. : Il faut être honnête, ce n’est pas une évidence, cela ne peut pas en être une. Cela, je ne l’ai su que peu à peu. Pourquoi ? Sur la question fondamentale du public, si vous vous situez dans l’absolu, il y a effectivement un problème. Si vous programmez un concert de William Christie dans une salle de 800 personnes de la Cité de la musique, vous pouvez refuser au moins 100 personnes. Si vous donnez le même programme dans une salle de 1 900 places comme Pleyel, vous remplissez les 1900 places.
La Philharmonie de Paris en chantier (nov. 2014) © philharmoniedeparis.fr
Le sens de la Philharmonie, c’est de créer de nouveaux rituels participatifs afin de toucher de nouveaux publics
Qu’en sera-t-il avec les 2 400 places de la Philharmonie ? Si vous vous contentez de considérer l’existant, c’est à dire uniquement le public actuellement déjà fidèle à ce type de répertoire, s’ajoute mécaniquement un problème économique à celui de la difficulté du remplissage. En effet, notre politique de baisse du prix des places pourrait alors nous obliger à puiser davantage dans les subventions. Avoir fait un tel investissement pour un public déjà acquis et fidèle à d’autres salles comme Pleyel, oui c’est d’évidence beaucoup d’efforts pour écraser une mouche !
Mais si l’on se place dans la perspective d’une vision et d’un projet à long terme, en essayant de comprendre ce que veut être ce nouveau lieu, ce qu’est la Seine Saint-Denis en devenir, comment est constituée la première Couronne, le phénomène de gentrification qui s’opère, si vous notez qu’il y a de plus en plus de grandes entreprises comme la BNP ou Hermès qui s’installent au-delà du périphérique, sans compter l’Université Condorcet et le vivier de ses étudiants, vous voyez bien que cette projection à dix ou quinze ans change totalement les perspectives, impose des façons de penser et d’agir nouvelles.
Les faits, à ce moment-là, nous donneront raison, vous verrez. C’est pourquoi tout le sens de la Philharmonie, c’est de créer de nouveaux rituels participatifs afin de toucher de nouveaux publics et d’articuler pour cela la programmation des concerts autour d’ateliers pédagogiques, la pratique musicale amateur pour enfants, adultes ou même familles. C’est d’imaginer de nouvelles expositions que permettent les nouveaux espaces.
C’est encore de façonner la programmation en fonction des rythmes de vie en pensant, par exemple, différemment la semaine et le week-end. Je crois que l’on ne peut changer le rapport au concert et trouver de nouveaux publics, sans changer le contexte dans lequel il a lieu. Tout cela peut transformer ce qui est aujourd’hui un problème en un atout pour demain, j’en ai la ferme conviction.
Vous me disiez que vous aviez compris l’importance de l’architecture à travers votre expérience à l’Ircam. Qu’en est-il avec la Philharmonie ? Comment voyez-vous son architecture ?
L.B. : Au départ, il nous a fallu concevoir un programme pour le concours. Pour cela comme pour Musica, je suis parti de la page blanche. Aller du plus abstrait jusqu’aux formes les plus précises de sa concrétisation. Là encore, la compréhension du contexte historique et humain est indispensable pour maîtriser les choses. À la racine du projet, il y eut l’influence décisive Boulez/Lang.
Sur le plan politique, après mille péripéties, les deux piliers du projet furent Bertrand Delanoë et Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture. Au moment décisif de l’écriture du programme, les deux m’ont dit à peu près la même chose : « Concevez ce projet et surtout ne vous trompez pas, car on ne recommencera pas dans dix ans ! ». C’était une terrible responsabilité. J’ai alors été convaincu que mon premier rapport de 2001 n’était pas bon. Voulant faire aboutir ce projet, j’avais été trop timoré : faisant comme tous les autres, j’avais ménagé tout le monde pour n’effrayer personne.
Mais, puisqu’il y avait enfin une véritable volonté politique, je me suis dit : allons-y, fonçons ! Dès le départ, il a fallu penser un complexe, construit autour d’une salle et d’un concept fondé sur la pédagogie collective inspirée du London Symphony Orchestra, du Sistema vénézuélien, etc.
