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Baguette curieuse - Une interview de Pablo Heras-Casado, chef d’orchestre
On l’a surnommé «L’Andalou volant »… Munich, Salzbourg, Grenade – sa ville natale -, Paris, Los Angeles, Göteborg, Lisbonne, Fribourg, Stuttgart, Berlin, Houston, etc. : à 34 ans, Pablo Heras-Casado est l’un des chefs les plus demandés de la jeune génération et vient d’être nommé chef principal de l’Orchestre de St Luke à New York. Son secret ? « Je travaille beaucoup et j’étudie beaucoup », répond un musicien d’une curiosité hors du commun, également passionné par les arts plastiques et l’architecture.
Des polyphonies du XVIe siècle à la création contemporaine, le jeune maestro s’intéresse à tous les visages d’un art qu’il sert avec ferveur, préférant la mise en perspective des partitions au petit bout de la lorgnette de la spécialisation. Moment attendu pour Pablo Heras-Casado, jeudi 23 février il dirigera pour la première fois l’Ensemble intercontemporain dans un programme Donatoni, Gander et Monnet avant de retrouver (le 30 mars à Pleyel et le 1er avril à la Cité de la musique) le Philharmonique de Radio France. Concertclassic l’a interrogé au sortir de sa première répétition avec l’Intercontemporain.
La musique chorale a beaucoup compté au commencement de votre parcours ; enfant vous avez chanté dans une maîtrise, vous n’aviez pas 18 ans lorsque vous avez fondé l’ensemble vocal Capella Exaudi : en quoi cette pratique intensive de la musique vocale à vos débuts influe-t-elle sur le chef d’orchestre que vous êtes devenu ?
Pablo HERAS-CASADO : Il faut toujours respirer dans la musique, il faut toujours être organique. Je viens de répéter Cadeau de Donatoni avec les musiciens de l’Intercontemporain. Il s’agit d’une pièce magnifique pour petit ensemble, très rythmique, avec une pulsation très particulière, mais nous avons parlé plusieurs fois de la nécessité de respirer, de donner de l’espace pour répondre aux besoins organiques des instrumentistes. Qu’il s’agisse d’une oeuvre de Boulez, de Brahms ou de Palestrina, la musique obéit à des règles de tension mélodique universelles.
Quelles sont les personnalités qui, durant vos années de formation, ont le plus marqué votre conception de la direction d’orchestre.
P. H.-C. : Je me sens encore étudiant, chaque semaine qui s’ouvre est synonyme pour moi de découvertes, d’expériences nouvelles. Je ne ressens pas vraiment de distance entre la période actuelle et mes années de formation. Pour répondre à votre question, je pense que les deux professeurs qui m’ont le plus marqué sont le premier et le dernier, tout en ayant entre temps travaillé avec des personnes formidables qui m’ont beaucoup apporté.
Mon tout premier professeur a été Harry Christophers, auprès de qui j’ai étudié Palestrina,Victoria, Josquin, etc. Avec lui j’ai appris des choses fondamentales sur ce qui fait l’essence de la musique, sur ses règles universelles. Mon dernier professeur a été Pierre Boulez. Ma personnalité, ma façon de diriger et d’approcher les musiciens diffèrent des siennes, mais le respect de la partition comme source absolue de l’interprétation qui le caractérise me ramène à ce que j’ai appris à mes débuts. Il faut beaucoup étudier, beaucoup s’informer, connaître intensément tout le répertoire pour établir des relations, trouver une cohésion. Que je dirige Schubert, Strauss, Benjamin, Ligeti ou Lindberg, mon attitude face à la partition ne change pas de façon fondamentale. Ma responsabilité est de la laisser parler et de lui donner de l’espace.
Vous sortez à l’instant de la première répétition de ce qui sera votre premier concert avec l’Ensemble intercontemporain : quelles sont vos impressions ?
P. H.-C. : Je me sens très heureux. L’Ensemble intercontemporain a toujours été pour moi l’une des plus hautes références dans la musique du XXe et du XXIe siècle. Je dirige cette formation pour la première fois, mais je la connais déjà bien pour avoir assisté à des concerts, des répétitions. Je connais personnellement la plupart de ses membres. Depuis un bon moment déjà nous tentions de mettre un projet sur pied mais ça n’avait pas été possible jusqu’ici. J’attendais depuis très longtemps le concert qui aura lieu le 23 février. Je le savais déjà et je puis vous le confirmer après avoir travaillé avec eux : ces musiciens sont vraiment le « top » dans le répertoire contemporain !
Dans un peu plus d’un mois vous retrouverez le Philharmonique de Radio France. Presque une vieille connaissance déjà ?
P. H.-C. : Ma collaboration avec le Philharmonique a démarré en 2009 avec un programme de musiques de films - un répertoire que certains orchestres seraient tentés de considérer comme mineur. Il n’en a rien été avec les musiciens du Philharmonique ; ils se sont pleinement engagés et ont joué merveilleusement ! Par la suite nous nous sommes retrouvés pour des œuvres de Schubert, de Beethoven, de Berg, pour des projets pédagogiques aussi.
Elisabeth Leonskaja sera la soliste du Concerto n°2 de Prokofiev lors du concert du 30 mars à Pleyel…
P. H.-C. : Ce sera mon premier concert avec elle, mais je la connais depuis longtemps. Je me souviens de son intégrale des concertos de Beethoven à Grenade il y sept ou huit ans… Je me réjouis d’être son partenaire dans ce 2ème Concerto de Prokofiev au cours d’une soirée où je dirigerai par ailleurs Petrouchka de Stravinsky. Cette œuvre sera reprise le lendemain à la Cité de la musique avec L’histoire du soldat en complément.
Le Philharmonique est un orchestre que j’aime beaucoup. Depuis notre première collaboration nous avons eu au moins un projet par an. C’est un orchestre idéal par sa curiosité et sa flexibilité, et un vrai cadeau pour moi que de pouvoir le diriger !
Quelle place occupe l’opéra dans votre activité, avez-vous des répertoires de prédilection ?
P. H.-C. : Comme dans la musique symphonique la curiosité domine mon activité lyrique. J’ai dirigé aussi bien Iphigénie en Tauride que La Flûte enchantée, Nixon in China que Mahagonny ou, il y quelques mois, Matsukaze, une création mondiale de Toshio Hosokawa. L’année prochaine je ferai Rigoletto et la version française des Vêpres siciliennes. Tout m’intéresse dans le domaine de l’opéra.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 16 février 2012.
Ensemble intercontemporain, dir. Pablo Heras-Casado
(œuvres de Donatoni, Gander, Monnet)
23 février – 20h
Paris – Centre George Pompidou
Rens. : www.centrepompidou.fr
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Photo : Sonja Werner
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