Journal
Festival Pablo Casals de Prades 2022 – La force de l’enthousiasme – Compte-rendu
Un concert de musique symphonique en ouverture du Festival de Prades ? Rien de plus normal désormais car l’Orchestre du Festival, que Pierre Bleuse (photo) a décidé de faire renaître, constitue une pièce maîtresse du projet qu’il met en œuvre depuis l’an dernier.
De Norvège, d’Angleterre, d’Espagne, de Suisse et de Paris, une grosse trentaine de jeunes musiciens européens ont convergé vers la petite cité catalane un peu avant le début de la manifestation pour constituer une phalange inspirée de l’Orchestre du Festival de Marlboro ou du Mahler Chamber Orchestra. Quant à l’encadrement des instrumentistes, il est comme l’an dernier assuré par les membres du Quatuor Dutilleux et du Klarthe Quintet – deux remarquables formations dont les membres, parallèlement à leurs activités chambristes, peuvent se prévaloir d’une solide expérience du monde de l’orchestre.
© Hugues Argence
Scotchant !
On est sorti de la soirée inaugurale littéralement « scotché » par ce que Pierre Bleuse et les encadrants sont parvenus à obtenir d’un groupe fraîchement constitué en l’espace de (seulement !) deux journées de répétition. Chacun a d’ailleurs pu – et peut – en juger puisque le concert était retransmis en direct et demeure disponible à la réécoute sur le site de France Musique. Avec le Concerto pour violoncelle de Dvorak et la 5e Symphonie de Tchaïkovski, le programme exigeait pourtant beaucoup des exécutants ...
La France compte nombre de magnifiques violoncellistes, à tel point qu’elle finirait parfois par oublier qu’il en est aussi par-delà nos frontières. L’Allemand Daniel Müller-Schott (né en 1976) est de ceux-là, plus que rare chez nous. On sait gré à Pierre Bleuse de l’avoir pour la première fois reçu au Festival de Prades, et l’on n’est pas près d’oublier l’ardeur du dialogue que son archet racé a su nouer avec l’orchestre. L’écrin était plus qu’inspirant il faut en convenir : au cadre magique de l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa s’ajoutait la beauté de l’écrin tissé par un chef et des instrumentistes unis dans un même enthousiasme.
Daniel Müller-Schott © Hugues Argence
Humeur rhapsodique
Dès l’introduction orchestrale, pleine de couleurs et sans rien de cette verticalité un peu martiale qu’elle peut facilement prendre, une conception très rhapsodique, libre et poétique, fervente mais jamais tape-à-l’œil s’affiche clairement. Regards complices entre Pierre Bleuse et ses musiciens, entre les membres de l’orchestre : d’un bout à l’autre un esprit chambriste domine et permet au soliste de déployer tout son art. Pure merveille que cet Adagio ma non troppo, intensément vécu avant un final dont l’élan ne contrarie jamais la respiration : le violoncelliste en profite pour tirer au mieux parti des échanges avec l’harmonie (splendide !) ou avec le violon de Guillaume Chilemme. L’humaine simplicité de l’approche, à l’image d’un compositeur au cœur pur, emporte l’adhésion de l’auditoire. Pureté et poésie qui appartiennent tout autant au fameux Chant des oiseaux de Casals que le soliste offre en bis. Moment de grâce ...
© Hugues Argence
Bonheur collectif
Slave de bout en bout, le concert fait place après la pause à la Symphonie en mi mineur de Tchaïkovski, partition aussi célèbre que celle de Dvorak, dont l’Orchestre du Festival s’empare avec un lyrisme épanoui. Suggestive et fluide, la gestuelle de Pierre Bleuse sait éveiller les timbres instrumentaux et peut compter sur le bonheur collectif qui règne parmi les rangs. Merveilleux spectacle que celui de jeunes musiciens, auxquels se mêlent leurs aînés du Quatuor Dutilleux et du Quintette Klarthe, tous aux aguets, donnant le meilleur d’eux-mêmes et apportant à la musique une saveur de « première fois » au cours d’une interprétation d’une grande plénitude harmonique, qui fuit l’emphase glucosée pour cheminer avec urgence.
Deux journées de répétition ; l’ovation est à la mesure de la performance ! La musique n’ayant pas de frontières, les musiciens s'offrent un Moscou-Mexico au moment du bis avec Estrellita, pièce fameuse de Manuel Ponce qu’illumine le chaleureux archet de Guillaume Chilemme.
