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Cosi fan tutte au TCE – Mozart entre Gozzi et Goldoni - Compte-rendu
Avec son sujet imposé par l’Empereur Joseph II soucieux de ne pas courir le risque de voir Mozart se lancer à nouveau dans une satire de la société aristocratique comme il l’avait fait quatre ans plus tôt, en 1786, avec Les Noces de Figaro, Cosi fan tutte est sans doute l’opéra le plus délicat à manier des trois ouvrages nés de la collaboration du musicien avec Da Ponte.
Un pari stupide ourdi par trois mâles vaniteux enclenche une subtile mathématique des sentiments, qui tourne, d’un acte à l’autre, au vinaigre et surtout au désastre des âmes. C’est le casse-tête assuré pour le chef comme pour le metteur en scène que ce dosage entre grandeur et servitude du cœur humain : grand déchiffreur de nos contradictions, Mozart, en vérité, se surpasse ici pour relever le défi impérial et pour traduire avec une évidente jubilation toute l’ambiguïté de situations où tel est pris qui croyait prendre.
Jérémie Rhorer et son Cercle de l’Harmonie parlent le Mozart à la perfection, on le sait depuis cet Idoménée qui les révéla soudain au public du Festival de Beaune en 2006. Les inévitables couacs des cors naturels mis à part – les inconvénients dépassant largement les avantages de leurs prestations - on peut considérer qu’ils ont réussi à forger l’instrumentarium idéal pour Wolfgang.
Car c’est un bonheur rare de surprendre en un subtil jeu de cache-cache plusieurs des thèmes qui réapparaîtront l’année suivante – 1791 l’année tragique et ultime de Mozart – dans le chant des prêtres de La Flûte enchantée, mais, par un tour de passe-passe qui n’appartient qu’à Mozart, le buffo y sera grimé en tonalité maçonnique : car à l’instar de ces personnages masqués de carnaval vénitien, les thèmes musicaux courent dans tout l’œuvre de Mozart, se teintant de toutes les couleurs de notre psyché, comme s’ils traversaient une galerie de miroirs. Rhorer le sent et le rend mieux que personne.
Quant au metteur en scène issu de la Comédie française, Eric Génovèse, il faut lui savoir gré de ne pas avoir cherché à faire son intéressant à tout prix, mais d’avoir su trouver des équivalents au texte leste de l’abbé Da Ponte comme aux intermittences du cœur de Mozart. Il les a installés quelque part entre Gozzi et Goldoni, non loin des pantalonnades de la commedia dell’arte : c’est le jeu du théâtre qui anime et irrigue la sèche mathématique.
Il étoffe joliment de personnages secondaires les quatre héros de cette partie carrée, sans cesse épiés par une volée de choristes et de valets prestes à changer les décors à vue. Au terme d’un accelerando déjà presque rossinien, le finale du premier acte s’emballe soudain comme une mécanique dont le ressort s’est brisé, laissant superbement deviner les blessures qui domineront tout le second acte : un vrai moment de théâtre.
Autant dire que les conditions sembleraient réunies pour faire jouer à plein les mécanismes de cette bonbonnière à double fond… Ce serait compter sans les caractères et les singularités personnelles de la demi-douzaine de solistes dont les corps jouent certes le jeu de Génovèse, mais dont la vocalita reprend souvent le dessus ! A commencer par ce ténor braillard, le Suisse Bernard Richter appelé à une belle carrière vériste, qui se vautre avec vulgarité au premier acte sur les notes sous prétexte qu’on lui a dit de s’affaler sur un canapé dans l’air pourtant si délicat de Ferrando.
Ce dernier représente pourtant, dans le livret comme dans la partition, le versant féminin, sensible, rousseauiste des deux officiers : par une inversion, non prévue, des rôles psychologiques, voilà que le ténor se fait matamore, tandis que le baryton autrichien Markus Werba endosse, a contrario, le costume d’amoureux transis ! Cette seule invraisemblance suffirait à déséquilibrer la fragile construction mozartienne.
Mais le couple vocal des deux sœurs n’est pas mieux appareillé : la Suédoise Camilla Tilling a la voix jolie, mais bien trop courte pour le rôle de Fiordiligi amputé de ses graves. On se rattrape avec la Dorabella de la Canadienne Michèle Losier et la croustillante Despina de Claire Debono, moins exposées certes. Espérons que Jérémie Rhorer bénéficiera d’une distribution plus idoine et mieux équilibrée pour Les Noces de Figaro qu’il doit diriger cet été au Festival d’Aix-en-Provence !
Jacques Doucelin
Théâtre des Champs-Elysées, 26 mai (soirée retransmise en direct sur France Musique), prochaines représentations les 29 et 31 mai 2012.
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Photo : DR
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