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Emanuel Ax, Nathalie Stutzmann et l’Orchestre de Paris - Pourvu que rien ne cesse – Compte-rendu

En 1986, Emanuel Ax avait enregistré les 4e et 5e Concertos pour piano de Beethoven aux côtés d’André Previn et du Royal Philharmonic Orchestra. Une version magnifique, dont il fait le rappel avec le Quatrième Concerto à la Philharmonie de Paris. Même doigté subtil, même sentiment d’insouciance pour incarner la liberté d’écriture de chef-d’œuvre, d’emblée annoncée par l’exposition du thème principal au piano seul comme un prologue. Accompagné par l’Orchestre de Paris sous la direction de Nathalie Stutzmann, Emanuel Ax, avec humilité et élégance, parcourt le premier mouvement dans un dialogue très naturel avec les musiciens. Dialogue qui souffre davantage dans l’Andante con moto : Nathalie Stutzmann se déconnecte trop du soliste et confond tension et crispation. Le Rondo signe le retour de l’échange, l’expressivité du soliste fait des merveilles et Emanuel Ax conclut avec Schubert et Chopin en bis.

© Maxime Guthfreund
« Nous remontons jusqu’à la demeure des dieux ». Tel est le titre donné par Lorin Maazel au deuxième morceau du « Ring sans paroles » qu’il réalise en 1987. Cette version symphonique de la Tétralogie propose de parcourir en soixante-dix minutes les plus de quinze heures de musique composées par Wagner. Les quatre opéras du cycle (L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux) se trouvent condensés dans une version étourdissante qui retrace les mythes de la création wagnérienne dans un respect remarquable des partitions d’origine. Œuvre surpuissante, son exécution demande d’associer la délicatesse à la force, les cieux aux profondeurs de la Terre, en somme de remonter « jusqu’à la demeure des dieux ».
Un tour de force parfaitement réussi pour l’Orchestre de Paris et Nathalie Stutzmann. Quelques toussotements troublent le début cristallin du Prélude de L’Or du Rhin, mais l’orchestre s’engage ensuite dans un incroyable déferlement de thèmes, époustouflant de maîtrise et de ténacité. La salle vibre tout entière sous les assauts des percussions qui font éclater la foudre et les orages. Les cuivres impérieux appellent au divin ou mettent en place une nappe sonore qui renvoie aux fondements de l’architecture wagnérienne, permettant aux bois d’illustrer avec légèreté le miroitement des eaux, le chant des divinités et la délicatesse de tableaux bucoliques.
Nathalie Stutzmann ne faiblit pas devant l’ampleur de la partition et entraîne avec elle l’impressionnant pupitre de cordes, alerte, poussé par le fantastique et par l’excitation règnant dans une salle qui ne semble plus pouvoir contenir un souffle de plus. Des forte grandioses aux passages plus intimes, les nuances fermement imposées par la cheffe – et les transitions bien orchestrées par Lorin Maazel – entretiennent une sensation d’éternité. Et l'on espère, un temps, que l’éternité touche cette soirée, mais elle finit par s’achever dans un tonnerre (un de plus !) d’applaudissements, ô combien mérités !
Antoine Sibelle

Paris, Philharmonie de Paris, 19 mars 2025
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