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Hulda de César Franck en version de concert à Liège (reprise à Paris le 1er juin) – Saisissant opéra-cinéma – Compte-rendu
Quelle partition ; quelle découverte ! (1) Le public rassemblé dans la Salle Philharmonique de Liège ne s’est pas fait prier pour vite se lever de son siège et ovationner longuement la version de concert d’Hulda qui lui a été offerte sous la formidable baguette de Gergely Madaras. Ce temps fort du Bicentenaire César Franck de l’Orchestre Philharmonique de Liège était impatiemment attendu et marque l’aboutissement d’une fructueuse collaboration entre la phalange liégeoise (que Daniel Weissmann, directeur général, a considérablement revivifiée depuis son arrivée en 2015) et le Palazzetto Bru Zane. La famille PBZ vaudrait-il mieux dire dans la mesure où, en plus d’Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Centre de musique romantique française de Venise dont le rôle aura été essentiel dans la mise en œuvre du projet, Hulda conviait de nombreux chanteurs depuis longtemps fidèles au PBZ.
Quelques éléments historiques en premier lieu. Il est d’usage de décrire les dernières années de Franck comme l’apothéose de sa production instrumentale. Point de vue on ne peut plus fondé quand on voit se succéder en un court espace de temps des chefs-d'œuvre tels que le Quintette avec piano (1879), Les Djinns (1884), les Variations symphoniques (1885), le Prélude Choral et Fugue (1885), la Sonate pour violon et piano (1886) – la liste peut être prolongée jusqu’à 1890, l’année ultime. Géniale floraison, à l’orchestre comme en musique de chambre ou au piano, qui ne doit toutefois pas occulter le fait que la période en question fut aussi très occupée par l’opéra puisque l'élaboration d’Hulda s’inscrit entre 1879 et 1885. Œuvre d’un compositeur au sommet de son art donc, elle ne fut créée que de façon posthume (en version abrégée), en 1894 à l’Opéra de Monte-Carlo (2) ; celui de Paris, effrayé par la sanglante action de l’ouvrage, s’étant refusé à le monter.
Tiré du drame Hulda la boîteuse de Björnstjerne Björson, le livret de Charles Grandmougin n’est certes pas un monument littéraire, mais le puissant désir de vengeance qui anime l’héroïne d’un bout à l’autre constitue bien, lui, un ingrédient dramatique de premier ordre que Franck exploite avec un grande modernité dans la construction de sa partition (en quatre actes et un épilogue). Pas de temps mort dans Hulda, pas de bavardage, ni de délayage ; tout avance en permanence et s’enchaîne avec une rare efficacité dans une manière d’opéra-cinéma qui vous happe d’entrée de jeu avec un acte 1 d’à peine vingt minutes. Hulda y promet « ruine et mort à la race infâme » des Aslaks qui ont massacré des hommes de son clan. Les choses sont claires !
Gergely Madaras © Balasz Borocz
L’action de Hulda fait appel à quatorze rôles, mais deux protagonistes principaux se détachent : Hulda évidemment, personnage d’une puissance fascinante, et ... l’orchestre (souvent allié au chœur, essentiel lui aussi). Franck a médité et retenu la leçon de l’orchestre agissant de Wagner et, tout en présentant une écriture et une orchestration très personnelles, assigne une mission essentielle à la fosse. A Liège, version de concert oblige, l’orchestre occupe la scène : on ne peut mieux servir cette partition inconnue qu’en rendant visible l’art avec lequel le compositeur exploite les timbres instrumentaux, les allie avec une efficacité rare. Sous une baguette moins musicienne et intelligente que celle, exceptionnelle, de Gergely Madaras, le riche orchestre d’Hulda pourrait se faire épais ou pesant par moments. Tout en énergie, en clarté, la battue du jeune maestro hongrois laisse respirer la musique et montre l’incessant jaillissement d’idées de Franck (on craint souvent les musiques de ballet des ouvrages lyriques, celle d’Hulda se révèle de bout en bout admirable – on y voit les Variations symphoniques pointer le nez – et mériterait d’être exécutée isolément en concert).
Vrai sans faute, l’affiche d’Hulda est dominée par Jennifer Holloway (photo), artiste dont la prestation doit d’autant plus être saluée qu’elle était Elisabeth dans Tannhäuser à l’Opéra de Hambourg parallèlement à la préparation de l’ouvrage de Franck. Voix longue et très homogène, le soprano dramatique de l’artiste étatsunienne, mezzo à ses débuts, donne toute sa brûlante intensité au rôle jusqu’au suicide final avec, parmi les moments clés de la partition, le duo de l’acte 3, d’une ivresse tristanesque, au côté du viril et sensible Eiolf d’Edgaras Montvidas, qui trouve par ailleurs (à l’acte 2) l’occasion d’un bel échange avec la sensuelle Swanhilde de Judith van Wanroij.
Limité à l’acte 2 et au début du 3, le rôle de Gudrun (mère de Gudleik) prend ici une dimension inattendue, porté par l’art de Véronique Gens. On trouve beaucoup de « petits » rôles, très petits parfois même dans Hulda (ex. celui d'Halgerde où, en une phrase, Marie Gautrot parvient à montrer sa musicalité), mais par la qualité des voix rassemblées, chant et diction, l’attention que Madaras porte à l’ensemble des forces réunies et l’enthousiasme collectif qui anime le projet, chaque intervenant trouve sa place, aussi modeste soit-elle : Maris Karall, mère de Hulda pleine d’engagement, Mathieu Lécroart pour un Gudleik très noir sachant inspirer la haine des Aslaks à Hulda, Ludivine Gombert (Thordis), Christian Hemler (Aslak), Artavazd Sargsyan (Eyrick), François Rougier (Gunnard), Sebastien Droy (Eynar) et, enfin, deux beaux barytons-basses que l’on aimerait entendre dans des emplois plus consistants : Guilhem Worms (Thrond) et Matthieu Toulouse (Arne/Un Héraut).
On n’oubliera pas, enfin, de saluer le travail exemplaire de Thibaut Lenaerts à la tête du Chœur de Chambre de Namur, acteur majeur et toujours au plus haut niveau d’une Hulda que le théâtre des Champs-Elysées accueille le 1er juin prochain en ouverture du 9ème Festival Bru Zane Paris. Une soirée événement à ne surtout pas manquer !
Un enregistrement sortira courant 2023 pour ce qui constitue l’une des plus importantes redécouvertes lyriques proposées par le Palazzetto depuis sa création, si ce n’est la plus importante.
Alain Cochard
(1) Découverte certes pas totale pour ceux qui avaient eu accès à l’enregistrement, très insuffisant sur le plan vocal, paru chez Naxos. Le concert de Liège fait attendre avec d’autant plus d’impatience la sortie de la version du PBZ dans la collection « Opéra Français » l’an prochain.
(2) A propos de la création monégasque, le compte-rendu d’Alfred Bruneau : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-61-la-creation-de-hulda-de-cesar-franck-monte-carlo-en
Franck : Hulda (version de concert) – Liège, 15 mai 2022 ; reprise à Paris le 1er juin (Théâtre des Champs-Elysées) // www.theatrechampselysees.fr/saison-2021-2022/opera-en-concert-et-oratorio-1/hulda
Photo © Anthony Dehez
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