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Compte-rendu : Roger Muraro joue Berlioz/Liszt - Musique d’abord !
On se rendait il y vrai en toute confiance au récital de Roger Muraro, avec dans l’oreille un formidable CD Berlioz/Liszt récemment paru (1), mais ce que le pianiste a offert au public du TCE n’en reste pas moins un mémorable récital, qui confirme s’il en était besoin la place éminente de l’artiste dans le panorama du piano contemporain.
Comme lors de son récital au Festival de Sceaux, il y a deux ans, Muraro reste fidèle pour sa première partie à la Chapelle de Guillaume Tell et Au bord d’une source, deux extraits de la 1ère Année de Pèlerinage auxquels il adjoint on ne peut plus logiquement la première série d’Images de Debussy. L’enchaînement d’Au bord d’une source avec les Reflets dans l’eau souligne tout à la fois la modernité de Liszt et la dette de l’impressionnisme musical français envers lui. Sans céder au narcissisme sonore, l’interprète sait éveiller les couleurs, comprendre et faire ressentir à quel point elles contribuent à structurer le propos musical et, surtout, à faire oublier les marteaux pour ne plus parler que poésie. Espérons que l’anniversaire Debussy de l’an prochain sera l’occasion de réentendre souvent Muraro chez un auteur qui lui va comme un gant – on se prend à rêver d’une intégrale des Etudes…
Pour l’instant, Franz Liszt est à l’honneur et le pianiste n’a rien à craindre sur ce terrain-là non plus. Ces mains immenses, ce jeu saturé de timbres, puissant mais jamais lourd ni tapé font idéalement corps avec la musique du virtuose compositeur (quelle plénitude, quelle magie dans les accords introductifs de la Chapelle de Guillaume Tell…). Reste qu’avec la transcription lisztienne de la Symphonie fantastique il s’attaque à un véritable « monstre ». Muraro est sans doute coutumier d’intégrales des Regards ou du Catalogue d’oiseaux de Messiaen, recueils dont l’interprétation en concert n’a rien d’une promenade de santé, mais avec La Fantastique il a plus que fort à faire…
Géniale partition née de l’imagination d’un auteur absolument non-pianiste, le manifeste symphonique du romantisme musical français ne se laisse pas aussi facilement « acclimater » au clavier que Wagner ou Beethoven. Le foisonnement, l’éparpillement du matériau musical, après avoir exigé de Liszt des choix parfois draconiens, confrontent l’interprète à un redoutable défi.
Sacré face à face que celui de Muraro avec ce Berlioz/Liszt ! Pas un temps mort au cours de plus de trois quarts d’heure d’une musique que le pianiste empoigne avec autant de passion fiévreuse que de vibrante poésie. Performance digitale hallucinante, certes, mais l’interprétation transcende toujours cette dimension pour ne plus faire entendre que la déclaration d’amour de Liszt à l’œuvre d’un de ses contemporains, et ce avec une musicalité, une imagination sonore et un plaisir du son contagieux et exaltant.
Le temps des grands virtuoses n’est pas fini ; plutôt que de sangloter d’émotion sur de vieilles cires d’aucuns seraient bien avisés de venir écouter la musique là où elle vit.
Alain Cochard
(1)CD Decca 4764176
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 10 février 2011
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Photo : DR
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