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Une interview de Myrtò Papatanasiu, soprano – Instinct mozartien

Encore peu connue du public, la soprano grecque Myrtò Papatanasiu fait escale à Paris pour incarner Sifare dans le Mitridate de Mozart. A la fois sensible et intrépide dans ses choix artistiques, qui l’ont conduit à alterner Verdi, Dvořák, Rossini, Gluck et Leoncavallo, la cantatrice voue depuis ses débuts un culte à Mozart dont elle est devenue l’une des plus enthousiasmantes ambassadrices. Nous l’avons rencontrée à quelques jours de la première de la nouvelle production de Mitridate signée Clément Hervieu-Léger, présentée d’abord au TCE du 11 au 20 février, puis à l’Auditorium de Dijon du 26 février au 1er mars.
 
Vous voici à Paris pour interpréter Sifare dans le Mitridate de Mozart, après avoir chanté Fiordiligi et Alcina (1). Sifare est un rôle travesti, aussi bien confié à des sopranos qu'à des mezzos : quelles difficultés vocales avez-vous rencontré avec ce personnage ?
 
Myrtò PAPATANASIU : Je crois très sincèrement que tous les rôles de cet opéra sont d'une extrême difficulté ; sa construction est fondée sur une grande quantité d'airs et de récitatifs et l'absence d'ensemble, à l'exception d'un duo et d'un petit finale. Nous avons donc une grande responsabilité car nous devons retenir l'attention des spectateurs pendant trois longs actes. Sifare est selon moi un rôle de soprano car sa tessiture est haute, sa couleur plutôt sombre et si certaines mezzo l'on bien chanté, il convient davantage aux sopranos. La beauté de ce personnage tient au fait qu'il est toujours entre deux sentiments contraires, l'amour et la foi envers son père, l'envie d'assurer la protection d'une femme Aspasia, qui est aimée par un autre, et tout cela l'oblige à combattre des sentiments divergents comme la fureur de la passion et la nostalgie d'un amour perdu, son père ne pouvant le voir que comme un bon fils.
Chaque interprète doit transmettre toutes ces sensations dans des airs particulièrement développés, que nous donnons ici au TCE sans coupure. Mais je dois avouer que ce rôle que j'ai déjà chanté plusieurs fois me plaît beaucoup. Je pense que plus on le joue de façon naturelle, plus il est convaincant ; il suffit de croire profondément à ce que l'on dit, de laisser son corps suivre les sentiments dégagés par ce personnage, pour apparaître vrai, juste et sincère, en évitant d'en faire trop dans le côté viril au risque que cela devienne artificiel.
Dans cette production les personnages se retrouvent enfermés dans un théâtre tandis qu'au dehors la guerre fait rage. Sifare est une femme qui va essayer de jouer un rôle d'homme en enfilant des vêtements de soldats et finalement devenir ce personnage fictif. Chacun de ces êtres va trouver amusant de jouer un rôle au point de faire oublier qui il était au départ.
 
Comment faites-vous avec votre voix et votre technique, pour adapter votre instrument aux propres spécificités vocales de la Contessa, de Donna Anna, de Fiordiligi et en ce moment de Sifare, dont les tessitures sont très différentes ?
 
M.P. : Je crois que la technique est la base. Avec elle on peut affronter toutes les difficultés et j'en veux pour preuve le fait que j'ai abordé des œuvres aussi éloignées qu'Alcina, Rusalka, Semiramide ou Traviata, sans jamais avoir cherché à faire un autre type de sonorité, d'émission, car je laisse l'instrument comme il est et la technique me permet de trouver mon chemin. La seule chose que je change c'est le style, l'esthétique musicale, les petites choses qu'il faut donner dans le baroque, celles qui appartiennent à Verdi, ou à Mozart. Les écarts chez Mozart, je les affronte comme je le fais dans d’autres ouvrages, car il y a dans tous les opéras des passages virtuoses, périlleux, mais je les aborde avec calme et avec la même détermination qu'il s'agisse de Violetta, ou de Sifare. Là où il y a un challenge, j'avance avec sérénité et jusqu'à maintenant je n'ai jamais rencontré d'incident.
 
J'ai pu constater sur les vidéos postées sur le site du TCE que Clément Hervieu-Léger était très proche de vous, vous montrait le geste qu'il imaginait et jouait à vos côtés. Comment avez-vous vécu ce travail avec une personne qui avant d'être metteur en scène est un comédien ?
 
M.P. : Nous nous sommes très rapidement compris avec Clément et nous avons été surpris d’avoir à plusieurs reprises les mêmes idées, les mêmes sensations qui nous conduisaient à faire certaines choses identiques scéniquement. Depuis le début nous avons ressenti grâce à lui – c’est quelqu'un de charismatique et doux -, une atmosphère de travail très agréable qui nous a permis de créer ce spectacle dans les meilleures conditions.
 