Pour cela, il fallait oser voir grand. Demander une salle avec une conception enveloppante qui puisse se transformer avec une modularité réellement novatrice et performante. Je me posais en effet beaucoup de questions sur le type de concerts qu’il serait possible de promouvoir. Par exemple, comment, dans quel espace produire des concerts avec des projections simultanées d’éléments pédagogiques ? Comment repenser la diffusion de la musique amplifiée ? Comment envisager les rapports des masses sonores, leur spatialisation…
Il fallait, par ailleurs, avoir le culot de demander cinq salles de répétitions en exigeant que la plus grande puisse accueillir le public. C’était fondamental pour amener les musiciens à changer leur pratique. Cela supposait également d’abandonner les espaces étriqués d’exposition de la Cité pour un très grand espace innovant dans la Philharmonie. Il fallait aussi concevoir les espaces de convivialité et de restauration dans l’esprit même du projet. Pour écrire ce programme du concours d’architecture riche de deux cent cinquante pages, où toutes les problématiques devaient être pensées dès le début, nous avons travaillé, voyagé, durant plusieurs mois ! Je dois dire qu’à ma grande surprise tout le monde est resté uni, y compris les politiques qui ont validé avec sérénité le programme. C’est ce qui a permis d’aller très vite.
Il y avait cinq projets… et celui de Jean Nouvel
L’on a organisé le concours international en décembre 2006 et le choix final de Jean Nouvel a eu lieu en mars 2007. Il faut dire que nous avions tous une idée fixe : il fallait que le concours soit clos avant l’élection présidentielle de mai, sinon on était mort ! Je dirais qu’il y avait cinq projets… et celui de Jean Nouvel.
La difficulté du projet de Nouvel était qu’il était ardu à comprendre au premier abord. Mais une fois que l’on avait fait l’effort de l’étudier dans toutes ses composantes, il s’imposait d’évidence. Il était, en effet, le seul qui répondait à toutes nos demandes et avait, de plus, pensé, imaginé le bâtiment dans son contexte, dans son paysage, dans la totalité des espaces possibles. Tout était mis en relation : le parc, le périphérique, Paris, sa banlieue… Il avait compris toutes les contraintes, tenu compte de la nécessité complexe et impérative de faire exister ce bâtiment placé en seconde ligne visuelle sans qu’il apparaisse comme une simple extension de la Cité de la musique. Cette nécessité avait comme toujours une raison programmatique, mais tout autant politique.
En effet, il fallait affirmer le primat de la Philharmonie, car la ville la finançait à 50/50 avec l’État, alors que la Cité de la musique, c’était l’État à 100%. La ville avait donc une très grande peur d’être et d’apparaître comme minoritaire. Le primat de la Philharmonie - par ailleurs, légitime du fait de ses 2 400 places - devait donc impérativement être immédiatement évident et visible dans l’espace ! Le projet de Nouvel répondait à la totalité de ces contraintes artistiques et politiques.
Moduler l’espace pour jouer sur toutes les formes imaginables du concert
Le deuxième élément, c’est la salle. Elle est le produit du travail de Nouvel et du cabinet d'acoustique néo-zélandais Marshall Day. J’ai aujourd’hui la certitude que cette réalisation sera pour l’avenir aussi marquante historiquement que le fut la Philharmonie de Berlin en son temps. Son modèle est enveloppant comme Berlin, mais, contrairement aux autres salles de ce type, tout y est pensé en fonction de l’intimité avec l’auditeur.
On se libère du gigantisme, grâce à l’idée géniale de décoller les balcons des murs, de créer entre eux des passerelles, comme on en utilise pour entrer dans un avion. Ces balcons dégagent de ce fait un volume extérieur en leur l’arrière. L’on a la même immensité globale de volume qu’à Rome ou Los Angeles, mais avec une intimité réinventée par ces balcons. Le point le plus éloigné du chef est de 40 mètres à Berlin, 45 à Los Angeles et 32 à la Philharmonie ! À Pleyel, le rapport chef – public est de 47 mètres pour cinq cents places de moins !
