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Aix-en-Provence - Compte-rendu : Passion de Pascal Dusapin - Une Passion à cloche-pied
On aime bien Pascal Dusapin. Son haut front d'intellectuel tourmenté, sa crinière romantique et sa longue silhouette bringuebalante d'ado prolongé composent un assez joli portrait d'artiste d'aujourd'hui. N'étaient ses costumes sombres de bonne coupe et ses chaussures cirées, avec ses lunettes noires, on pourrait le croire évadé d'un groupe de rock. Bref, un enfant du siècle doué du sens des affaires. Comme la qualité est au rendez-vous d'une oeuvre prolixe, le musicien estimé par ses pairs et reconnu par le public fait figure de chef de file de nos compositeurs quinqua. Les directeurs d'Opéras le sollicitent volontiers en sorte que c'est son sixième ouvrage lyrique qui vient d'être créé au Théâtre du Jeu de Paume dans le cadre du 60e Festival d'Aix-en-Provence.
Passion, c'est son titre, est né, nous dit l'auteur, d'un retour aux sources du genre opéré par une immersion dans les livrets des chefs-d'œuvre de Monteverdi. Ce qu'il ne dit pas, mais qui paraît évident, c'est que ce faisant, il y confronte une aventure singulière avec les affects baroques. Rien à redire à cela, car tous les chemins menant à la Rome lyrique sont les bienvenus. De même que le titre Passion est générique, les deux protagonistes, Elle et Lui, sont des abstractions des héros du mythe fondateur de l'opéra, Orphée et Eurydice. La différence entre Monteverdi et Dusapin, c'est que ce dernier inverse le vieux mythe: ça n'est plus l'homme, en effet, qui commet une faute en se retournant pour regarder l'aimée, mais cette dernière qui refuse de remonter des enfers avec son mari. Le féminisme est passé par là.
Pourquoi pas ? Les mythes sont là pour être revisités afin de mieux comprendre l'époque qui les interroge. Malheureusement, le compositeur a du mal à se dégager de son admiration pour la langue italienne des livrets monteverdiens... au point d'en oublier le B.A. BA du métier: obtenir son propre livret pour soutenir sa musique. On ne le répétera jamais assez: sans livret fort, point d'opéra. La plupart des créations lyriques contemporaines souffrent de ce déficit structurel, à commencer par le tout récent Melancholia de l'Autrichien Georg-Friedrich Haas créé au Palais Garnier. Mais Dusapin est d'autant plus impardonnable qu'il prétend s'inspirer de Monteverdi ! Lui, si cultivé, que ne s'est-il interrogé sur les interminables discussions qui, au passage de la Renaissance au Baroque, ont abouti à Florence dans l'entourage du Comte Bardi à la naissance de l'opéra, ce genre hybride où doivent s'équilibrer poésie des mots et force des notes ?
Cela lui aurait évité de tourner en rond inutilement par excès de répétition des mots et des situations. Il y a de la très belle musique dans Passion : on fait confiance à Dusapin. Mais comme il y a de belles images dans un mauvais film! Il nous livre une « cantate », pas un opéra. Par excès de pudeur du compositeur peut-être, les protagonistes, Elle et Lui, marivaudent sans jamais émouvoir le public. Dans sa mise en scène comme dans son décor unique, gris et triste, Giuseppe Frigeni fige encore plus une action aux limites de l'inexistence. La faute n'en revient certes pas aux excellents chanteurs, la soprano canadienne Barbara Hannigan et le baryton autrichien Georg Nigl, comme les six membres de Musicatreize qui se comportent comme des madrigalistes.
L'Ensemble Modern conduit par Franck Ollu rend justice à une partition foisonnante qui accompagne sans jamais la transcender une ligne vocale sans cesse bridée par des affèteries qui empêchent la passion de brûler avec la force qui caractérise l'art de Monteverdi. Une mention spéciale au claveciniste Ueli Wiget qui jette de somptueuses passerelles entre les scènes et les siècles.
Jacques Doucelin
Le 29 juin 2008.
Passion de Pascal Dusapin, Festival d’Aix en Provence , Théâtre du Jeu de Paume : 2, 4, 8, 10 juillet (20 h), et 6 juillet (à 17 h) 2008.
Prochains concerts à Aix-en-Provence
Photo : DR
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