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Festival de Prades 2023 – Archet(s) en majesté – Compte-rendu
Le Festival de Prades commémorait cette année le cinquantenaire de la disparation de Pablo Casals et la manifestation s’est ouverte avec, quoi de plus naturel, une présence marquée du violoncelle et, plus largement des archets – un domaine dans lequel la série "Jeunes Talents & Friends a permis de très belles découvertes (1). Après un hommage à la figure tutélaire de la manifestation, au Mémorial de Rivesaltes, par Julie Sévilla-Fraysse, puis un premier concert de l’Orchestre du Festival réunissant la jeune Julia Hagen et Renaud Capuçon sous la baguette de Pierre Bleuse, c’était au tour d’Astrig Siranossian (photo) de retrouver le public sur les hauteurs au prieuré de Marcevol, bijou d’architecture romane idéalement adapté à un récital de violoncelle solo. Un lieu inspiré pour une artiste qui l’est pas moins.
Si des enregistrements Saint-Saëns et Boulanger (un très bel album « Dear Mademoiselle » avec Nathanaël Gouin au piano) ont valu des commentaires élogieux à la violoncelliste, le dernier en date « Duo Solo » (chez Alpha comme les deux précités), qui rassemble Ligeti, Kodály et Bach mêlé à la musique traditionnelle arménienne, a remporté un succès tout particulier contribuant à élargir son audience. Avec quelques ajouts s’agissant des mélodies arméniennes (toutes arrangées par ses soins), elle a repris ce programme pour sa première venue au Festival de Prades.
Fluidité et évidence
Bach et la musique traditionnelle : manière de double remontée à la source pour Astrig Siranossian ; celle de la musique de violoncelle d’une part avec le premier des six numéros d’un recueil qui fait figure de Bible de l’instrument, celle de son histoire familiale de l’autre avec des mélodies héritées de temps immémoriaux, qu’elle offre en unissant sa voix à l’archet. Après une mélodie du XIe siècle en guise portique, l’interprète ouvre le récital avec la Suite BWV 1007. Liberté, souplesse de la phrase, plénitude de la sonorité : dès le Prélude on est pris par le naturel et la chaleur de son approche, rendue d’autant prégnante par la coexistence avec les mélodies arméniennes placées avant chaque épisode de l’ouvrage. Toujours en accord avec les caractères de la Suite en sol majeur (telle la sombre et pensive Garuna avant une Sarabande d’une de profonde noblesse ou Shoger djan, solaire et enlevée, dans son élan enchaînée à la Gigue, radieuse à souhait), leurs accents trouvent un écho dans un Bach d’une humaine simplicité. Dialogue du savant et du populaire d’une fluidité et d’une évidence parfaites.
Saut dans la modernité
Du XVIIIe au XXe siècle : place à Ligeti et Bartók ! Changement d’univers et changement d’instrument : du Gagliano de 1756 (un violoncelle ayant appartenu à Sir John Barbirolli), monté en boyau, Astrig Siranossian passe aux cordes métalliques avec un Ruggieri de 1676. Dialogo et Capriccio : en deux parties la Sonate pour violoncelle seul de Ligeti montre une interprète tout aussi convaincante. Elle sait emporter son auditoire tant par la plénitude expressive de l’amoureux premier mouvement que l’implacable élan qui porte le second. La violoncelliste ne fait qu’une bouchée des chausse-trapes qui le parsèment – un épisode comme happé vers la puissante conclusion qui le referme – et parvient à impliquer l’auditeur dans sa course avec une formidable concentration.
Nécessité intérieure
Le répertoire des mélodies arméniennes ne manque pas de références aux oiseaux. Casals a on le sait composé un célèbre Cant dels ocells (Chant de oiseaux), pièce chérie des violoncellistes. Pour son passage au Festival de Prades, Astrig Siranossian a imaginé une suite de cinq mélodies d’inspiration ornithologique – manière de clin d’œil arménien à Casals. Si l’une reste purement instrumentale, les autres font appel à la voix, avec un accompagnement qui sait les valoriser tout en préservant une certaine rusticité. Un merveilleux moment de poésie, mélancolique, rêveuse, tendre ou plus sautillante, qui prélude à la redoutable Sonate pour violoncelle seul de Zoltan Kodály et rend plus évidente encore la présence de cette phénoménale composition, au terme d’un programme où le savant et le populaire coexistent.