Ce n’est pas qu’une question de chiffres, cette proximité change le rapport même à la musique. Ce double volume créé par les balcons est prolongé par un design du plafond où les nuages acoustiques, la grande canopée centrale sont d’une grande beauté. Tous ces éléments sont exceptionnels tant sur le plan acoustique qu’esthétique. Généralement, les plafonds des grandes salles sont horribles. Lorsqu’on lève la tête on voit tout l’enchevêtrement des structures techniques, les alignements de micros, de fils, etc.
Ici rien de tel, rien qui ne gâche l’esthétique de la conception. Nouvel a répondu au cahier des charges, mais il a été plus loin encore que ce qui était demandé. Il a, et c’est essentiel, donné encore plus de flexibilité à la salle en imaginant un parterre transformable en un temps record. On peut ainsi passer très vite d’un parterre où les spectateurs sont assis à un parterre où ils sont debout. L’on peut, grâce à cela, également moduler l’espace pour la musique et les musiciens et jouer sur toutes les formes imaginables du concert. Les mêmes modularité et beauté esthétique sont à l’œuvre dans les salles de répétitions ouvertes au public.
La Philharmonie de Paris en chantier (nov. 2014) © philharmoniedeparis.fr
Ce lieu inspire comme aucun autre…
L’esprit qui fonde l’esthétique du bâtiment, renvoie à une conception très simple que Nouvel a de la musique. Par exemple, les oiseaux qu’il a mis sur la façade symbolisent l’envol, cela pourrait évoquer Messiaen, mais c’est bien au-delà de lui. C’est la légèreté, le côté impalpable de la musique, comme est légère la structure des balcons de la salle. Là, rien n’écrase… Tout est aérien… Comme sont « légers » les matériaux : l’aluminium lui-même, l’inox brillant qui sont comme des tourbillons sonores. J’aime tout cela, mais l’on n’a pas besoin nécessairement de le savoir, chacun peut aborder, ressentir ce bâtiment comme il l’entend. L’architecture toujours divise, mais il me semble que ce lieu inspire comme aucun autre…
Il y a l’histoire de ce bâtiment, l’histoire du projet, il vous faut maintenant faire face à la réalité de sa concrétisation et cela, c’est une tout autre histoire non ?
L.B. : C’est exact ! Mais comme pour les débuts de la Cité de la musique, il faut mettre le projet à l’épreuve du feu, il faut être pragmatique. Ne pas avoir peur du vide, dépasser le conformisme des professionnels et des équipes qui si vous les laissez faire ont tendance à n’utiliser que les fonctions traditionnelles de l’outil. Chaque concert doit pouvoir être une expérience, la technique le permet, les hommes doivent suivre.
C’est tout le problème que nous avons connu avec la salle de la Philharmonie 2-Cité de la musique dont la modularité était beaucoup trop lourde et complexe pour être réellement et fréquemment opérationnelle. Ensuite ce qui est fondamental pour moi, c’est qu’une salle doit avoir un but, une âme, une destination. Ici c’est très clairement le symphonique. Toute la décoration l’exprime. Mais pour que cela marche, il faut également pouvoir y intégrer les musiques populaires. La difficulté est que si le modèle est acoustiquement optimal pour l’orchestre, il faut pouvoir corriger l’acoustique pour ces autres répertoires. Cela, il faudra du temps pour l’explorer. C’est pareil pour la question de la lumière qui est utilisée très différemment dans le concert classique et dans certaines musiques populaires comme le rock.
Dans la salle Philharmonie 2-Cité de la musique on a modifié durant dix ans le plafond et les lumières avant d’arriver à répondre au mieux à ces besoins éclectiques. À la Philharmonie 1, les choses se posent de manière inverse, car il n’est pas question de détruire ce plafond exceptionnel ! Ce sera donc les musiques qui devront s’adapter à l’endroit et non pas l’inverse. Les artistes rock par exemple ne pourront pas lutter contre cette salle, même avec leur ingénieur du son. Toutes ces questions, la façon d’y répondre font pour moi tout l’intérêt, tout l’enjeu du projet. Le 14 janvier nous inaugurons un bâtiment, mais c’est aussi l’inauguration d’un complexe qui peut répondre à des demandes, des expérimentations multiples en utilisant tous ces espaces, tous ces possibles en devenir…
En vous écoutant parler avec passion de ce projet global, on peut s’inquiéter pour la Philharmonie 2-Cité de la musique qui risque d’apparaître comme un peu subalterne ?