Marie-Laure Garnier et le Quatuor Dutilleux © Hugues Argence
Schubert « spécial Prades »
Le Quatuor Dutilleux et le Quintette Klarthe (1) ont pour mission d’encadrer les jeunes instrumentistes invités à Prades, mais le festival leur donne aussi l’occasion de se produire en musique de chambre. Ainsi a-t-on eu le bonheur de retrouver les Dutilleux (Guillaume Chilemme, Matthieu Handtschoewercker, David Gaillard & Thomas Duran) sur la scène de l’Abbaye lors d’une soirée partagée avec la soprano Marie-Laure Garnier dans un programme spécialement conçu pour le Festival de Prades. En une période estivale où l’on voit parfois des solistes ou formations réitérer ad nauseam tel ou tel programme, on ne peut que se féliciter d’une pareille initiative. Après la rencontre avec Noémi Waysfeld l’an passé, les quatre archets collaborent cette fois avec l’une plus belles voix de la nouvelle génération lors d'une soirée dont la première partie associe un bouquet de lieder schubertiens au Tramonto de Respighi.
Thomas Duran (de face), auteur des arrangements des Schubert © Hugues Argence
L’arrangement de lieder de Schubert – pages intrinsèquement liées à la relation voix-piano – constitue un exercice hautement périlleux et l’on ne peut que saluer l’intelligence, la finesse et l’équilibre parfait des arrangements réalisés par Thomas Duran. Jamais ils ne trahissent la substance poétique et les nouvelles perspectives qu’ils ouvrent séduisent d’autant plus que Marie-Laure Garnier joue à plein le jeu d’une démarche qui relève plus du quintette avec voix que d’une voix avec accompagnement de quatuor ; on le mesure dès la prégnante Ständchen introductive. Placés au centre du quatuor, légèrement en retrait, la soprano montre une rare capacité à façonner son timbre – matériau riche ô combien ! –, à tirer parti de tout ce que les archets lui offrent – irrésistible Abschied ! Que de sens du drame et de force évocatrice sait-elle aussi déployer : In der Ferne et Der Zwerg, bouleversants, en témoignent. Leur impact est renforcé par le fait qu'ils sont interprétés juste après Il Tramonto de Respighi (placé au cœur du bloc schubertien), pièce dont la chanteuse a su saisir la troublante complexité, de la sensualité amoureuse au surgissement de la mort, avec autant d’intensité que d’attention à ses quatre partenaires. Romanze de Schubert en bis.
Guillaume Chilemme, 1er violon du Quatuor Dutilleux © Hugues Argence
Place au 15ème Quatuor de Schubert après l’entracte, autant dire à une partition qui ne pardonne rien. Elle aura ici montré la place à laquelle se situe les Dutilleux parmi les quatuors français : l’une des premières ! L’expression formidablement dominée - et d’autant plus prenante – du premier mouvement l’atteste d’emblée On n’est pas moins frappé, saisi même, par l’Andante que, dès la première note, les musiciens parviennent à installer dans un monde autre. Magique ! Troublé mais sans expressionnisme outrancier, le Scherzo vise juste avec un style irréprochable, avant un final d’une vigueur habitée.
Encore deux soirées avec l’Orchestre du Festival
Le Festival de Prades se prolonge jusqu’au 12 août. Après un tel concert symphonique inaugural, on ne doute pas que les prochains concerts de l’Orchestre du Festival, le 5 août avec Alina Pogostkina et Thierry Fischer (Berg, Mendelssohn, Haydn) et le 12 avec Emmanuel Pahud et Pierre Bleuse (Mozart, Saint-Saëns, Poulenc et Mendelssohn), feront le plein à Saint-Michel de Cuxa.
Parmi les nombreux rendez-vous chambristes, on n’oubliera pas la série « Jeunes Talents & Friends » dans des églises des environs de Prades. Outre les jeunes membres de l’Orchestre, on y découvre aussi des talents invités pour répondre aux exigences de certaines partitions. Nous n’avons pu assister qu’à la répétition (le 30 août) du Concerto n°1 de Chostakovitch (en version quintette à cordes), avec la trompette aussi mordante que nuancée d’Arthur Escriva et le piano intense de Gabriel Durliat, étonnant artiste de 21 ans à suivre de très près, mais nul doute que le public aura fait une grande expérience le lendemain à l’église de Cattlar. Notez que l’on retrouvera G. Durliat le 7 août dans le Trio pour violon cor et piano de Ligeti et dans celui de Brahms, pour le même effectif, le lendemain. Des concerts programmés à 11h, horaire aussi judicieux que celui de 19h30, désormais en vigueur à Prades pour ceux du soir.
Alain Cochard
Festival de Prades, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, 29 et 30 juillet 2022 / Jusqu’au 12 août : prades-festival-casals.com/programme-2022/
Concert du 29 juillet disponible à la récoute sur www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-du-soir/l-ouverture-du-festival-pablo-casals-de-prades-avec-daniel-mueller-schott-sous-la-direction-de-pierre-bleuse-3035991
Photo © Hugues Argence
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