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« Viva la Mamma ! » de Donizetti à l’Opéra de Lyon - Naouri de se voir si belle… – Compte-rendu

Compositeur prolifique, Donizetti est l’un des rares auteurs de son temps à s’être illustré avec succès dans le drame (La trilogie des Tudor, Roberto Devereux, Lucrezia Borgia, Poliuto… ) comme dans la comédie. Si Don Pasquale, L’elisir d’amore et La fille du régiment n’ont jamais quitté la scène, Le convenienze ed inconvenienze teatrali, dramma giocoso composé en 1831, rebaptisé « Viva la Mamma ! », n’a pas eu le même destin et l’on comprend aisément ce qui a poussé la direction de l’Opéra de Lyon à confier ce titre à Laurent Pelly, dont les affinités avec l’univers donizettien ne sont plus à prouver.

Cet opéra sur l’opéra, parodique et endiablé lui a inspiré un nouveau spectacle savoureusement comique. Dans un décor impressionnant de théâtre transformé en parking (Chantal Thomas), le metteur en scène convoque d’étranges personnages, sortes de fantômes sortis du passé, afin de raconter en flash-back l’histoire d’une troupe un peu folle réunie pour créer une œuvre qui ne verra jamais le jour.
Théâtre dans le théâtre, passé/présent, décor actuel et décor ancien ; cet audacieux dispositif permet ainsi de jouer avec les époques et d’apporter au propos un rien désuet, un relief et une vitalité insoupçonnés. Par ce truchement, cette comédie burlesque prend des allures de revue à l’américaine dont le rythme, les débordements scéniques et les costumes (Jean-Jacques Delmotte) apportent à l’ensemble une couleur et une cohérence parfaites. Au final, une fois la troupe envolée, l’écroulement du plafond et l’intrusion brutale d’ouvriers armés de marteaux piqueurs venus détruire ce bel écrin de province, réserve au spectateur un ultime –  et percutant ! – coup de théâtre.
 
Facétieux, Donizetti aidé par son librettiste Domenico Gilardoni se plait à caricaturer le monde de l’opéra, créant une galerie de personnages extrêmement bien typés, mus chacun par la mesquinerie, la vanité, la jalousie ou l’envie. Dans le rôle travesti de Mamma Agata, mère castratrice et cantatrice ratée, au tempérament écrasant, Laurent Naouri physiquement saisissant et vocalement étonnant, réussi une composition hors normes. Plus à l’aise que jamais dans son corps et dans sa voix, le baryton focalise l’attention grâce à sa présence envahissante et équivoque et à un instrument qu’il trafique à l’envi vers l’aigu – jusque dans l’improbable version de l’air du saule tiré de l’Otello de Rossini, transformé en un numéro impayable.

Patrizia Ciofi (la Prima Donna) © Stofleth
 
Le plateau est complété par une autre étoile avec la vibrionnante Prima Donna, cousue main, de Patrizia Ciofi, elle aussi familière de l’univers de Pelly qu’il soit sombre (Les contes d’Hoffmann) ou comique (elle fut la plus étourdissante Fille du régiment à Barcelone et à Londres). Burlesque à souhait, sa Daria capricieuse, au caractère bien trempé est la seule capable de tenir tête à cette ogresse d’Agata (duetto « Ch’io canti un duetto »), à se singulariser par ses vocalises et sa capacité à en faire toujours plus que les autres (1er air « Ah vicino e il bel momento »), ou à mener la revue lors de son « rondo » survolté, avec plumes au chapeau et robe à panier, pour le plus grand plaisir du public.
A côté de ces deux prestations, Pelly n’oublie pas les autres et notamment Enea Scala (Guglielmo), primo tenore, un rien coincé et pleutre face à Agata, auquel il réserve un « numéro spécial » pendant son air solo, exécuté avec une incroyable bravoure et une débordante vis comica, sans oublier Procolo, le mari de la diva (Charles Rice) qui propose ses services pour remplacer le contre-ténor, mais s’avère d’une rare médiocrité dès qu’il se retrouve sur scène. Sur la réserve, la charmante Luigia de Clara Meloni se révèle malgré son imposante mère, capable de chanter et d’émouvoir pendant son air.
Le reste de la troupe, comme dans une comédie d’Howard Hawks, est pris de frénésie, qu’il s’agisse de Pipetto (Katherine Aitken), du chef d’orchestre Biscroma de Pietro di Bianco, du poète d’Enric Martinez-Castignani, de l’imprésario de Piotr Micinski ou du directeur de théâtre interprété par Dominique Beneforti, subissant les récriminations et les injonctions des uns et des autres avant d’être contraints à abandonner leur beau rêve de création et de prendre la fuite, faute d’argent.
 
Précis dans son geste comme dans sa pensée, fluide et pertinente, le jeune Lorenzo Viotti fait crépiter les instruments de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec un indéniable talent, pour rendre à cette partition son charme, sa délicatesse et sa cocasserie.
 
François Lesueur
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Donizetti : «Viva la Mamma ! » – Lyon, Opéra de Lyon, 30 juin ; prochaines représentations le 6 et 8 juillet 2017 / www.opera-lyon.com/spectacle/viva-la-mamma
Diffusion du spectacle sur grand écran le 8 juillet dans toute la région Auvergne-Rhône-Alpes / www.opera-lyon.com/page/lopera-sur-grand-ecran

Photo : Pietro di Bianco (Biscroma) & Laurent Naouri (Mamma Agata) © Stofleth

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