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Guerre et Paix de Prokofiev selon Calixto Bieito au Grand Théâtre de Genève – Rentrez en paix – Compte-rendu

 

Tonitruant début de saison au Grand Théâtre avec Guerre et Paix, le monstre lyrique de Prokofiev. Vingt-huit protagonistes, un chœur et un orchestre dignes d’un film d’Eisenstein, tout est démesuré dans cette lecture du roman non moins monstrueux de Tolstoï, adapté à grands coups de sabre par le compositeur lui-même. Adoubé à l’Opéra des Flandres par Aviel Chan, le nouveau directeur du Grand Théâtre, le jeune Alejo Pérez électrise l’exaltante partition où rutilent les cuivres de l’Orchestre de la Suisse romande. Les masses chorales emplissent avec bonheur l’espace sonore durant un final très Chœur de l’Armée Rouge.
 
On est conquis par l’aura christique du baryton Björn Bürger, dont l’André à quelque chose de Golaud. Le Pierre du ténor Daniel Johansson possède le métal et l’endurance aisée du grand wagnérien. La Natacha de Ruzan Mantashyan fait preuve d’une présence irradiante, tout comme ses aristocratiques acolytes, Lena Belkina  et Liene Kinca, respectivement Sonia et Maria. Mention particulière pour le cinglant Kouragine d’Ales Briscein, ténor caustique entre Loge et Hermann. Quant au Général Koutouzov de Dmitry Ulyanov, son monologue façon Philippe II, médiation schopenhauerienne sur le pouvoir remporte un succès mérité.
 
© Carole Parodi
 
La dernière fois que nous vîmes cette œuvre étonnante, ce fut à Bastille dans la mise en scène cinématographique de Francesca Zambello, en 2000. Calixto Bieito, en tant qu’ancien de La Fura dels Baus, ne pouvait se contenter d’une vision aussi littérale. Dans le décor d’un salon rococo moscovite, rouge, or et blanc, la foule aristocratique attend sous blister de naître au chant et à l’histoire. Excitante idée qui semble devoir faire sens. Hélas le Catalan peine à caractériser ses personnages, de sorte qu’il vaut mieux avoir potassé son Tolstoï pour discerner qui fait quoi sur le plateau surchargé de corps et d’artefacts incongrus. Les belles intentions du début de l’acte 1 se diluent.
 

© Carole Parodi

On se demande pourquoi ces dames ôtent leurs bas pour se les mettre sur la tête, à quoi rime la livraison de boîtes à pizza ainsi que le slip maculé du pauvre Platon. Sans même parler de la valse façon chorée de Huntington… Et le chœur guerrier devait-il être entonné par la même foule, cette fois en Versace et lunettes Sonia Rykiel ?
Soyons honnêtes, rien de tout cela ne nous aurait dérangé si l’on avait pu saisir le sens narratif d’une production qui pourtant ne manque pas de belles images, ce que le public a apprécié. On en devient d’autant plus impatient de voir ce que Dimitri Tcherniakov, présent dans la salle genevoise, fera très prochainement de cet opus qui réclame davantage de pertinence que de clinquant.
 
Vincent Borel

Prokofiev : Guerre et Paix – Genève, Grand Théâtre, 13 septembre ; prochaines représentations les 17, 21 et 24 septembre 2021 // www.gtg.ch/saison-21-22/guerre-et-paix/
 
Photo © Carole Parodi
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