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Concert des lauréats du Concours international Georges Enesco – Seine et Dâmbovița – Compte-rendu
La Salle byzantine de l’hôtel de Béhague étant en restauration, le Concours international Georges Enesco est accueilli pour la troisième année consécutive par un cadre non moins prestigieux : la bibliothèque de l’Automobile Club de France, place de la Concorde. Le concert final est l’occasion d’entendre quelques-uns des artistes récemment distingués par le concours qui, dans sa version française, fête sa dixième édition, au côté de lauréats des années antérieurs. Les instrumentistes et chanteurs qui se présentent étant très majoritairement originaires de France et de Roumanie, le programme de cette soirée de gala reflète cette « double nationalité », tout comme les interprètes réunies.
De façon tout à fait logique, le concert s’ouvre sur un bouquet d’œuvres d’Enesco (les épreuves du concours imposent aux candidats d’en chanter une) : deux mélodies en français, de la première période parisienne du compositeur et l’un des quinze lieder sur des poèmes en allemand de « Carmen Sylva », pseudonyme de la reine de Roumanie, ainsi que deux mouvements de sa 1ère Sonate pour piano en fa dièse mineur. S’enchaîneront ensuite airs d’opéra français, d’Ambroise Thomas à Poulenc en passant par Massenet, mélodies dues à des compositeurs roumains vivants, et une curiosité pour le public français : un extrait de Lăsați-mă să cânt, l’un des plus grands succès de Gherase Dendrino (1901-1973) ; à en juger par l’air « Aceasta melodie », cette opérette créée à Bucarest en 1954 semble très inspirée par le modèle viennois des années 1900. Sans oublier les pièces pour piano choisies par Adela Liculescu, lauréate en 2021 du concours George Enescu, c’est-à-dire de la version roumaine, réservée aux instrumentistes et aux compositeurs : outre la 1ère Sonate op. 24/1 d’Enesco mentionnée plus haut, la jeune pianiste a très judicieusement choisi de rendre hommage à une compositrice, la grande Mel Bonis, dont la Barcarolle de 1906 évoque à plus d’un moment les harmonies debussystes tout en exprimant une veine personnelle. Adela Liculescu joue enfin les Trois Mouvements de Petrouchka, connus pour leur difficulté (Stravinsky souhaitait mettre en relief toute la maîtrise d’Artur Rubinstein, le dédicataire) : si la Danse russe initiale est prise à un tempo modéré et pourrait être plus percussive, les deux autres mouvements sont rendus avec toute la virtuosité et la sensibilité attendues.
© DR
Trois sopranos sont à l’affiche pour ce gala. Lauréate du « Grand Prix Musique contemporaine » l’année dernière, Amélie Tatti se fait d’abord remarquer par son interprétation de l’air de Thérèse dans Les Mamelles de Tirésias : la voix peut encore s’affirmer davantage dans l’aigu, mais la chanteuse démontre une belle assurance scénique, indispensable pour donner tout son sens à ce monologue féministe. Elle poursuit avec une œuvre du Roumain Sebastian Androne (né en 1989) : lauréat 2014 du concours Enescu dans la section symphonique. Amélie Tatti y déploie une belle expressivité, puis revient pour une amusante mélodie du Français Henri Nafilyan (né en 1956), commande de la pianiste Alina Pavalache, ici présente comme accompagnatrice, tâche qu’elle partage avec Thomas Palmer.
Gloria Tronel a été récompensée cette année par le Grand Prix Georges Enesco 2023. Elle conclut le concert sur une interprétation de l’air de Philine dans Mignon, où elle semble se jouer des difficultés accumulées dans ce qui est un peu un numéro de cirque pour soprano colorature. C’est également à elle qu’est revenu l’honneur d’ouvrir la soirée, mais peut-être sa voix avait-elle besoin de se chauffer un peu, car « Si j’étais Dieu » d’Enesco mettait en évidence un fort vibrato.
Lauréate cette année d’un des « prix spéciaux » que décerne le concours Enesco, Anaïs Merlin révèle une personnalité intéressante et une tessiture large. Elle chante d’abord en allemand, « Reue » (« Regret ») d’Enesco, avec une diction mordante, puis propose en création mondiale Guyane d’Henri Nafilyan. On retrouve les mêmes qualités, notamment une grande intelligence du texte et un vrai sens des nuances, dans l’air de Thaïs qu’elle s’approprie avec beaucoup de panache, et un style qui renoue avec la grande époque où ce répertoire était encore défendu par les sopranos d’école française.
Invitée surprise, la Canadienne Rose Naggar-Tremblay, Premier Prix Grand Opéra en 2021, ajoute au programme trois extraits de Healing, cycle de mélodies du compositeur québécois Eric Champagne (né en 1980), auxquels elle prête son timbre rare de contralto.
Laurent Bury
Paris, Automobile Club de France, 20 novembre 2023
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