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Hérodiade de Massenet en version de concert à l’Auditorium de Lyon – Pourquoi s’arrêter à trois ? – Compte-rendu
Grâce à l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Paris va enfin réentendre Hérodiade (1881), qui fut en son temps l’un des grands succès de Massenet, mais que la capitale ignore superbement depuis bien des années. Oh, certes, le livret est d’une insigne bêtise, qui s’approprie des personnages dont Flaubert et Oscar Wilde surent tirer tout autre chose, pour en faire les protagonistes d’un mélodrame avec reconnaissance finale du style « croix de ma mère », un de ces livrets comme on en écrivait quarante ans auparavant. Après tout, sur ce plan-là, Le Trouvère ne vaut pas mieux et cela ne l’empêche pas d’être constamment à l’affiche. Dès qu’on parle d’amour, l’inspiration de Massenet y atteint des sommets, et la première rencontre de Salomé et de Jean est aussi sensuelle que le duo de Saint-Sulpice.
Et puis Hérodiade, c’est aussi un magnifique péplum orientaliste : à défaut d’être le dernier des Trois Contes, c’est un peu Salammbô. Toutes ces composantes, Daniele Rustioni les met admirablement en évidence : dès l’ouverture, il irrigue la partition d’un dramatisme qui ne se démentira pas, et le premier acte est d’emblée plein de senteurs exotiques. Il y a bien quelques passages ronflants, quand Massenet joue à Meyerbeer, mais la vitalité et l’énergie que le chef met à diriger cet opéra fait passer ces presque trois heures comme une lettre à la poste, ballets inclus. C’est là qu’on s’écrie : après Werther en 2021, après la réussite de Manon en 2022, pourquoi arrêter ce cycle après trois versions de concert ? Il y aurait tant d’autres œuvres de Massenet à remettre sous le feu des projecteurs, Daniele Rustioni sent si bien et ranime si bien cette musique, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon l’interprète si bien, les chœurs de l’Opéra de Lyon, préparés par Benedict Kearns, livrent une prestation si magistrale, avec une clarté de diction superlative et des couleurs si belles, que l’on en conçoit forcément des regrets : que n’auraient-ils pas faits encore dans ce répertoire ?
D’autant que les chanteurs existent pour ces œuvres, et francophones, qui plus est. Sauf apparemment pour le rôle-titre, où l’on a fait appel à Ekaterina Semenchuk, jadis Didon des Troyens de Tcherniakov à Bastille. Le français de la mezzo biélorusse est plutôt bon, et l’artiste est capable de fort jolies choses dès que la partition exige la nuance piano. Hélas, dans le forte, Hérodiade devient ici une ogresse, ce qu’elle est sans doute en partie, mais si les décibels y sont, le style se perd. Quatre petits rôles sont assumés par des solistes du Lyon Opéra Studio : Giulia Scopelliti s’acquitte très correctement des quelques mesures de la jeune Babylonienne, le ténor Robert Lewis campe une puissante « voix dans le temple », Pete Thanapat prête au Grand-Prêtre une autorité enviable, et Paweł Trojak est un Vitellius percutant. En Phanuel, Nicolas Courjal peut moins qu’à l’ordinaire se réfugier dans le théâtre, et on se réjouit de l’entendre donner de la voix ; s’il pouvait se dispenser de quelques artifices superflus, notre bonheur serait complet. Jean-François Borras a exactement les moyens de Jean, avec le juste dosage de mysticisme enflammé et de vulnérabilité face à l’amour terrestre.
Voix chaude et pulpeuse, Nicole Car (photo) remporte en Salomé un succès mérité, par son investissement total dans ce personnage suprêmement massenétien. Etienne Dupuis, son époux à la ville, est en Hérode une leçon de chant de chaque instant, par le naturel stupéfiant avec lequel il déclame un texte qui semble lui venir spontanément, par la beauté d’un timbre sans lourdeur, et par les talents d’acteur avec lesquels il incarne un tétrarque à la fois manipulateur en politique et gouverné par le désir : on lui en voudrait presque de rendre aussi sympathique un personnage qui devrait sans doute l’être moins !
Souhaitons que le public parisien se déplace en foule pour venir saluer comme il se doit toute cette équipe lors de la deuxième exécution de concert d’Hérodiade, qui sera donnée ce 25 novembre au Théâtre des Champs-Elysées.
Laurent Bury
Photo © Yan Bleney
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