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21e Festival Sinfonia en Périgord - BWV 244a : une passionnante hypothèse - Compte-rendu



Le Concert spirituel, Akademia, Doulce Mémoire, Le Parlement de Musique, etc. : Sinfonia en Périgord faisait appel cette année à plusieurs ensembles baroques connus depuis longtemps déjà. Mais à l’orée de la 21e édition c’est à la jeunesse et aux talents nouveaux que le festival périgourdin a fait confiance avec d’abord Raphaël Pichon (photo) et son Ensemble Pygmalion.



Après Dardanus en ouverture du Festival de Beaune début juillet, le jeune chef et ses chanteurs et instrumentistes réservaient à Sinfonia en Périgord la primeur d’une création-reconstitution qui les mène par la suite dans d’autres importants festivals (Sablé samedi dernier, Musikfest Bremen le 13 septembre, Festival d’Ile-de-France, à Taverny, le 17 septembre). La Köthener Trauermusik, BWV 244a proposée par Pygmalion résulte d’un important travail de recherche et de parodie mené par Raphaël Pichon et Morgan Jourdain sur un terrain déjà exploré dès la fin du XIXe siècle.



A la mort du Prince de Koethen en 1728 Bach écrivit une musique funèbre, aujourd’hui perdue, en hommage à celui qui avait été son employeur de 1718 à 1723.
On conserve toutefois, note Raphaël Pichon, « son livret et de précieuses informations sur sa facture (…), notamment au travers de la publication du livret de cette œuvre écrit par Henrici alias Picander, librettiste également de la Passion selon Saint Matthieu. Dès 1873, de premières recherches et études de l’œuvre de Bach permettent de constater la proximité du livret de cette musique funèbre avec de nombreuses arias de la Saint Matthieu : sonorités, nombre de vers et de pieds, caractères, etc. Pour exemple, le célèbre « Erbarme dich » de la Passion selon Saint-Matthieu ressemble à tous points de vue à l’aria « Erhalte mich » de notre Trauermusik. Ainsi, se dessine l’hypothèse d’une œuvre parodiant la Saint-Matthieu pour partie, et la Trauerode écrite elle un an plus tôt pour la mort de la Reine de Pologne. (…) Cette Trauermusik donne donc à entendre ce qui pourrait être la cantate la plus longue et ambitieuse de Jean-Sébastien Bach, et utilisant les deux chœurs extrêmes de la Trauerode BWV 198, ainsi qu’un chœur et neuf arias de la première version de la Passion selon Saint Matthieu BWV 244. »



Une passionnante hypothèse dans laquelle on suit avec bonheur Raphaël Pichon et ses troupes. En une demi-décennie d’existence seulement Pygmalion s’est hissé à un niveau qui lui permet de rivaliser sans la moindre difficulté avec des ensembles « installés » depuis longtemps dans le paysage baroque. Les qualités individuelles des instrumentistes (superbes violons !) et des choristes expliquent en partie les progrès énormes de Pygmalion depuis ses débuts. Sur ces fondements solides, Raphaël Pichon a su affirmer une vraie identité qui allie richesse de la sonorité et sens de la ligne. Pas un temps mort dans cette Trauermusik menée avec autant de simplicité que d’élan par un jeune chef extrêmement attentif à ses solistes - et qui a en outre su s’adapter en l’espace de quelques minutes à l’acoustique « spacieuse » de l’Eglise Saint-Etienne de la Cité.
A ses côtés Sabine Deveilhe (sop.), remarquée récemment dans un tout autre répertoire lors du concert des Lauréats ADAMI 2011 à Prades, Carlos Mena (alto), Emiliano Gonzalez Toro (ténor, présent depuis les tout débuts de Pygmalion), Peter Harvey (basse) donnent le meilleur d’eux-mêmes tout en s’inscrivant toujours dans la cohérence d’un projet, dirigé certes mais d’abord porté avec ferveur par un vrai poète des sons. On allait oublier ; à propos de poésie, mention spéciale au violon de Sophie Gent et à la flûte de Georgia Browne !



Finissait en beauté une journée de musique commencée un peu plus tôt avec Le Petit Concert Baroque, duo de clavecins constitué par Chani et Nadja Lesaulnier, deux sœurs qui ont fait de la transcription d’œuvres en général vocales leur spécialité. Sens du dialogue, fraîcheur : dans Haendel, Bach ou Vivaldi, le tandem Lesaulnier séduit tant par le naturel que le fini et la musicalité de son approche. Se refusant à écrire leurs transcriptions, les deux claviéristes renouvellent à chaque fois l’exercice face aux textes originaux. Ce point n’est sans doute pas étranger au rebond, au piquant, à l’étonnement qu’elles mettent dans leurs interprétations. Que de lyrisme aussi chez deux musiciennes habituées à travailler avec les voix, à la Schola Cantorum de Bâle en particulier, et qui savent faire de leur instrument le plus beau des chanteurs. Un duo à suivre de près ; concertclassic aura bientôt l’occasion de lui donner la parole.



Symbolique de l’importance que Sinfonia en Périgord accorde au chœur école Dordogne en Sinfonia, créé en 2009 en collaboration avec l’Agence Culturelle Dordogne Périgord et le Conservatoire de Dordogne, c’est à lui que revient d’ouvrir le 21e Festival à l’abbaye de Chancelade. Sous la direction de Michel Laplénie, qui anime ce chœur amateur depuis sa fondation, un ambitieux programme Schütz, Eccard, Carissimi, J.M. Bach, J. C. Bach et Purcell donne la mesure du travail accompli en deux saisons.
Paris ne s’est pas fait en un jour et il reste encore bien des progrès à accomplir de la part d’un ensemble que l’arrivée de quelques voix masculines supplémentaires permettrait de mieux équilibrer. Reste que l’implication de chacun des participants a conduit à de beaux et sincères moments d’émotion, dans la partie purcellienne du programme en particulier.




Alain Cochard




Festival Sinfonia en Périgord – Abbaye de Chancelade, 23 août ; Coulouniex Chamiers (châteaux des Izards), Périgueux (église Saint-Etienne de la Cité), 24 août 2011

Site de l’Ensemble Pygmalion : http://www.ensemblepygmalion.com

Site du Petit Concert Baroque : http://lepetitconcertbaroque.com

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Photo : Fondation Orange

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