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1er Festival Palazzetto Bru Zane aux Bouffes du Nord - Rareté et enthousiasme - Compte-rendu
Quintettes pour piano et cordes de Théodore Dubois et de Reynaldo Hahn : le Palazzetto Bru Zane aura résolument misé sur la rareté lors de la soirée inaugurale de son 1er Festival parisien avec deux ouvrages oubliés représentatifs du répertoire que le Centre de musique romantique française de Venise s’est donné pour mission de faire redécouvrir. Une belle surprise attendait les curieux qui avaient fait le déplacement aux Bouffes du Nord, tant en raison des qualités des partitions proposées que du niveau et de l’enthousiasme des interprètes.
Est-ce le fait d’avoir travaillé avec Aldo Ciccolini qui a donné à David Violi son goût pour la musique française méconnue ? Il témoigne en tout cas d’une belle curiosité en la matière. Après avoir remarquablement défendu l’opulent – et redoutable ! - Concerto n°2 de Marie Jaëll dans le cadre du Piano(s) Festival 2012, il était cette fois l’un des protagonistes d’une soirée l’associant au Quatuor Ardeo. En habituée du Festival de Pâques de Deauville et de la Fondation Singer Polignac, cette formation toute féminine a développé un penchant pour des répertoires inédits.
L’ « affaire Ravel » n’avait pas encore éclaté – il était encore directeur du Conservatoire de Paris – lorsque, le 15 janvier 1905, Théodore Dubois fit entendre son Quintette en fa majeur. Initialement conçu avec hautbois, il peut aussi être interprété en remplaçant l’instrument à vent par un violon. Telle est l’option choisie pour une interprétation franche et sensible, pleine d’élan et de sève. Portés par le piano richement timbré de David Violi, les quatre archets font chanter les deux allegros à pleins poumons. On ne cède pas moins au charme d’une Canzonetta au lyrisme heureux ou à celui d’un Adagio non troppo où les instruments dialoguent dans une atmosphère nocturne.
Reynaldo Haydn n’est pas seulement l’auteur de Ciboulette et autres partitions légères – et merveilles du genre au demeurant. On lui doit aussi de superbes mélodies (les Etudes latines ou les Chansons grises par exemple comptent parmi les bijoux de ce répertoire) et des pages instrumentales très abouties. Madga Tagliaferro avait été la créatrice d’un beau Concerto pour piano en 1931 et la musique de chambre recèle de petits trésors, tel le Quintette en fa dièse mineur (1921, créé à Gaveau en 1922) – que l’on a pu découvrir il y a une quinzaine d’années grâce à un premier enregistrement mondial réalisé par Alexandre Tharaud et le Quatuor Parisii (1). Bien éloigné de l’agitation « Groupe des Six », Hahn signe une partition d’un charme irrésistible. Il n’a que faire de surprendre, d’épater, mais touche continûment par sa pudeur, son élégance et le naturel d’une inspiration que les interprètes restituent avec autant de conviction que de fraîcheur, en conjuguant fermeté de la ligne et délicatesse du coloris.
Invité du festival le lendemain, Wilhem Latchoumia proposait un récital qui aura lui aussi fait le bonheur des amateurs de pages peu courues. Dans les quatre Esquisses op 63 d’Alkan, l’interprète se joue des difficultés pour distiller une poésie étrange, très elliptique. On se prend à rêver de Latchoumia dans la Sonate « Les 4 âges » - elle aurait une sacrée allure sous ses doigts aussi virtuoses que poètes !
Suivent diverses pages de Wagner que le pianiste a beaucoup jouées depuis quelques mois. On l’avait entendu à Venise à la rentrée dernière ; l’interprétation a depuis gagné en fluidité, en couleur, en densité, qu’il s’agisse de la surprenante Fantaisie en fa dièse mineur, composition de jeunesse (1829-1832) dont l’interprète explore les atmosphères changeantes avec un sens narratif prononcé, ou de transcriptions et paraphrases. La concentration de la première des Trois Pièces d’Alfred Jaëll tirées de Tristan et Isolde contraste avec l’enivrante ampleur symphonique que le pianiste ose dans l’illustre Mort d’Isolde lisztienne dont les basses abyssales fascinent sans céder à l’effet. En conclusion, la Paraphrase sur la Walkyrie d’Hugo Wolf parvient à une convaincante unité. Le lyrisme vibrant que Wilhem Latchoumia lui imprime souligne l’admiration éperdue du jeune compositeur pour son illustre collègue.
Alain Cochard
(1) 1 CD Naïve / Valois Auvidis / V 4848
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 8 et 9 juin 2013
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Photo : Victor Tonelli
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