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Giselle revue par le Hamburg Ballet / John Neumeier - Angoissant - Compte rendu
Pour l’heure, revoici Giselle, titre majeur de l’héritage qu’il défend. Dans cet esprit de transmission de la tradition, mais proposé avec un regard acéré, Neumeier s’est toujours attaché à revisiter les chefs d’œuvre historiques, les mythes de la danse. De grandes histoires romantiques ont ainsi revécu, en premier son Illusions, comme le Lac des Cygnes, sans doute sa plus riche descente dans les affres de l’isolement créatif, mais aussi la Belle au Bois dormant, Cendrillon, Roméo et Juliette, transposés ou totalement réinventés. Ce Giselle que l’on vient de redécouvrir à Hambourg, où le public n’est sans doute pas coutumier de la version historique de 1842, due à Perrot et Coralli, tandis que les parisiens la revoient régulièrement à l’Opéra - il est vrai qu’elle est leur patrimoine propre- l’a poursuivi toute sa vie. Déjà, en 1983, il remontait le ballet sous le regard « sacré » de Galina Oulanova, immense interprète du rôle au Bolchoï.
Puis, en 2000, il s’adressait à Yannis Kokkos, l’un de ses complices, pour donner un coup de fouet à la version classique: au premier acte, il se rapprochait de la vision radicale de Mats Ek, en ouvrant sur un monde possédé par la folie, avec pour décor des dessins d’enfant explosés en tout sens, puis il projetait le deuxième acte dans une forêt macabre avec ses grands aplats noirs et gris, beaucoup plus inquiétante que les jolis arbres du bois traditionnel où flottent les willis. Ici, elles n’ont pas d’ailes, mais des brassards noirs emblèmes de mort, pour Myrtha et ses suivantes, et éclatent d’un énorme rire sardonique lorsqu’elles entraînent les mâles en une ronde infernale. Sortes de gracieuses Walkyries à rebours, menant les hommes vers les ténèbres. L’effet en est terrible et presque choquant, alors qu’on baigne dans la finesse de leurs aériennes arabesques.
Dans cette version reprise aujourd’hui avec de très légères modifications, Neumeier, fidèle à la lettre du ballet, en a certes gardé les passages clefs, pour lesquels il fut aidé en 2000 par Natalia Makarova, l’une de ballerines cultes, mais il a modifié de nombreux ensembles au premier acte surtout, pour élaguer les réjouissances paysannes, et resserré le drame autour de la mère de Giselle, aveugle, et cadrée par une gestique saccadée, dure, nordique comme dans son Peer Gynt. Finie toute forme de mièvrerie champêtre au premier acte, tout est sombre, encore plus sombre dans cette Giselle qui mène aux portes de la rédemption et du sacrifice, Giselle ô combien chrétienne. Sans être aussi foudroyante que sa version du Lac, sa relecture, à la fois fidèle et détournée, dérange et glace. On en sort profondément troublé, et l’on admire la souplesse avec laquelle le Ballet de Hambourg retrouve les bases les plus classiques du style français en y ajoutant une sorte de folie russe et une dureté nordique.
Même si les interprètes ne sont plus les interprètes historiques qui firent la gloire de la troupe, -tout au moins pour les solistes, car le corps de ballet est sans doute supérieur - on admire sans réserve la fine technique, le style et une sorte de fraîcheur pour Alexandr Trusch, en Loys : ce jeune Ukrainien est désormais l’une des plus belles figures de la compagnie. De même qu’on applaudit encore et toujours la présence impressionnante de Karsten Jung en Hilarion, et la grâce froide d’Anna Laudere en Myrtha. Il y a même une résurrection exquise, pour Bathilde: en voyant apparaître cette princesse-enfant, incarnée par l’adorable Emilie Mazon, on croit retrouver une des grandes vedettes de la troupe, Gigi Hyatt, l’une de ces menues figures que Neumeier a toujours mises en valeur, comme Elisabeth Maurin à Paris. Rien d’étonnant, il s’agit de sa fille !
Reste l’héroïne, la Roumaine Alina Cojocaru, pour laquelle Neumeier avait déjà conçu Liliom, rôle aux antipodes de la douce Giselle, et dont il admire la personnalité singulière. Désincarnée, plus éthérée qu’il n’est possible, bras fluides, lignes floues mais visage resserré, la ballerine déroute par une sorte de travail d’esquisse permanent, qui laisse sur une attente. On ne saurait rêver Sylphide ou Willi plus légère, victime plus touchante, mais on cherche une image à graver dans nos mémoires, et on ne la trouve pas. Il faut la prendre comme un souffle.
Redonné en mai –juin, Giselle partage l’affiche de la saison avec d’autres grands titres classiques, comme le superbe Casse-Noisette autrefois donné par le ballet de l’Opéra de Paris, l’opposition de Tatjana, dernière création de Neumeier en regard de l’historique Onegin de Cranko, et un Napoli, revu par Lloyds Riggins à partir de l’original de 1842. Le futur directeur adjoint tentera ainsi de donner sa marque au Ballet. Une marque toute académique puisque le danseur fut formé à Copenhague dans le temple de Bournonville, autre dieu ! Décidément le Ballet de Hambourg n’oublie rien.
Jacqueline Thuilleux
Hambourg, Opéra - 21 septembre 2014. Autres représentations, les 26, 27 septembre 2014, les 12, 14, 15, 17, 20, 21 mai et 10 juillet 2015. www.hamburgballett.de/d/index.htm
Photo © Holger Badekow
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