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Après Béjart, d’Arantxa Aguirre - L’être et le devenir
Le roi est mort, vive le roi ! Mais dans la danse, peu furent rois autant que Béjart, et la question de son héritage est celle, terrible, de la survivance à la perte du génie. Rude est donc la tâche de Gil Roman, l’un de ses plus profonds interprètes et seconds, lequel a repris la direction du Béjart Ballet Lausanne depuis 2007, après la mort du maître. Comment faire durer une aventure quand le souffle s’en est éteint ? C’est le problème de tous les épigones, mais il est particulièrement épineux lorsqu’il s’agit de l’œuvre dansée, fragile, liée à son temps, vite caduque même lorsqu’elle a eu rang de chef-d’œuvre. Et rarissimes sont les ballets qui ont passé le cap d’un siècle, à la façon de la Sylphide et du Lac des cygnes, fortement remaniés bien sûr, puis de quelques chefs d’œuvres des Ballets Russes.
Quant à Béjart, son œuvre brille encore par le Boléro, impeccable coup de dés, et par l’inusable Sacre du printemps, le plus parfaite mise en pas de la plus parfaite des musiques de ballet, tandis que tant d’autres merveilles se sont vidées de leur sens, comme Messe pour le temps présent ou l’Oiseau de feu. Le chorégraphe, plus qu’aucun autre, était conscient de cet éphémère et allait toujours de l’avant, sans tenter de construire une œuvre. Mais il y a les gens, il y a les interprètes, il y a ces superbes jeunes gens dont la vie a été façonnée non seulement par leur ascèse à la barre, mais par cette enivrante envolée que le génie créateur du maître donnait à leur corps, à leur âme. Et ce message, Gil Roman entend lui garder vie, en le coulant dans des métamorphoses qui ne seront pas que des avatars du style béjartien, et en ne se cantonnant pas à une remise en scène perpétuelle d‘œuvres passées.
C’est ce que raconte ce joli et émouvant film, réalisé par une fervente admiratrice de Béjart, Arantxa Aguirre, qui a suivi de près l’aventure de Lausanne. La façon dont elle tourne autour de Gil Roman, personnage étrange, est une sorte de mise à nu permanente, où percent à la fois les angoisses et l’ego très présent du danseur-directeur, plus qu’un vrai discours sur la danse. Car le rapport Béjart-Roman ne fut pas que lit de roses, ce beau danseur au physique à la fois inquiétant et touchant, demeurant toujours en deçà de l’éclat solaire de George Donn, l’étoile historique de la compagnie. Un ange noir aux airs chaplinesques. Leurs relations d’amour-haine provoquèrent d’innombrables explosions avant que Béjart ne finît par admettre que parmi tous ces corps et âmes modelés par lui, Roman était sans doute le seul à pouvoir émerger, par la force de sa personnalité volontaire et torturée.
Aujourd’hui le voilà dans la brèche, chorégraphiant avec élan et un incontestable talent de nouveaux ballets pour la compagnie, notamment le bel Aria, et parvenant à éveiller chez les 34 danseurs la flamme sans laquelle ils ne seraient que des sportifs. La troupe apparaît dans une forme superbe, centrée autour de la personnalité juvénile et éclatante du français Julien Favreau. Le placé est parfait, l’intelligence des gestes donne à rêver, et leur simple déploiement en studio émeut par leur engagement. Attentif à cette nouvelle sève, le film est aussi zébré d’éclairs du passé, qui montrent de trop rares vestiges arrachés au temps, Jorge Donn bien sûr, mais aussi Paolo Bortoluzzi, Shonach Mirk, et le beau Jörg Lanner. Brefs moments d’éblouissement. Puis la jeunesse reprend la parole, passionnée, plus accomplie dans ses attitudes que ses devanciers, tant la technique a évolué. Roman montre qu’il sait la faire avancer, et l’on se prend à espérer pour ce Ballet du XXIe siècle, qui sort vaillamment de son orphelinat. Paris ne lui ouvre pas encore ses portes, mais il faudra l’attraper au cours de sa tournée française, sans faute.
Jacqueline Thuilleux
Après Béjart (film Arantxa Aguirre) - en salle le 19 janvier 2011.
Tournée du Béjart Ballet Lausanne du 30 mars au 14 avril 2011, à Rouen, Clermont-Ferrand, Nantes, Orléans, St Etienne, Marseille et Toulouse. www.bejart.ch/fr
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Photo : DR
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