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Danse / « J’ai dépassé mes rêves de danseur ! » - Une interview de José Martinez
Il s’en va, le bel Espagnol à la taille élancée, à l’allure hautaine et ardente, faussement sombre, éclairée d’un coup d’œil malin qui révèle l’humour et la joie de vivre. Une belle nature, qui refuse de s’apitoyer sur le crève-cœur d’un tel départ. A 42 ans, José Martinez s’en retourne vers son pays d’enfance. Il laissera le souvenir d’une figure hors normes, riche de surprises : on le vit certes en élégant prince académique, mais quel inquiétant et troublant Nosferatu ou Coppelius, quel bouleversant héros du Giselle de Mats Ek ! Une présence à savourer pour la- presque- dernière fois, dans le rôle de Baptiste, pivot de ses Enfants du Paradis, qu’il chorégraphia en 2008 pour l’Opéra, d’après Prévert. Il n’avait jamais dansé ce rôle qui lui va comme un masque de Pierrot.
Etrange de finir sur une prise de rôle, et pour un seul soir ?
José Martinez : C’était difficile de faire de vrais adieux alors que je vais revenir la saison prochaine en étoile invitée, ce qui me permettra de garder des rapports avec la maison. Ce sera sans doute dans Oneguine de Cranko et dans The Appartment de Mats Ek. D’ailleurs, c’est dans La Maison de Bernarda du même Ek que j’ai fait dans ma tête les vrais adieux, en avril dernier. Quant à Baptiste, il me semble un bon résumé de ma carrière, axée sur les rôles de composition, même si j’ai peu de temps pour le répéter en tant qu’interprète tant je suis pris par la remise en place du ballet. Je le vis comme un moment magique à partager avec mes camarades, un grand Carnaval, et notamment avec Agnès Letestu, dont la carrière a accompagné la mienne. Elle sera Garance, elle aussi pour la première fois, alors que j’avais choisi pour ma Garance initiale Isabelle Ciaravola, dont la ressemblance avec Arletty est extraordinaire. Elle l’incarnera aussi. Noureev disait qu’il dansait pour lui et non pour le public. Cela me choquait à l’époque, mais maintenant je partage cette opinion : en me faisant plaisir, je toucherai davantage le spectateur.
Quel regard posez-vous sur votre carrière à l’Opéra de Paris ?
J. M. : J’ai été pleinement heureux ici, malgré quelques petites frustrations, mais elles sont minimes. Ainsi je rêvais d’incarner Roméo mais je suis passé à côté. En fait, mon parcours s’est fait à une vitesse différente de celui des enfants qui font ici toute leur formation. Au départ, je n’étais pas passionné par le travail à la barre, mais lorsqu’un jour on m’a mis sur scène, j’ai compris que là était mon bonheur. Une griserie qui fait passer sur tout, les douleurs et les contrariétés, grâce au contact avec le public et aussi avec les autres danseurs sur scène. C’est une drogue. Mais tout ne m’a pas été facile car lorsqu’à 14 ans, je suis venu en France travailler à l’Ecole de Rosella Hightower, à Cannes, je ne parlais pas français, j’étais seul, et c’était aussi très dur pour mes parents, restés à Madrid. Cela a dû me faire mûrir plus tôt.
Vous n’aurez pas le temps d’être nostalgique puisque vous partez aussitôt pour prendre la direction du Ballet National d’Espagne, à Madrid ?
J. M. : Je succède à Nacho Duato, chorégraphe prestigieux, après une année d’intérimaire assurée par Hervé Palito. J’ai une mission pour que cette compagnie devienne vraiment une compagnie de niveau national, même si elle en a déjà le titre, avec un répertoire élargi, d’autant que Nacho retire ses ballets. Je dois ouvrir les horizons à l’avant-garde et redonner sa place au néo-classique. Les 44 danseurs - l’effectif va être augmenté-, ont tous eu une formation classique de très haut niveau, mais n’ont pas fait un ballet sur pointes depuis une dizaine d’années. Le chausson reviendra donc, notamment avec Forsythe. Nous aurons aussi Preljocaj, Kylian, plus tard Balanchine tout en continuant de programmer des créations et notamment de chorégraphes espagnols, pour donner une identité à la compagnie. Cela se passera au Théâtre de la Zarzuela et au Teatro Real, dès janvier.
Donc pas de vague à l’âme !
J. M. : Certes pas, comme pour Manuel Legris, qui assure maintenant la direction du Ballet de l’Opéra de Vienne et avec qui je reste en contact. J’y règlerai d’ailleurs la soirée du Nouvel an de l’année prochaine, bien que je doive faire une pause chorégraphique pour le moment. Ma carrière a été passionnante, les échanges avec des créateurs tels que Gallotta, Pina Bausch ou Mats Ek, qui m’a révélé à moi-même, fantastiques. Je rêvais de rentrer dans l’histoire de la danse, car j’étais fasciné par l’aventure des Ballets Russes. Et je m’y suis glissé, en dansant Le Tricorne, Till Eulenspiegel, Les Noces ! J’ai dépassé mes rêves de danseur !
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 17 juin 2011
Les Enfants du Paradis (Chorégraphie de José Martinez/ Musique de Marc-Olivier Dupin)
Du 29 juin au 15 juillet 2011 (Adieux de José Martinez le 15 juillet)
Paris - Palais Garnier
www.operadeparis.fr
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Photo : Anne Deniau / Opéra national de Paris
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