L.B. : Est-ce légitime que le gros soit devant le moins grand ? Légitime peut-être pas, mais c’est inévitable. Une fois que l’on a dit ça, l’on n’a pas condamné la Philharmonie 2-Cité de la musique. On ne peut pas empêcher les êtres humains de penser en termes de hiérarchie… comment penser l’absence de hiérarchie ? Il y a d’un côté la soupe grossière que nous servent les politiques et parfois les gens de culture qui affirment que tout se vaut. Mais, l’on peut imaginer une autre façon de penser l’absence de hiérarchie qui ne signifierait pas une absence de repères.
La problématique de la Philharmonie 1, c’est le grand orchestre permanent mondialisé
La Philharmonie 1 sera jugée avant tout sur ses capacités de répondre aux besoins des grands orchestres. La problématique de la Philharmonie 1, c’est le grand orchestre permanent mondialisé, La Chine en ce moment construit quinze salles comme la Philharmonie 1 ! Il faut tenir compte de la mutation des usages, ce qui n’empêche pas de se poser des questions sur ces mutations !
Nous aurons donc l’Orchestre de Paris avec cinquante ou soixante représentations par an, les orchestres de régions, les orchestres internationaux. Toutes choses impossibles dans la Philharmonie 2-Cité de la musique. Déjà, Pleyel nous avait permis de programmer les grands orchestres qui avaient en grande partie disparu de la salle de la Philharmonie 2-Cité de la musique. En effet, seules quelques rares formations acceptaient d’y jouer quelques œuvres contemporaines spécifiques, comme un Xenakis spatialisé, ou la Symphonie Fantastique à 60 musiciens…
Par ailleurs, hors de cette grande forme, il est évident que l’on ne programmera pas un jeune pianiste émergent à la Philharmonie 1, où seront programmés de grands noms comme Argerich, Freire, etc., des artistes ayant la capacité d’attirer un public plus nombreux. La philosophie de la Philharmonie 2 s’impose d’évidence : c’est le contemporain et le baroque de type monteverdien ( le grand baroque sera donné par Christie ou d’autres à la Philharmonie 1) ce sont les concerts sur instruments d’époque, les petites formes symphoniques, les musiques de chambre.
La Philharmonie 2-Cité de la musique est aussi idéale pour le jazz et les musiques actuelles, tant par l’espace que par l’acoustique. Voilà la répartition idéale. Après cela, reste à affiner la répartition des artistes. Comment jouer sur la notoriété ? Quelle stratégie adopter lorsque l’on n’est pas dans le pur symphonique dans la Philharmonie 1 ? Là encore, le pragmatisme et l’expérience au jour le jour permettront de trouver les réponses…
C’est une description effectivement idéale. Mais vient alors à l’esprit ce qui pour beaucoup n’est pas idéal et même douloureux, voire insupportable : la question de Pleyel et de la suppression du répertoire classique de sa programmation ? Vous revendiquez ne pas avoir peur des ruptures, pourquoi celle-là ?
L.B. : Sur cette question, je ne vois pas d’autre voie que d’assumer totalement ce qu’on me reproche ! Cela part d’un raisonnement que l’on peut trouver cynique, je le reconnais. Mais, durant des années, beaucoup de défenseurs de Pleyel ont usé d’un même cynisme, lorsqu’ils se sont organisés en lobbies, ont joué de leur parfaite entente avec des corps constitués bien placés dans les réseaux de hauts fonctionnaires y compris dans des cours de contrôle financier. Ils ont utilisé tous les moyens en leur pouvoir, pour faire capoter le projet de la Philharmonie et son ouverture vers d’autres publics. Leur argument principal était que ces « autres publics » ne viendraient pas car il n’avaient rien à faire de ces répertoires appréciés des seules élites !
