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Au temps des trouvères - Une interview d’Antoine Guerber, directeur de l’ensemble Diabolus in Musica
Musiques de l’Ecole de Notre-Dame et chansons de trouvères : c’est d’abord autour de ces deux axes que s’est bâtie la réputation de Diabolus in Musica, une formation vocale dont la curiosité comble depuis dix-sept ans les amoureux de musique médiévale. Après une riche année 2009, Diabolus in musica attaque 2010 avec deux concerts, l’un à Paris (16 janvier), l’autre à Tours (21 janvier). Directeur de l’ensemble, Antoine Guerber répond à concertclassic.
En quoi Diabolus in Musica se singularise-t-il dans le paysage des ensembles spécialisés en musique médiévale ?
Antoine Guerber : Diabolus in musica ce sont déjà dix-sept ans d’existence, un long parcours donc… Notre spécificité est de travailler sur des répertoires rares, voire totalement inédits n’ayant plus été chantés depuis six cents, sept cents ou huit cents ans, parfois plus. Pendant toutes nos premières années nous avons défriché des pans de répertoire qui dormaient dans les bibliothèques. Nous avons proposés des inédits dans plusieurs domaines, notamment l’Ecole de Notre-Dame – avec un ensemble à voix d’hommes – et les chansons de trouvères. Elles sont vraiment un cheval de bataille de Diabolus in Musica : nous adorons défendre ce répertoire, l’ancêtre de la musique profane (avec les œuvres des troubadours qui sont devanciers). Nous nous sommes surtout attachés aux trouvères et à cette belle langue d’oïl – l’ancêtre de notre français moderne – pratiquée dans toute la France de Nord. Notre spécificité tient par ailleurs à la personnalité des chanteurs qui se sont investis depuis très longtemps – certains sont là pratiquement depuis les débuts de l’ensemble - ; nous avons forgé un son, une personnalité collective, en particulier dans les polyphonies. Je ne recherche pas un son impersonnel, un son absolument lisse. Je pars au contraire de la personnalité des chanteurs et je crois que ce travail est assez reconnu désormais.
2009 a été chargée pour vous, avec un particulier la création du festival « Les Méridiennes » à Tours : quel bilan tirez-vous de l’année qui vient de s’écouler ?
A. G. : 2009 a été une année très contrastée puisqu’il y a eu d’abord ce festival, qui était une idée un peu folle au départ. Démarrer un festival par les temps qui courent c’est assez culotté ! De plus nous avons voulu une formule très particulière avec des concerts courts de trente minutes à l’heure du déjeuner, suivis de dégustations. Des moments très conviviaux, faciles d’accès et décontractés qui nous ont valu des retours très positifs. Il ne s’agit pas du tout d’un festival spécialisé. Nous sommes certes un ensemble très spécialisé mais, sur dix concerts, il n’y a eu qu’un concert de musique médiévale – et ce n’est d’ailleurs pas Diabolus in Musica qui l’a donné. On a pu entendre du baroque, de la mélodie française, des airs d’opéras, du jazz, de la musique du monde ; un festival très éclectique et très ouvert donc. Compte tenu de l’accueil du public, nous recommençons cette année avec une 2ème édition plus développée des Méridiennes. Diabolus in musica se produira cette fois et il aura également deux concerts, l’un autour de l’organetto, l’autre du claviecythérium, deux instruments à clavier très rares. Mais Les Méridiennes resteront ouvertes à tous les autres répertoires – jusqu’à Stockhausen !
Sur le plan discographique, 2009 a marqué l’aboutissement de notre travail sur la Messe de Machaut. Il ne s’agit pas là d’un répertoire inédit, mais forts de notre parcours, de notre maturité, notamment dans les polyphonies à voix d’hommes, nous avons voulu nous frotter à l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la musique médiévale et apporter une vision très terrestre, très masculine, très virile de cette Messe dont nous tenions absolument à donner notre version – et ce disque a été très bien reçu.
2010 commence dans votre répertoire de prédilection, la musique des trouvères, avec deux concerts en janvier, l’un au Musée de Cluny à Paris, l’autre à Tours. Comment avez-vous construit ces deux programmes ?
