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Compte-rendu - 20e Festival d’Orgue de Saint-Eustache - Une stimulante diversité
Il serait difficile d'imaginer programmation plus inventive et diversifiée, plus riche en créations ou premières auditions, que celle conçue par Jean Guillou et l'ARGOS pour fêter les vingt ans de l'orgue reconstruit de Saint-Eustache et du Festival qui chaque année se tient dans l'église des Halles. D'où cette question lancinante : que faut-il donc faire pour que les amateurs de musique en général et d'orgue en particulier se laissent tenter ? Si le concert inaugural (7 mai), par Jean Guillou et Yanka Hekimova – de la Symphonie initiatique de Guillou, repensée pour deux organistes, à la Toccata du Tombeau de Couperin de Ravel transcrite – fut un succès public considérable, force est de dire que la « jauge » n'a ensuite cessé de faiblir : très honorable pour Vincent Warnier (15 mai), plus modeste mais encore satisfaisante pour Vérouchka (orgue) et Katherine (piano) Nikitine, pour devenir quasiment confidentielle, et incompréhensible, lors des 4ème et 5ème concerts. Ou bien est-ce précisément l'inédit, voire la composante contemporaine des programmes qui ont effrayé un public enclin à plus de routine ? Pourtant les concerts des 28 mai et 2 juin valaient le déplacement !
Connu en France pour ses interprétations de Messiaen, Ligeti ou Schoenberg notamment, l'organiste et compositeur Hans Ola Ericsson (né en 1958) proposait un programme suédois « orgue et électronique ». Avec pour commencer l'une de ses propres œuvres, Melody to the Memory of a Lost Friend (1985), évocation de la confrontation avec la mort de ceux qui l'ont frôlée avant de revenir à la vie – longue page étonnante, « éblouissant tunnel » à la fois extrêmement mouvant et statique, quasi hypnotique, orgue et bande étant intimement mêlés, presque indifférenciés. La Sonate d'Oskar Lindberg (1887-1955), prévue, ayant été déprogrammée, Ericsson enchaîna sur la Fantaisie et Fugue en ut (1909) d'Otto Olsson (1879-1964), imposant diptyque en réalité fractionné en de nombreuses sections, bel exemple néoclassique, rhapsodique et symphonique, d'une école nationale en quête d'individualité en un temps où l'orgue était dominé par les écoles allemande et française.
Suivit le Libera me (1980) de Sven-David Sandström (né en 1942), œuvre saisissante arc-boutée sur plusieurs siècles, sorte d'immense ricercare contemporain ancré dans l'histoire. Ce programme insolite et interprété en parfaite symbiose avec la personnalité de l'instrument, l'acoustique et les proportions du lieu, se referma sur la « Messe » d'Ericsson : The Four Beasts' Amen (1999-2000), vaste fresque commandée pour l'inauguration de l'orgue érigé à Göteborg dans l'esprit de Schnitger, le plus prestigieux maître facteur du XVIIe baroque nord-allemand, l'électronique faisant entendre, intensément mixés et présents, les timbres des principaux orgues historiques conservés de Schnitger (Norden, Stade, Hambourg, Groningen…). Un monde en soi, également un spectacle pour l'oreille en termes de spatialisation et de dialogue, pour une œuvre stylistiquement étonnamment composite – tour à tour contemporaine et « traditionnelle », parfaitement accessible comme l'ensemble de la soirée : si musique d'aujourd'hui + maîtres suédois inconnus du public hexagonal furent la cause de la désertion du public, celui-ci aura eu grand tort…
Le concert du 2 juin était donné par une figure bien connue à Saint-Eustache, Bernhard Haas (né en 1964), pédagogue réputé auprès duquel on vient de loin, mais aussi de France, pour travailler dans sa classe de la Musikhochschule de Stuttgart. La première partie de son programme était placée sous le signe des troisièmes sonates d'un répertoire ouvert : Troisième de Mendelssohn, sobrement restituée, avec panache et solidité, foi et tempérament ; Troisième de Bach (en trio), nécessairement « augmentée » sur le plan des timbres pour habiter l'espace, ni baroque ni romantique, articulée et objective ; Troisième de Jean-Pierre Leguay (D'une rive l'autre – premier mouvement, 2005-2006), organiste de Notre-Dame de Paris, présent parmi l'assistance, l'œuvre jouant sur les intervalles de l'écriture et les mutations (harmoniques) de l'orgue, foisonnante de vie et de grandeur, infiniment belle et au souffle prenant. Entre Mendelssohn et Bach vinrent se glisser de somptueuses Variations on a Recitative (1940) de Schoenberg, son unique œuvre d'envergure pour orgue, que Haas restitua avec une extrême concise et ductilité, donnant à la multiplicité des pistes suivies par ces variations une cohérence magistrale.
Cet immense récital se referma sur un authentique tour de force, Haas ayant fait entendre sa propre transcription (révisée) de l'un des chefs-d'œuvre du piano romantique : la Sonate en si mineur de Liszt. Sans chercher à s'inspirer du piano, la Sonate fit valoir à l'orgue d'infinies possibilités d'orchestration, mettant à profit l'inépuisable palette de l'instrument de Saint-Eustache. L'idée n'est pas incongrue, tant les traits communs avec l'œuvre majeure pour orgue de Liszt, la Fantaisie et Fugue sur Ad nos, ad salutaremn undam, abondent : récitatifs, mélodies accompagnées, sections fuguées ou en fugato, fanfares retentissantes et même fugatos en fanfare… Un défi admirablement relevé, source d'innombrables moments de beauté et de grand frisson, c'est certain ; jamais cependant une telle « orchestration », aussi admirable soit-elle, n'approchera la matière foncièrement symphonique et évocatrice du piano de Liszt – ou la sonorité si pleinement orchestrale d'un Claudio Arrau. Mais l'on comprend qu'un virtuose tel que Bernhard Haas ait cédé, et avec quel bonheur, à la tentation.
Michel Roubinet
XXe Festival des Grandes-Orgues de Saint-Eustache, Paris, concerts des 28 mai et 2 juin 2009
Sites Internet :
ARGOS (Association pour le Rayonnement des Grandes-Orgues de Saint-Eustache) & Festival :
http://www.orgue-saint-eustache.com/
Manufacture van den Heuvel (Dordrecht) :
http://vandenheuvel-orgelbouw.nl/English.htm
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Photo : DR
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