Défi technique colossal, l’Opus 8 métamorphose l’instrument en un véritable orchestre : un jaillissement de couleurs et de rythmes (qui doit beaucoup aux sources fokloriques) dont Astrig Siranossian sait rendre la démesure avec une mobilité des éclairages et de la dynamique simplement sidérante. A son maximum, l’expressivité, toujours guidée par une profonde nécessité intérieure, ne cède jamais rien à l’extériorité.
Nouvelle configuration pour le Quatuor Ebène
A l’abbaye Saint-Michel de Cuxa, le lendemain, le Quatuor Ebène fait lui aussi sa première apparition à Prades, dans des pages de Purcell, Ligeti et Schumann, quelques jours avant de reprendre ce même programme au Festival de Salzbourg. On ne présente plus l’un des plus admirables quatuors français d’aujourd’hui, mais c’est dans une nouvelle configuration que Prades a entendu la formation. Le violoncelliste Raphaël Merlin a en effet décidé de se consacrer pleinement à la direction d’orchestre (il prend les rênes de l’Orchestre de chambre de Genève à la rentrée) et, comme Gabriel le Magadure, second violon, l’a expliqué en toute franchise au public, les Ebène « testent » depuis quelque temps diverses options s’agissant du poste de violoncelle. D’évidence, ils en tiennent une particulièrement sérieuse en la personne d’Aleksey Shadrin – magnifique instrumentiste ukrainien, formé entre autres par Gary Hoffman à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth –, que l’on a découvert, totalement investi aux côtés de ses trois collègues.
Jardin enchanté
Etonnante entrée en matière pour un programme de quatuor que cinq des Fantasias de Purcell (les nos 4/Z 735, n° 5/Z. 736, n° 6/Z. 737, n°8/Z. 739 et n°11/Z. 742). On est habitué aux sonorités des violes dans ce pages, mais le spectacle d’instrumentistes modernes pénétrant avec gourmandise dans le jardin enchanté du compositeur anglais n’est pas sans charme. D’autant que les Ebène manifestent un visible plaisir du dialogue, doublé d’une rare aptitude à extraire tout le suc harmonique des textes (mention spéciale pour le n° 8 ! ).
Une musique mouvante et secrète, bien trouvée pour conduire au 1er Quatuor « Métamorphoses nocturnes » de Ligeti. Autre paire de manches que cette partition très marquée par l’influence de Bartók ! Totalement maîtres de la complexe mécanique de l’ouvrage, les quatre archets fascinent par la cohérence et la globalité de leur vision, par une tension jamais prise en défaut (un petit peu moins de vingt-deux minutes durant) et une incroyable malléabilité du matériau sonore.
Humeur heureuse
Un autre 1er Quatuor, celui de Robert Schumann, referme la soirée. De 1842, comme les deux autres numéros de l’Opus 41, il est de ces œuvres qui témoignent de l’élargissement de l’univers sonore du compositeur après une décennie 1830 centrée sur le piano – et riche ô combien ! en ce domaine. Les Ebène traduisent avec art l’humeur heureuse qui nourrit la musique, de manière aussi vivante que nuancée dans le premier mouvement, avec un élan farouche et racé dans le Scherzo, comme sorti d’un recueil de contes fantastiques. L’archet d’Aleksey Shadrin fait merveille dans l’Adagio, d’une prenante intensité, avant un final au cours duquel les interprètes font leur la jubilation de Schumann emboîtant le pas – avec quelle inspiration et quelle science ! – à ses illustres devanciers.
Alain Cochard
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/jeunes-talents-friends-au-festivals-de-prades-riche-pepiniere-compte-rendu
Festival de Prades 2023 – 30 juillet ( Prieuré de Marcevol), 31 juillet (Abbaye Saint-Michel de Cuxa)
Photo © François Brun
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