Ce n’est pas une, mais plusieurs facettes méconnues et même ignorées de l’art de Georges Delerue (1925-1992) qu’il nous a été donné de découvrir à l’occasion d’un concert à l’église Sainte-Marie des Batignolles de Paris.
Le compositeur, auteur de plus de 300 bandes originales pour le cinéma et oscarisé pour le film « I love you, je t'aime » a aussi écrit des œuvres plus savantes. Sous le titre « Hommage à la musique classique de Georges Delerue », le concert proposait un florilège de compositions rarement données. Et pourtant Georges Delerue aimait à dire qu’il était resté « fidèle à ses premières amours », c’est-à-dire à la musique de chambre, à l’opéra, à la mélodie et à la musique chorale.
Cette soirée a été riche de découvertes et de surprises. La première est venue de six mélodies pour voix et piano interprétées par la soprano Violaine Colain et le baryton Fabien Kantapareddy. Sur des textes de Clément Marot, Louise Labé, Alfred de Musset et Paul Eluard, Georges Delerue a écrit une musique qui n’est pas sans rappeler Gabriel Fauré et Reynaldo Hahn. C’est particulièrement vrai avec Tant que mes yeux (1955) et Chanson de Fortunio (1977). Dedans Paris (1956) s’apparente à la fois à une chanson réaliste des années 1930 et à une mélodie des troubadours. Saint-Alban, Un seul corps et Le baiser faisant appel quant à elles à une écriture harmonique plus complexe et à une ligne mélodique tourmentée.
© Thierry Geffrotin
Avec Vitrail (1979), sans doute l’œuvre la plus connue du programme, Georges Delerue montre à la fois sa grande maîtrise d’écriture pour les cuivres, un quintette en l’occurrence, et une diversité d’inspiration fort surprenante. Le deuxième mouvement, une fugue complexe à cinq voix, avec une coda donnant à entendre le sujet inversé, nous rappelle que le compositeur a reçu une solide formation au Conservatoire de Paris, notamment auprès de Darius Milhaud. Vitrail se termine par une éclatante fanfare d’inspiration renaissance. Beaucoup plus intime, Stances (1973) est une pièce sombre pour violoncelle et piano. Plusieurs pièces pour chœur étaient au programme de cette soirée. Le caractère élégiaque de Libera me (1991) et le souffle épique de Etranges étrangers (1989) et En allant avec le fleuve (1976) ont été mis en lumière par un fort bel ensemble réunissant trois chorales (La Chapelle du Prince de Conti, l’Ensemble Vocal Exavocem et l’Ensemble Vocal Pro Homine).
Le concert s’est terminé par des extraits de l’opéra Le chevalier de neige (1957) dont le livret a été écrit par Boris Vian, et Trois prières pour le temps de détresse (1983), un oratorio composé pour les Choralies de Vaison-la-romaine et dédié « à tous les peuples persécutés ». Deux grandes fresques impressionnantes ! Ardemment souhaitée par la fille ainée de Georges Delerue, elle-même membre d’ExaVocem, cette soirée a été portée de bout en bout par Marie-Christine Pannetier, dont la direction enthousiaste du chœur et de l’orchestre mêlait harmonieusement souplesse et précision. Finalement, en bis, le public, enchanté par toutes ces découvertes, était invité à chanter avec les artistes, solistes et chœur, Trois petites notes de musique. Un clin d’œil facétieux à l’autre Georges Delerue, le compositeur de musique de film.
Thierry Geffrotin
Paris, Eglise Sainte-Marie des Batignolles, 2 mars 2022
Photo © Thierry Geffrotin