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David Lively et Le Quatuor Cambini-Paris à la Cité de la musique – Salon Chopin, esprit Pleyel – Compte-rendu

Il y a du Pleyel dans l’air ! Tandis que Justin Taylor offre une séduisante incursion chez Chopin sur un pianino de 1839 (« Chopin intime », Alpha) et que paraît une belle intégrale des rares mélodies de Bizet (Harmonia Mundi), pour une bonne partie accompagnées par des Pleyel (un piano de 1857 et pianino de 1835, sous les doigts de Luca Montebugnoli et Edoardo Torbianelli), un instrument du célèbre facteur parisien trônait sur la scène de l’amphithéâtre de la Cité de la musique à l’occasion d’un « Salon Chopin » proposé par David Lively et le Quatuor Cambini-Paris (avec le renfort du contrebassiste Thomas de Pierrefeu). Rien d’étonnant à cela puisque, comme Franz Liszt fut par excellence l’ambassadeur d’Erard, Chopin demeure pour sa part étroitement associé à Pleyel et à un mot fameux : « Quand je me sens en verve et assez fort pour trouver mon propre son, il me faut un Pleyel ». Des mots qui soulignent combien une participation active de l’exécutant est requise pour que s’épanouissent à plein la couleur et la personnalité de l’instrument.

© DR
Concerto de poche
Du Musée de la musique tout proche, on a fait venir pour ce « Salon Chopin » un superbe Pleyel de 1847 (dont la mécanique a été restaurée par les soins de Maurice Rousteau), à simple échappement ; donc pas le plus commode à toucher pour un interprète plutôt habitué aux claviers modernes – bien que les historiques ne lui soient pas étrangers. Ceci ne rend que plus admirable la prestation de David Lively, d’autant qu’il avait affaire à deux ouvrages redoutables, l’un quasi inconnu, l’autre parmi les plus célèbres de la littérature concertante romantique.
Entrée en matière avec le Concerto de chambre n° 2 en ut dièse mineur op. 10 d’Alkan (publié en 1834) : brièveté (8 minutes environ), atmosphère chambriste, cette partition d’un seul tenant présente une coupe tripartite et offre une manière de concerto « de poche », qui n’en reste pas moins extrêmement exigeant pour le pianiste. La pièce s’élance avec urgence et, pétrie de style brillant, confronte le soliste à quantité de chausse-trapes dont David Lively se joue pour mieux faire corps avec les archets des Cambini, dans la virtuosité électrisante des deux sections rapides, comme lors d’un prégnant Adagio où le velouté de la sonorité du Pleyel fait merveille.

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Simplicité et plaisir amical
Entre Alkan et le Chopin conclusif, figurent des extraits des Saisons de Félicien David, un vaste ensemble de 24 quintettes (en un mouvement) pour deux violons, alto, violoncelle et contrebasse terminé au mitan des années 1840 – dont on se souvient que Christophe Coin et l’Ensemble baroque de Limoges avaient offert une intégrale en 2011. L’ouvrage demeure méconnu et, pour une bonne partie du public de l’amphithéâtre archicomble, c’est l’occasion d’une plaisante découverte, d’autant que la sélection effectuée par Julien Chauvin et ses partenaires (les Quintettes nos 1, 9 14 & 19) s’avère aussi équilibrée que judicieuse. Du caractère piaffant de la Première soirée de printemps au sombre agitato de la Première soirée d’hiver (dont la couleur des premières mesures peut d’ailleurs être rapprochée de celle du début du Concerto de chambre n° 2 d’Alkan), les interprètes conjuguent simplicité et plaisir amical (avec de nombreux échanges entre le violon de Julien Chauvin et le violoncelle d’Atsushi Sakaï, dans la Deuxième soirée d’automne en particulier).

David Lively © Matsas
Chopin en version originale
Retour en terrain connu enfin, pour les auditeurs comme pour les interprètes ici réunis, avec le Concerto n°2 de Chopin. Connu ? En tout cas dans la version avec orchestre car les occasions d’entendre l’Opus 21 dans sa mouture originale avec accompagnement de quintette à cordes ne sont pas fréquentes, moins encore sur des instruments historiques. David Lively (sur piano Erard), les Cambini-Paris et Thomas de Pierrefeu ont signé un bel enregistrement des deux concertos du Polonais (Aparté – 2019). Les retrouvailles avec le Fa mineur se passent dans les meilleures conditions. On est admiratif de la fluidité des traits du soliste bien sûr – de sa compréhension d’un compositeur et d’une technique en devenir –, comme de sa capacité à exploiter le potentiel du piano mis à sa disposition, pour magnifier le belcantisme du Larghetto bien sûr, mais aussi toujours préserver une dimension lyrique prononcée dans les premier et dernier mouvements, l’attentive complicité des archets n’étant pas pour rien dans sa réussite.
Les auditeurs, parfois déroutés au commencement par la sonorité d’un instrument ancien (de surcroît accordé à 430), terminent le concert sous le charme. Nous aussi ! Etude op. 25/7 de Chopin et fin du Alkan en bis.
Quant à Julien Chauvin, on le retrouvera du 21 au 23 mars à Caen, avec le Concert de Loge et des collègues tels que Justin Taylor, Victor Julien-Laferrière ou Mélissa Petit, dans le cadre du mini-festival « Osez Haydn ! » (1)
Alain Cochard

(1) theatre.caen.fr/spectacle/osez-haydn-0
Paris, Cité de la musique, Amphithéâtre, 6 mars 2025
Photo © DR
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