Journal
Dardanus à l’Opéra de Bordeaux – Rameau en liberté - Compte-rendu
Riche actualité pour Michel Fau. Tandis que l’Opéra Comique reprend bientôt sa merveilleuse Ciboulette, le metteur en scène offre une nouvelle preuve de son talent au Grand Théâtre de Bordeaux. Fau chez Rameau ? On était d’autant plus curieux de découvrir son incursion dans le monde baroque que ce spectacle s’inscrit dans la cadre de la résidence de l’Ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon à l’Opéra national de Bordeaux et constitue la première production scénique auquel participe la formation (son chef a quant à lui déjà eu l’occasion de travailler en fosse avec d’autres ensembles).
C’est parce qu’il aspirait à un Dardanus « excentrique » que R. Pichon a fait appel à un metteur en scène dont il apprécie l’univers. Bien lui en a pris ! Base de leur collaboration, la version de 1739 a toutefois été « adaptée et enrichie de quelques emprunts à la version révisée de 1744 » (le Prologue est celui de cette dernière, dont le sublime monologue de la prison « Lieux funestes » est également retenu, tout comme son Bruit de guerre, orchestré avec une stupéfiante force dramatique).
© Frédéric Desmesure
Et Michel Fau de s’emparer de Dardanus avec une imagination, une démesure, une exagération d’un « fellinisme » ouvertement revendiqué – et assumé de bout et bout ! Dès le Prologue, d’un kitsch très Pierre et Gilles, la fantaisie délirante avec laquelle il s’approprie les codes du monde baroque s’affirme. Tout au long de l’ouvrage un regard moderne, mais jamais sottement « contemporain », nourrit une proposition synonyme de contraste, de variété et de grande fluidité (la scénographie d’Emmanuel Charles, les lumières de Joël Fabing et les chorégraphies de Christophe Williams sont des atouts sur ce plan). Savoir jusqu’où on peut aller trop loin… De l’excès dans le Dardanus de Michel Fau ? Sûrement. Mais de l’humour, de l’ironie, tendre ou délicatement mordante, une intelligence de chaque instant aussi ; bref un tact qui préserve de toute vulgarité. A moins d’imaginer Rameau condamné à la naphtaline, comment bouder son plaisir ?
D’autant que la complicité entre le plateau et la fosse s’avère exemplaire. A la tête d’un Ensemble Pygmalion à son meilleur, Raphaël Pichon conduit Dardanus avec enthousiasme et raffinement. Il sait sonder les détails, faire sonner avec toute leur saveur et leur plénitude les harmonies, sans se départir un seul instant d’un drive et d’une précision rythmique admirables. Allier avec pareille maestria imagination poétique, sens dramatique et autorité à tout juste plus de trente ans… Chapeau bas !
© Frédéric Desmesure
Portés par un tel geste, les chanteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes : Reinoud van Mechelen, Dardanus plein de jeunesse et de sensibilité, Gaëlle Arquez, Iphise toute d’ardeur, de style et d’émotion, Florian Sempey, en magnifique forme vocale, qui suit totalement Michel Fau dans l’Anténor un peu empesé que celui-ci lui demande. Opulente et irrésistible Vénus de Karina Gauvin, Amour (mais aussi Bergère, Songe et Bellone) d’une lumineuse et sensuelle Katherine Watson, quant à Nahuel di Pierro il caractérise avec autant de justesse Teucer et le magicien Ismenor. Excellents comprimari d’Etienne Bazola (Berger – remarqué !), Virgile Ancely (Un Songe), Guillaume Guttiérrez (Un Songe) et Chœur Pygmalion à l’unisson d’une production d’une grande homogénéité vocale.
Dardanus reste l’affiche de l’Opéra de Bordeaux jusqu’au 26 avril et s’installe ensuite pour deux représentations (5 et 6 mai) à l’Opéra Royal de Versailles. A Mathias Vidal reviendra le rôle-titre pour cette reprise.
Alain Cochard
Rameau : Dardanus – Bordeaux, Grand Théâtre, 18 avril, prochaines représentations les 22, 24 et 26 avril 2015 / www.opera-bordeaux.com. Reprise les 5 et 6 mai 2015 à l’Opéra Royal de Versailles / www.concertclassic.com/concert/rameau-dardanus
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