Journal
Bon Barbier de Noël. Reprise à la Bastille de la mise en scène mauresque signée par Serreau
Les productions de Coline Serreau vieillissent bien : sa Chauve Souris offerte l’année dernière en cadeau de fin d’année au public de Bastille demeure formidable d’invention et de drôlerie, son Barbier de Séville, si contesté lors de sa première, une fois débarrassée des oripeaux de l’actualité (les Talibans, le Tchador, Kaboul), s’avère un modèle de direction d’acteur qui ne va pas chercher midi à quatorze heures. Le spectacle est un enchantement, dans les décors imaginatifs de Stehlé et Fontaine ; l’idée d’avoir fait franchir à l’opéra de Rossini le détroit de Gibraltar, voyage dont les intrigues du maître de Pesaro ne sont pas avares (L’Italienne à Alger, Le Turc en Italie), lui donne un faux air d’Enlèvement au Sérail, mais ce pourrait tout aussi bien être la Séville arabo-andalouse.
Peu importe, lorsque le grand voile qui masque la nuit s’envole au dessus du salon de Bartolo, toute la poétique tempête du II se déchaîne en même temps que Rosine se révolte. Serreau aime visiblement ce personnage de femme qui veut choisir son destin. Est-ce un lieu commun de dire que la musique du Barbier est divine ? Daniel Oren le sait, il nous la rend aussi légère que possible, fait ressortir ses affinités cachées avec l’univers mozartien (et justement avec celui de L’Enlévement au sérail, la sérénade d’Almaviva au I ne serait-elle pas une citation de celle de Belmonte ?). Les sopranos légers dans Rosine nous ont toujours laissé dubitatif, Maria Bayo n’y fait pas exception, elle manque de mordant, de caractère, se cantonne à une incarnation lyrique un rien passe partout.
Dans cette production où les chanteurs ne sont jamais trop éloignés de la salle, sa voix porte. Son médium s’est épaissi, l’aigu citronne toujours, mais l’incarnation est charmante. On peut rêver timbre plus séduisant que celui de Bruce Ford pour Almaviva, son charme physique compense une voix de bois aux aigus de moins en moins percutants à mesure que les années passent. Le Figaro frustre de Dalibor Jenis se débrouille en fin de compte assez bien, mais ce sont les buffos, qui sans avoir besoin d’en faire trop, remportent la palme : impayable Bartolo d’Alberto Rinaldi, soupçonneux et cauteleux à souhait, Basilio « pachaesque » de Kristinn Sigmundsson, Fiorello jouant plus que les utilités de Sergei Stillmachenko. L’air de Berta, l’épisode le plus loufoque de l’acte II qu’Alberto Zedda a réintroduit dans son édition, trouve en Jeannette Fischer mieux qu’une chanteuse de caractère, une actrice décoiffante que le public applaudi à tout rompre.
Attention, à compter de janvier, Maria Bayo cède la place à Joyce DiDonato, et le formidable Vladimir Ognovenko prend la relève de Sigmundsson. On vous en reparlera.
Jean-Charles Hoffelé
Le Barbier de Séville de Rossini, Opéra Bastille, le 23 décembre 2004.
Photo : Eric Mahoudeau
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