J’assume le cynisme qui consiste à supprimer le classique à Pleyel dans l’intérêt de la Philharmonie
Au nom d’une telle vision culturelle, Pleyel faisait effectivement parfaitement l’affaire. Je ne me sens donc pas gêné et j’assume le cynisme qui consiste à supprimer le classique à Pleyel dans l’intérêt de la Philharmonie et de son projet d’ouverture et de développement des publics. J’ajoute qu’agissant ainsi, je prends finalement leurs critiques au sérieux. En effet, on ne peut pas à la fois douter que le public viendra à la Philharmonie et me demander de maintenir le classique à Pleyel. Ils ont raison, il n’est pas possible de créer une telle concurrence !
J’ajoute que cette fermeture de Pleyel au classique se justifie par le fait que dans le même temps Radio France et L’île Seguin ouvrent des salles largement destinées au classique dans l’ouest de Paris où se trouve également le Théâtre des Champs Élysées. L’idée donc que je dépouillerais l’Ouest parisien du concert classique fait sourire dans cette nouvelle configuration. Se rajoute à cela un argument économique. Le risque majeur avec la maintenance du classique à Pleyel, est de créer une concurrence qui fera monter les tarifs des grands orchestres internationaux, qui savent parfaitement faire jouer la concurrence et la surenchère financière qui l’accompagne. Toutes les salles parisiennes ont à y perdre. Personne ne pourra suivre, sauf à augmenter les prix des places, ce qui est incompatible avec notre projet.
Il y a donc des règles d’équilibre économique dont il est impossible de s’affranchir. Le dernier argument, dont très curieusement la Cour des comptes n’a absolument pas tenu compte, c’est qu’on nous a demandé au départ de reprendre au privé la gestion de la salle Pleyel, de la rénover en faisant payer la rénovation au propriétaire privé et de nous engager dans un processus de location de longue durée. Après réflexion, cela nous a conduit à ce que la Cité de la musique rachète Pleyel en 2009, car au final cela coûtait moins cher que cette location longue de 35 ans. Nous l’avons payée 60 millions d’euros, sur nos fonds propres, grâce à un prêt du Trésor que nous remboursons sans rien demander à personne.
Avec la suppression du classique à Pleyel, l’État n’a plus à subventionner cette salle et économise cinq millions d’euros par an. De plus, l’opérateur de musiques actuelles choisi pour Pleyel devra nous payer une redevance qui nous permettra de rembourser le prêt d’achat de Pleyel. Dans trente ans, une fois le prêt remboursé, l’opération générera des bénéfices pour la Philharmonie et des économies pour les finances publiques. Là encore, ce qui me guide, c’est une vision à long terme. Je veux bien entendre toutes les critiques, mais ce modèle économique n’est pas critiquable. Il est vraiment une option vertueuse de gestion.
Que l’on soit pour ou contre, l’on peut entendre l’ambition du projet et de son architecture et même la justification de la suppression du classique à Pleyel. Reste un sujet de polémique, certes très terre-à-terre, mais néanmoins très préoccupant : l’accès à la Philharmonie. En effet, douée d’une virtuosité et d’une volonté toute particulière pour générer des embouteillages, la Mairie de Paris semble s’être surpassée avec l’aménagement de l’avenue Jean Jaures, l’accès à la porte de Pantin, l’absence de projet de transports en commun spécifiques. En clair, l’accès à la Philharmonie est en l’état un véritable challenge, voire certains jours un cauchemar auquel même les taxis et les bus n’échappent pas. Qu’en pensez-vous ?
L.B. : c’est un souci réel. Nous avons fait tout ce qui était possible à notre niveau pour améliorer les choses. Nous avons imaginé un nouveau parking qui n’est pas encore tout à fait opérationnel, nous allons organiser nos propres navettes de retour qui ramèneront une partie du public dans différents points au cœur de Paris.
Concerts à 20h30 en semaine
Nous avons décalé l’heure des concerts de 20 heures à 20h 30 en semaine. Tout cela n’empêche pas une véritable inquiétude face à ce problème qui nous dépasse et sur lequel nous n’avons pas tous les pouvoirs. Vous avez raison, la situation est aggravée par le fait que la mutation des transports en commun ne s’opère pas et que la circulation ne s’améliore pas, l’un ne pouvant aller sans l’autre. Nous sommes dans l’inconnu total, car il est difficile de prévoir avec certitude quelles seront les modifications de la circulation dans Paris. Les surprises peuvent être bonnes ou mauvaises.
