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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - Rameau va devenir l’un de nos chevaux de bataille - Une interview de Raphaël Pichon, chef de l’Ensemble Pygmalion
Dès leurs débuts, Concertclassic avait attiré votre attention sur Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion. Depuis sa création en 2005, la formation n’a cessé d’affirmer sa place dans le paysage musical, grâce en partie à deux CD très remarqués consacrés aux Messes brèves de Bach(1). Belle marque de reconnaissance pour le jeune ensemble, Pygmalion et son chef ont eu le privilège d’ouvrir le Festival de Beaune en juillet 2011 avec Dardanus de Jean-Philippe Rameau et c’est dans cette œuvre qu’on les retrouve cette semaine pour une courte tournée qui les mène à l’Opéra de Bordeaux (15/02), à l’Opéra Royal de Versailles (16/02), au Théâtre musical de Besançon (17/02) et, enfin, au Touquet dans le cadre de la 2ème édition des « Nuits Baroques » (18/02).
Pygmalion ? «Ce nom n’a pas été choisi par hasard, reconnaît Raphaël Pichon. A côté de Bach, Rameau représentait le pan profane de mon projet avec Pygmalion mais il ne pouvait pas se réaliser dès le départ car, tout simplement, cela réclamait une expérience orchestrale, des moyens beaucoup plus importants que ceux requis par une cantate de Bach. Après cinq ans de travail le moment était venu d’aborder Rameau l’été dernier à Beaune, un festival avec lequel Pygmalion a lancé un cycle qui s’étend sur trois ans. Au vu des choses qui s’annoncent à Beaune mais dans d’autres endroits aussi, je pense que Rameau va devenir l’un de nos chevaux de bataille. »
Pourquoi avoir choisi d’interpréter la seconde version (1744) de Dardanus ?
R.P. : C’est l’idée même de notre projet avec Beaune. Un travail considérable a été effectué depuis deux décennies pour faire connaître les chefs-d’œuvre lyriques de Rameau. On entend désormais souvent, que ce soit en version scénique ou en concert Hippolyte et Aricie, Platée, Les Indes galantes, un peu Dardanus, il reste cependant encore un travail intéressant à mener pour faire connaître des partitions d’une extraordinaire qualité qui n’on pas encore été données en entier, mais aussi – Dardanus en est le meilleurs exemple – pour mettre en lumière une caractéristique très intéressante de ce compositeur. Rameau a éprouvé le besoin de remodeler ses œuvres, de les mettre en adéquation avec le goût ou les goûts de l’époque. Dardanus est sa cinquième œuvre lyrique – on se situe encore au début de sa carrière même si elle a commencé très tard – et cette partition qui s’impose aujourd’hui à nous comme l’une des plus riches, les plus égales, les plus homogènes du point de vue musical a été malgré tout mal accueillie lors de sa création en 1739. Dardanus provoquera la plus grande rupture dans la carrière lyrique de Rameau : pendant cinq ans il arrête totalement de composer.
Quels en sont les motifs ?
R.P. : On n’en connaît pas exactement les raisons mais on peut imaginer que le musicien est assez vexé – une des rares choses qu’on connaisse bien de son caractère -, assez touché par les critiques, surtout quand l’on regarde la qualité de la première version de 1739. Cinq ans plus tard Rameau décide, et c’est la seule fois de sa carrière qu’il fera, de remodeler totalement Dardanus. A partir de la fin de l’acte II, avec son librettiste Bruère, il change l’histoire car, outre une musique trop riche, on lui avait reproché un livret dans la tradition lullyste avec beaucoup d’invraisemblances, d’excès surnaturels (l’épisode du monstre où l’on apprend que Dardanus a gagné le combat on ne sait trop comment en est un bon exemple).
On se situe quelques années avant le début de Querelle des bouffons et la vraie introduction de l’opéra italien en France, mais on sent déjà les Lumières qui pointent dans les goûts du public et dans tous les arts français de l’époque. Un intérêt s’affirme pour des choses plus sensibles, plus profondes, un goût se manifeste pour des personnages plus riches psychologiquement, pour un drame plus épuré ; on sent l’envie de se débarrasser du modèle de la tragédie lyrique, emblème du règne de Louis XIV s’il en est, pour arriver à des choses plus simples, plus directes.
La nouvelle mouture de Dardanus qui date 1744 est le seul exemple chez Rameau d’un opéra remanié de fond en comble. On y découvre une musique totalement nouvelle. On perd certes certaines merveilles qui se trouvaient dans la première version, mais on découvre une musique d’une qualité absolument extraordinaire et une histoire plus riche, plus sensible, plus proches des canons des tragédies d’un Gluck un peu plus tard, avec des personnages plus attachants, plus humains.
Plutôt que de refaire le Dardanus de 1739, qui a déjà été donné et bien donné, il m’a semblé passionnant pour un jeune ensemble tel que Pygmalion de s’intéresser à la seconde version et, plus généralement, aux versions inédites et tardives des opéras de Rameau.
Un enregistrement de ce Dardanus de 1744 est-il prévu ?
R.P. : Oui, nous allons l’enregistrer en concert à Versailles pour une nouvelle collection initiée par Château de Versailles Spectacles et produite par Outhere.
Après Dardanus l’an dernier c’est donc Hippolyte et Aricie que vous dirigerez en juillet prochain au Festival de Beaune ?
R.P. : En effet et ce sera l’occasion de faire entendre la dernière version de cet opéra. Ce n’est pas uniquement pour l’intérêt musicologique, pour le plaisir de faire quelque chose de différent. Il y a là un vrai intérêt musical et sensible car on sent que Rameau cherche à aller vers la musique la plus expressive possible, la plus proche du texte, des affects et du caractère de chacun des personnages.
Qu’en est-il du volet allemand et sacré l’activité de Pygmalion ?
R.P. : La rentrée prochaine sera marquée par la sortie chez Alpha d’un nouveau CD qui est quelque sorte le troisième et dernier volume des messes brèves de Bach. Il s’agit de la Messe en si mineur, mais dans sa version brève de 1733, la première réalisée par Bach, que nous avons enregistrée à partir d’une nouvelle édition publiée il y a deux ans. On y trouve des différences très intéressantes avec la Messe en si telle qu’on la connaît aujourd’hui. En tant que missa solemnis, que messe totale, la Messe en si est un peu une invention du XIXe siècle. Bach a en fait composé son œuvre au moment où il espérait obtenir un poste à la cour de Dresde. Il a écrit une messe qui se veut séduisante, dans l’esprit du style opératique apprécié à Dresde.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 8 février 2012
(1) 2CD publiés par Alpha
- Messes brèves BWV 234 et 235 (Alpha 130 – Enregistré en 2007)
- Messes brèves BWV 233 et 236 (Alpha 170 – Enregistré en 2009)
Rameau : Dardanus (version de 1744)
Ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
Opéra de Bordeaux, le 15 février / www.opera-bordeaux.com
Opéra de Versailles, le 16 février / www.chateauversaillesspectacles.fr
Théâtre musical de Besançon, le 17 février / www.letheatre-besancon.fr
2ème édition des Nuits Baroques du Touquet, 18 février 2012 / www.lesmalinsplaisirs.com
Site de l’Ensemble Pygmalion : www.ensemblepygmalion.com
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Photo : DR
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