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Compte-rendu : Monte-Carlo/Il était une fois le fantasme - Shéhérazade selon Jean-Christophe Maillot

La sublime sultane et ses récits envoûtants n’ont pas fini de faire rêver. Surtout depuis la nouvelle vie que lui donna Rimski-Korsakov en 1888 avec sa célèbre suite symphonique. Michel Fokine en fit ensuite un des triomphes emblématiques des Ballets Russes, avec la sensuelle Ida Rubinstein alanguie sur son sofa ou dévoreuse d’eunuques. Le compositeur, qui n’aimait guère qu’on utilisât ses musiques pour la danse et eut le bon goût de mourir deux ans avant le ballet, s’était contenté de choisir quelques tableaux parmi les plus séduisants des Mille et une Nuits. Fokine, lui, situe son ballet avant que Shéhérazade n’entre en scène : sur le drame de l’infidèle sultane Zobeïda, tuée par son époux Shariar, avant que celui-ci n’épouse la conteuse et ne se laisse amadouer par son art.

Un siècle a passé, depuis cette sulfureuse évocation d’orgies de harem dont l’étrange rideau de scène vert et bleu, de Bakst, empreint de menaces et de lourds parfums, ainsi que les costumes follement baroques, jetèrent le trouble dans le Paris Belle Epoque. A la sensualité d’un Orient de légende, se superpose aujourd’hui l’érotisme dur et libéré des temps modernes. Et Jean-Christophe Maillot, totalement sous le charme de cet Orient de tous les fantasmes, ajoute sa pierre à l’édifice du centenaire des Ballets Russes en le modernisant avec ce qui ressemble à un coup de fouet.

Pour cette création mondiale, il a glissé son œil dans le harem de Shariar, en tirant un condensé de violence, de cruauté et de sexe. On n’ondule plus, on copule, et le sultan et son frère étranglent une adorable petite sultane, pour le plaisir. Quant à Zobeïda, incarnée par l’androgyne et toujours fascinante Bernice Coppieters, elle devient une furie égarée par le paroxysme du plaisir : « petite mort », avant la grande qu’elle s’inflige elle-même, en s’empalant sur l’épée qui transperce son amant. Le tout sans quitter l’univers de Fokine, évoqué par le rideau inspiré de Bakst, avec des costumes de Jérôme Kaplan dans le même esprit, qui scintillent de tous leurs lamés et tourbillonnent dans des flots d’étoffe. On est suspendu, presque suffoqué par la puissance de l’évocation.

Maillot nous a étonnés, cette fois encore par la force dérangeante de ses visions. Quant à sa compagnie, elle s’avère incontestablement plus inspirée par les créations du maître de céans que par le Sacre du printemps de Nijinski et le Fils prodigue de Balanchine, dernière œuvre créée par les Ballets Russes avant la mort de Diaghilev, qui encadraient Shéhérazade. Mais c’est le lot de toutes les compagnies qui ont la chance d’avoir un chorégraphe puissant à leur tête. On aura relevé au passage, tout de même, la présence charismatique d’un tout jeune danseur, Jeroen Verbruggen, qui incarne le Fils.

Jacqueline Thuilleux

Jean-Christophe Maillot : Shéhérazade - Monaco - Forum Grimaldi, le 26 décembre 2009.

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Photo : DR
 

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