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Guillaume Tourniaire dirige Les Aveugles à la Bastille
Présent en juin 2006 au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis pour la création de l’opéra de chambre Les Aveugles (une commande de l’Atelier Lyrique de l’Opéra), Guillaume Tourniaire retrouve l’ouvrage du Suisse Xavier Dayer les 27, 28 et 29 juin à l’Amphithéâtre Bastille. Directeur musical de l’Opéra d’Etat de Prague depuis la rentrée dernière, le chef français multiplie ses activités à l’étranger, jusqu’en Australie où il défend la musique française.
Concertclassic : Pouvez-vous dégagez en quelques mots les principales caractéristiques de l’ouvrage de Xavier Dayer ?
Guillaume Tourniaire : On a affaire à un opéra avec un livret atypique car il n’y a pas d’action, pas de mouvement. Ce sont des gens qui ne voient pas et ne bougent pas ; ces douze aveugles ont depuis longtemps perdu, pour une raison que l’on ne connaît pas, la personne qui les guidait et il s’agit d’une parabole sur un groupe qui a perdu ses références et son guide. La musique est très collective, le texte de Maeterlinck consiste en une communication entre des peurs, des espoirs, un mélange de choses très profondes et d’autres bien plus prosaïques. Il s’agit d’une sorte de madrigal pour douze chanteurs. On trouve parfois des solos, il y a trois aveugles en prière durant toute l’œuvre à côtés des neuf autres personnages – Maeterlinck a écrit sa pièce pour six hommes et six femmes. La partition de Xavier Dayer ne fait appel qu’à cinq instrumentistes (flûte(s), clarinette(s), percussion, guitare, violoncelle). Elle donne une grande lisibilité au texte et, hormis pour des effets de masse où la confusion est justement voulue par le compositeur, aide à comprendre la théâtralité de la pièce. La musique éclaire vraiment la dramaturgie. Les musiciens sont complètement imbriqués dans l’ensemble : on dirait en fait un immense madrigal à dix-sept voix.
Comment votre perception de l’ouvrage a-t-elle évolué depuis sa création au Festival de Saint-Denis il y a deux ans ?
Guillaume Tourniaire : Le fait d’avoir été familiarisé avec cette pièce aide à l’entendre mieux ; à être plus attentif à souligner la couleur d’un moment particulier. En reprenant la partition quelques semaines avant de commencer le travail avec les chanteurs, j’ai été surpris de constater à quel point la musique était restée en moi, comme si je l’avais dirigée le matin même, c’était impressionnant – c’est un signe de qualité. Les deux chanteurs et les quatre instrumentistes présents en 2006 partageaient d’ailleurs mon sentiment. Il est vrai que lors de la création nous avions beaucoup travaillé car il s’agit d’un ouvrage exigeant. Il est difficile de résumer sa structure en quelques mots ; disons qu’il est écrit en trois parties, toujours plus riches théâtralement. Deux chanteurs seulement sur les douze que l’on entend cette année ont participé à la création. Ca ne ressemble donc pas du tout à une reprise ; c’est une nouvelle équipe. Un travail énorme pour des voix pas encore aguerries à la musique contemporaine ! L’œuvre est très complexe à mémoriser car très collective, chaque chanteur est sollicité en permanence.
J’imagine que le chef de chœur que vous étiez au début de votre carrière (à la tête du Motet de Genève) se régale avec ce que vous décrivez comme un immense madrigal ?
Guillaume Tourniaire : J’adore en effet diriger cette œuvre car elle implique un vrai travail de couleur, d’ensemble, d’écoute. Elle possède aussi une grande vertu pédagogique et c’est à mon avis très courageux de la part de l’Atelier lyrique d’avoir passé une commande de cet acabit. On n’a pas essayé à simplifier la tâche des jeunes chanteurs ; Xavier Dayer est resté fidèle à l’écriture que l’on trouve dans des œuvres antérieures. Il y a deux ans nous avions eu des crises de larmes, de nerfs avec certains chanteurs qui, sans aucunement nier la qualité de l’écriture vocale, étaient confrontés à une partition très complexe qui demande à avoir les oreilles grandes ouvertes en permanence et bouscule les habitudes de chanteurs plus habitués à Verdi et Donizetti. Cette fois, j’ai trouvé l’équipe plus courageuse qu’il y a deux ans ; l’appréhension de travailler une partition nouvelle était moins prononcée.
Quelques mots pour conclure sur vos autres activités, à la tête de l’orchestre de l’Opéra d’Etat de Prague en particulier…
Guillaume Tourniaire : J’ai dirigé pour la première fois cet orchestre à l’occasion d’un festival en Italie, à Macerata. Le contact ayant été excellent, on ma ensuite proposé de venir diriger Candide de Bernstein à Prague en 2006, puis d’autres invitations ont suivi pour des reprises de productions de Mozart, de Puccini, etc. Le poste de directeur musical m’a été proposé il y a un an et demi et je l’occupe depuis la rentrée dernière. La saison qui s’achève a été marquée par plusieurs productions nouvelles, en particulier Le Vaisseau Fantôme. Pas plus tard qu’hier soir, au Festival de Litomysl, une manifestation importante pour la musique classique en République tchèque, je dirigeais Peer Gynt de Grieg avec une traduction tchèque du texte (1) Sur le plan discographique, je viens d’amorcer une collaboration avec Melba Records – le principal label australien. Nous avons beaucoup de projets avec différents orchestres. En septembre je ferai deux disques à Brisbane. La rentrée sera par ailleurs marquée par la sortie de deux CD Saint-Saëns réalisés avec l’Orchestre de Melbourne : l’opéra en un acte Hélène, qui avait eu un grand succès lors de sa création à Monte Carlo en 1904 - un ouvrage écrit pour Nelly Melba – mais que l’on a oublié et les Nuits persanes (sur des poèmes d’Armand Renaud), pour ténor, mezzo, chœur, récitant et grand orchestre ; un cycle de mélodies étonnant d’une quarantaine de minutes, en quatre parties comportant chacune une petite ouverture.(1)
Propos recueillis par Alain Cochard, le 23 juin 2008
(1) Guillaume Tourniaire a enregistré la musique de Grieg pour le label Aenon, avec Lambert Wilson en récitant et l’Orchestre de la Suisse Romande.
(2)Notez que Guillaume Tourniaire dirigera ces deux partitions de Saint-Saëns à Prague le 16 décembre prochain (info : http://www.ifp.cz/sf08/spip.php?article37)
Xavier Dayer : Les Aveugles Mise en scène : Marc Paquien Chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris Ensemble Cairn, dir. Guillaume Tourniaire Amphithéâtre Bastille Les 27, 28, 29 juin à 20h (durée du spectacle 1h20)
Photo : E. Mahoudeau/ Opéra national de Paris
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