Journal
« Concert européen » de l’Orchestre Philharmonique de Berlin au musée d’Orsay – Correspondances et alchimie des timbres – Compte-rendu
« La France dixneuvième/Degas Manet Guys unforgettable », écrivait Ezra Pound. Degas, Manet... et tant d’autres inboubliables génies de la couleur qui font d’Orsay un lieu aussi singulier qu’envoûtant. Restait à entrer en correspondance avec l’esprit du musée et en adéquation avec l’acoustique très particulière de la nef : ce double défi aura été exemplairement relevé par les interprètes.
Dès l’Enchantement du Vendredi saint, la magie du timbre s’impose. Une exemplaire maîtrise des équilibres entre les pupitres aussi, que l’on retrouve – et a quel niveau de perfection instrumentale (ces cors ... un pur rêve...) – dans Chasse royale et orage (Les Troyens). L’art de coloriste de Berlioz est servi par une baguette extrêmement attentive aux détails : un vrai paysage sonore se dessine, puissamment évocateur. Sous le regard impassible du Lion de Barye, les extraits de la suite de concert tirée de Pelléas et Mélisande (par Erich Leinsdorf) offrent ensuite un intense moment de mystère et d’alchimie sonore.
Dans ce musée dont tant de peintres furent passionnément wagnériens, ils sont aussi une manière rappeler (ce que la juxtaposition avec L’enchantement souligne éloquemment ...) la dette de Claude de France – « wagnérien jusqu’à l’oubli des principes les plus simples de la civilité » (Monsieur Croche) dans sa jeunesse – envers l’auteur de Parsifal. A la fois sensuel et hypnotique le Prélude à l’après-midi d’un faune ouvre la seconde partie, avec un retour à Berlioz pour une Scène d’amour de Roméo et Juliette, un brin trop chaste à notre goût, mais dont Harding souligne la modernité de l’orchestration.
Sir Bryn Terfel n’avait pas eu l’occasion de se produire au côté des Berliner Philharmoniker depuis de longues années. Bonheur des retrouvailles : les Adieux de Wotan présentés en fin de concert offrent un moment d’échange intense et d’émotion pleinement vécue. On le savoure d’autant plus que l’embrasement final de la Walkyrie s’inscrit dans la logique d’un programme d’une cohérence exemplaire, tout entier placé sous le signe de la couleur, mais tranche sur le caractère globalement « planant » de ce qui a précédé. En bis, Wagner encore – on ne s’en plaint pas ! – avec la version orchestrale de la Mort d’Isolde, tout aussi prenante.
Alain Cochard
Photo © Stephan Rabold
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