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Giselle par le Ballet du Capitole de Toulouse - L’esprit est là – Compte-rendu
On l’a dit avec enthousiasme ici même, (26 décembre 2015) la Giselle renaissante telle que l’a remontée Kader Belarbi pour le Ballet du Capitole est une merveille : merveille d’intelligence dans le choix du décor de Thierry Bosquet, inspiré de Breughel l’ancien pour le 1er acte, des ravissants costumes moyenâgeux d’Olivier Bériot, du travail musical accompli sur la partition d’Adam, dont plusieurs éléments ont été déplacés, avec des recours à l’original, dont la plupart des versions traditionnelles n’utilisent qu’une partie. Et surtout exceptionnelle finesse dans la façon dont la chorégraphie a été repensée, tout en en gardant les grandes phases émotionnelles et esthétiques, de façon à toucher un public jeune et encore peu averti de ce sommet du mythe romantique, mais sans heurter non plus ceux pour lesquels chaque pas de ce ballet distille une aura quasi sacrée.
Tout y est, la cabane, la chasse, l’épée, les danses des vendangeurs, et bien sûr et surtout les esprits vengeurs de la forêt que sont les terribles et délicates willis, expression féministe et spirituelle d’une époque où la ballerine était reine des rêves romantiques, surtout quand elle se faisait aussi immatérielle que le fut sa créatrice, Marie Taglioni. Et tout nous parle avec encore plus de véhémence et de naturel, car pour Belarbi, qui recueille ici les fruits d’une carrière et d’un travail avec les maîtres mais aussi d’une recherche personnelle tourmentée, enlever les vieux habits de la pantomime vieillotte et codée est un enjeu majeur : tout vit ici avec un naturel d’une belle évidence, du lièvre qui remplace avantageusement le bouquet de fleurs que le garde- chasse accroche en présent aux murs de sa bienaimée, des danses paysannes lancées avec bien plus de rugosité et d’intensité que dans la chorégraphie initiale de Perrot- Coralli, un rien trop académique pour une évocation rustique.
Ici, difficile de ne pas relever l’ombre bienfaisante d’un Mats Ek et de sa mémorable version du ballet, bien que Belarbi n’ait pas reproduit le moindre de ses gestes. Seul demeure un chemin tracé, que le chorégraphe s’enorgueillit de suivre. Un naturel parfait marque les évolutions des personnages du 1er acte, qui ne se déplacent pas comme des danseurs, mais juste comme des humains, avant de se lancer dans des évolutions qui nous ramènent au plus bel académisme. Changement majeur notamment pour le rôle de Bathilde, la marquise fiancée au prince Albrecht, en fait l’amoureux de Giselle : habituellement la noble dame apparaît comme une potiche, faisant de larges gestes bienveillants ou indignés alors qu’ici elle acquiert une densité à la fois chaleureuse et douloureuse de femme trompée qui enrichit singulièrement son opposition à Giselle, la petite paysanne.
Quant au 2e acte, qui se situe dans l’impossible Au-delà d’un amour mort et revivifié par le pardon, sa force doit mêler vérité dramatique et immatérialité, un pari sublime mais d’une extrême difficulté. Pari réussi là aussi, car le travail de pointes des willis du capitole est d’une parfaite précision, leurs arabesques déployées avec le graphisme le plus pur, leur profil effilé, leur parcours aérien, tandis que le splendide décor de Thierry Bosquet, révélant une forêt enchantée mais menaçante, les entoure de son mystère. La force du geste dans sa transparence, tel est ici l’enjeu et c’est avant tout à Giselle de faire apparaître ces contraires : le rôle, désiré par toutes les ballerines est on le sait à double face, ce qui le rend fascinant. Fraîcheur, vie, émotivité et violence dramatique pour le 1er acte, affleurement de l’âme sans corps dans les épures du 2e, qui s’inscrivent comme des calligraphies dans l’espace scénique, voilà ce qui lui incombe. C’est Julie Charlet qui l’incarne, si l’on ose dire, tant son interprétation est transparente et fine. Silhouette rêvée par sa minceur et sa fragilité, un rien retenue peut-être, ce qui ôte de la densité à sa Scène de la folie. Des jambes parfaites pour tracer ses arabesques mais là aussi un resserrement au niveau des épaules qui limite le charme de ses envols au 2e acte. Mais une grâce dont on garde précieusement le souvenir. En alternance avec elle, une nouvelle venue au Ballet du Capitole, Natalia de Froberville, venue de Perm, propose une toute autre Giselle, face au pétulant et brillant Ramiro Golez Samon, lui aussi tout récemment adoubé premier soliste. Partenaire de Julie Charlet, fougueux et puissant plus encore qu’émouvant, le brillant Davit Galstyan, valeur sûre de la maison, est un Albrecht virtuose dont les sauts suscitent toujours l’enthousiasme.
Alors, une Giselle presque parfaite que cette reprise ? Hélas non et pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le ballet. Adam fut un grand compositeur, infiniment supérieur à Minkus ou Drigo, tâcherons de la chose dansée. Certes ce n’est pas Tchaïkovski, ni même Delibes, mais sa musique est d’une grâce expressive, d’une inventivité mélodique qui méritent qu’on leur fasse honneur. Quant à l’Orchestre du Capitole, inutile de revenir sur ses lauriers depuis que Michel Plasson en fit une formation de premier plan et que Tugan Sokhiev, avec son énergie fulgurante, l’a haussé à une envergure internationale, ce qui permet au Capitole d’être une formidable maison d’opéra. Mais où était donc cette prestigieuse escouade, le soir de la première de Giselle ? Sans doute pas dans la fosse, où un bon chef, Nathan Fifiel, tentait vaille que vaille d’obtenir l’impossible d’archets hésitants et de cuivres titubants ! Toute la finesse du travail de Kader Belarbi et de ses danseurs, tant de réflexion menée autour d’un chef d’œuvre patrimonial, tant d’engagement pour être desservi par ce médiocre niveau musical, voilà qui est préjudiciable au prestige de la maison. Dommage.
Jacqueline Thuilleux
Kader Belarbi -Adam : Giselle -Toulouse, Théâtre du Capitole, 19 octobre ; prochaines représentations : 22 et 24 octobre 2017/ www.theatreducapitole.fr
Julie Charlet : Giselle / Davit Galstyan : Albrecht / Aleksandra Surodeeva : Myrtha
Crédit photo : David Herrero
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