Aujourd’hui, je n’en vois pas les traces positives en dépit des chiffres annoncés concernant la baisse de l’utilisation de la voiture. J’ai tendance à me méfier des rigidités idéologiques des thèses écologistes, surtout quand je constate que le maire écologiste de Grenoble annonce en même temps la suppression de la publicité dans sa ville et la suppression des subventions aux Musiciens du Louvre !
Mais, là encore il faut tenter de penser les choses sur le moyen et long terme. On ne peut pas présumer des effets de leurs politiques : par exemple le développement des deux roues couplé avec le rajeunissement de notre public pourrait avoir un effet très bénéfique sur les problèmes d’accès… Il va donc nous falloir, là encore, travailler la question dans le temps, au fil de l’expérience…
Vous parlez et pariez beaucoup sur les vertus de l’expérience. Vous-même, depuis 2001, qu’avez-vous appris de cette longue expérience autour de la Philharmonie ?
L.B. : J’ai appris à me contrôler (rires) ! Il faut s’appliquer à gérer tellement de processus en même temps : le projet artistique, la vie quotidienne, la gestion des politiques et des tutelles, celle des rapports de force de tous ordres et, pour finir, celle d’un chantier dont on n’imagine pas avant de l’avoir vécue ce qu’elle implique d’obstacles matériels et d’imbroglio humain…
Une fable emblématique de la société politico-culturelle française
Je connaissais les complexités de l’histoire de la construction du Centre Pompidou et de l’Opéra Bastille, mais je pense qu’avec la Philharmonie nous avons atteint un paroxysme. Face à cela, il n’y a pas d’autre alternative que développer sa capacité à garder le contrôle. Je pense que je n’aurais pas pu, pas su il y a dix ans… j’aurais donné ma démission à contretemps… peut-être explosé en vol… que sais-je ? Mais le revers du contrôle et de l'expérience acquise, c'est qu'ils peuvent devenir un frein. Ils peuvent vous couper de la spontanéité de la jeunesse, de l'enthousiasme face à la nouveauté et à l'expérimentation, etc. Il faut donc lutter contre ce risque de repli. Cette aventure m'a obligé à aller chercher plus loin encore en moi-même, me remettre profondément en question.
Lorsque l’on vous écoute raconter votre vision de cette histoire, l’on peut y entendre une fable emblématique de la société politico-culturelle française ?
L.B. : C’est tout à fait vrai. J’y vois notre difficulté à regarder devant nous. Notre capacité collective à posséder tous les atouts et le refus du changement. Les lignes de front auxquelles il faut faire face, ne sont pas droite-gauche, mais peuvent être État contre Mairie, Président de la République contre Premier ministre, ministre de la Culture contre ministre du Budget, etc. Le plus étonnant, c'est qu'en même temps, droite ou gauche, l'on peut mettre beaucoup de politiques et de décideurs dans le même sac. Ils sont souvent construits dans le même moule. Il n'y a pas une spécificité du profil des politiques mais une sorte de "mode républicain univoque" et cette uniformité, cette conformité aux mêmes normes, que dépassent heureusement quelques fortes personnalités, est le miroir de notre
société. Pour finir sur une note optimiste, il faut se réjouir que, contre toute attente,"il existe une capacité de décision et d'ambition qui fait la grandeur de la politique et qui, si l'on sait s'en saisir et l’utiliser au bon moment, permet tout de même de réaliser de grands projets qui seraient impossibles dans un autre pays dans le même état de crise… Tout cela est totalement contradictoire. Ce qui est sûr, c’est que c’est plus jouissif à raconter après coup qu’à vivre dans l’instant"…
Propos recueillis par Jeanne-Martine Vacher, le 18 décembre 2014
Site de la Philharmonie de Paris : www.philharmoniedeparis.fr
Photo © Patrick Messina
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