Curieusement vous allez chanter cette année Mitridate à Paris, puis à Dijon dans la production de Clément Hervieu Léger et d'Emmanuelle Haïm, puis en mai à Bruxelles retrouverez à nouveau ce titre en compagnie de Michel Spyres, mais sous la direction de Christophe Rousset avec Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeil au plateau. Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec la musique de Mozart et quels autres rôles souhaitez-vous aborder dans le futur ?
 
M.P. : Oui... je voudrais aborder Elettra dans Idomeneo, c'est un rôle qui me manque : j'en ai beaucoup chanté et cette saison, le fait de partager tant de temps avec Mitridate est une chose vraiment particulière. Mon souvenir le plus marquant est ma première Donna Anna, un personnage que je fréquente depuis longtemps et qui est cher à mon cœur. J'aurais dû l'interpréter ici au TCE dans la production de Stéphane Braunschweig mais je venais d'avoir ma fille ; je me réjouis de revenir l'an prochain pour sa reprise et je viens d'ailleurs de l'enregistrer pour Sony avec Teodor Currentzis qui a déjà gravé Cosi fan tutte et Le Nozze di Figaro. Nous avons eu la chance de réaliser ce projet pendant deux semaines en Russie dans un théâtre mis à notre disposition à Perm. C'est un luxe absolu aujourd'hui. La distribution réunie Dimitri Tiliakos (Don Giovanni), Karina Gauvin (Donna Elvira), Vito Priante (Leporello). Anna est sans aucun doute mon rôle préféré.
 
A quel moment savez-vous exactement qu'un rôle est fait pour vous, pour votre voix et votre caractère ?
 
M.P. : Dès que je vois la partition je peux imaginer si ma voix correspond au rôle ou pas. Je n'ai pas besoin d'être sur scène pour le savoir, car lorsque j'ai la partition en mains et que j'écoute un enregistrement, je sais si le rôle me convient, de manière instinctive. J'espère que cet instinct sera toujours bon, mais pour le moment c'est ainsi...
 
Grecque née à Larissa en Thessalie, vous êtes restée très liée à votre pays où vous chantez souvent au Megaron Music Hall, à l'Opéra National Grec ou au Festival d'Epidaure. Quel est votre point de vue sur le nouveau Centre Culturel de la Fondation Niarchos, un lieu dédié à l'art et à l’opéra, qui doit ouvrir très prochainement ?
 
M.P. : Il m'est très difficile de répondre à votre question, car mon pays souffre depuis plusieurs années et la période qu'il traverse est vraiment terrible : je ne suis pas certaine que l'ouverture d'un nouveau théâtre soit une bonne chose dans de telles conditions, car nous n'avons aucune certitude quant à sa gestion. Nous savons parfaitement qu'en temps de crise la culture et l'éducation sont toujours les secteurs qui souffrent en premier lorsqu'il faut trouver des économies. J'espère cependant de tout mon cœur que les choses vont bien se passer car cette aventure est belle, même si la situation est dramatique en Grèce. Nous verrons... je suis quelqu'un de positif alors je ne veux pas paraître pessimiste. De plus j'ai été abordée pour y chanter...
 
La dernière production de Mitridate à Paris remonte à 2000 (Châtelet) : elle était dirigée par Christophe Rousset, mise en scène par Jean-Pierre Vincent, avec Giuseppe Sabbatini, Barbara Frittoli, Patrizia Ciofi et Sandrine Piau dans les principaux rôles. Que diriez-vous à ceux qui hésitent encore à se rendre au TCE pour écouter un opera seria du premier Mozart, encore mal connu et trop rare sur scène ?
 
M.P. : Mais qu'il est toujours bon de découvrir ce qui est rare et plus encore plus de venir au théâtre pour écouter une œuvre magnifique, composée par un jeune homme de quatorze ans seulement, truffée de passages musicaux magiques. Quand on pense que ces harmonies, ces mélodies, cette orchestration ont été imaginées par un adolescent, cela devraient suffire pour susciter l'envie de découvrir pareille merveille. Je pourrais ajouter que cet opéra reflète également le style napolitain et donne à entendre ce qu'était la bravoure vocale des castrats de l'époque. Mozart a voyagé dans toute l'Italie et est resté stupéfait en découvrant ces chanteurs dont il n'imaginait pas les possibilités et ne s'en est pas remis. J'aime vraiment Mitridate et je le conseille sincèrement à tous ceux qui ne le connaîtraient pas encore. 
 
Propos recueillis et traduits de l'italien par François Lesueur, le 1er février 2016
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(1) au Palais Garnier en 2013 et 2014
 
Mozart : Mitridate
Les 11, 14, 16, 18 & 20 février 2016
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr/saison/opera-mis-en-scene/mithridate?parentTypeSlug=opera
 
Les 26, 28 février et 1er mars 2016
Dijon – Auditorium
www.concertclassic.com/concert/mitridate-de-mozart
 
 
Lire le dossier « Racine à l’opéra » d’Olivier Rouvière : www.concertclassic.com/article/racine-lopera-une-presence-discrete
 
Photo © DR
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