A. G. : Le premier concerne ce fameux répertoire des trouvères, un répertoire immense (1360 mélodies, plus de 2000 poèmes dont les deux tiers ont leurs mélodies – il a de quoi faire donc…) sur lequel nous revenons régulièrement depuis une quinzaine d’années mais toujours avec des éclairages très précis, très pointus. C’est le cas au Musée de Cluny, le 16 janvier, avec « Rose tres bele », qui concerne les pièces féminines des chansons de trouvères (soit que l’auteur est féminin, ce qui est malheureusement assez rare, soit que le poème donne la parole à la femme). On retrouve toute la mentalité et la sensibilité féminines du Moyen Âge dans ces pages, qui seront données par trois chanteuses, une instrumentiste et moi-même.
Le concert du 21 janvier à Tours aborde les chansons des Minnesänger, ces poètes musiciens allemands qui ont suivi leurs devanciers français, troubadours et trouvères, et se sont mis à écrire dans leur langue, en ancien allemand. Dès le début du XIIIe siècle on trouve de très belles chansons de Minnesänger, certaines carrément copiées sur les chansons de troubadours ou de trouvères (ce que l’on appelle les contrafacta, c'est-à-dire que, sur une mélodie célèbre, un poème en allemand s’est substitué au texte originel en occitan ancien ou en français ancien). Ce programme nous permet d’explorer les rapports entre la musique des troubadours et des trouvères et celle des Minnesänger, ce qui est assez inhabituel pour nous dans la mesure où Diabolus in musica se concentre sur le répertoire français - mais ces incursions à l’étranger nous font toujours très plaisir !
Vous venez de souligner l’immensité du répertoire des trouvères. Où effectuez-vous vos recherches ?
A. G. : Pour les chansons de trouvères les choses sont relativement simples. Nous repartons toujours des sources, c’est aussi l’une des spécificités de Diabolus in Musica, et la plus grande partie des « chansonniers » de trouvères – ces grands livres du Moyen Âge, très épais, qui nous transmettent tout le répertoire, sont conservés à la Bibliothèque Nationale. Une large part du répertoire est donc facile d’accès. Après il faut bien évidemment savoir lire les textes et les notations ; mais c’est là une autre histoire…
Ciconia occupera plusieurs de vos concerts en 2010. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cet auteur ?
A. G. : Johannes Ciconia est un musicien génial et inconnu et j’estime qu’il devrait être aussi célèbre que Machaut, Dufay, Ockeghem ; les grands musiciens de la fin du Moyen Âge. D’origine belge, il a passé toute sa vie en Italie et l’on n’a retenu que son nom italianisé (Cigogne à l’origine). C’est un musicien très intéressant, très personnel qui se situe à la fin du XIVe siècle, à une époque où les auteurs tentent des audaces tout à fait étonnantes, notamment sur le plan rythmique – tout en étant ancré dans son temps Ciconia plaît en général aux amateurs de musique contemporaine. Par-delà ces détails techniques, il s’agit de musiques très suaves, très brillantes et très belles, sinon je ne m’y serais pas intéressé.
Quels sont les projets discographiques de Diabolus in Musica pour les mois qui viennent ?
A. G. : Le programme « Rose très belle » sort fin février chez Alpha(1). A la fin de l’année passée nous avons enregistré à l’Abbaye de Fontevraud le grand office de la Saint Martin (qui mêle du plain-chant et des polyphonies de l’Ecole de Notre-Dame). La parution de ce disque est prévue pour le début de 2011.
Entretien réalisé par Alain Cochard, le 29 décembre 2009
(1) le 25 février.
Pour en savoir plus sur Diabolus in Musica : www.diabolusinmusica.fr
Diabolus in Musica en concert
« Rose tres bele »
16 janvier 2010 – 19h
Musée de Cluny – Paris
Tél. : 01 53 73 78 16
www.musee-moyenage.fr
Mayenzeit – Chasons de troubadours, trouvères et Minnesänger
21 janvier 2010
Salle Ockeghem – Tours
Tél. : 02 47 42 13 37
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Photo : Robin Davies
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