Journal

Ilyich Rivas dirige l’Orchestre national d’Île-de-France – Un chef à suivre – Compte-rendu

 

Qu’il s’agisse des chefs invités ou des solistes, il y a toujours des découvertes à faire à l’Orchestre national d’Île-de-France. Cette fois, c’est du côté de la baguette que la surprise est venue. Occupé par ses débuts à l’Opéra de Paris dans Elektra (qu’il dirige du 26 mai au 1er juin) (1), Case Scaglione a cédé la place pour le dernier concert de la saison de sa phalange à son collègue vénézuelo-américain Ilyich Rivas (photo). Premier concert parisien réussi pour ce tout jeune maestro (né en 1993) qui, dès l’âge de 16 ans, dirigeait l’Orchestre symphonique d’Atlanta et a réalisé l’essentiel de sa formation aux Etats-Unis (au Peabody Institut de Baltimore en particulier) et en Angleterre (où il était assistant au Philharmonique de Londres dès ses 18 ans). Ceux qui, du fait des origines de l’artiste, s’attendraient à une certaine exubérance vénézuelienne façon Sistema, ne pourront qu’être surpris par l’extrême sobriété de la gestuelle d’Ilyich Rivas. Mais quelle belle musicalité, quelle connaissance de la partition montre cet artiste attentif à chaque détail, à chaque pupitre.

Choix tout aussi original que la rare Symphonie n° 1 de Chostakovitch placée en fin de programme, le concert s’ouvre avec les méconnues cinq Etudes-Tableaux de Rachmaninov orchestrées par Respighi. La mer et les mouettes, La foire, Marche funèbre, Le chaperon rouge et le loup, Marche : les titres donnés par le compositeur italien (aux Opus 39/2, 33/4, 39/7, 39/6 et 39/9 respectivement) peuvent parfois faire un peu sourire. Qu’importe. L’art des timbres avec lequel il s’approprie les pièces pour piano du Russe émerveille. Une musique pleine d’images que Rivas restitue de la plus convaincante façon, autant à son aise dans l’onirique espace de La mer et les mouettes, que pour traduire la saveur populaire de La foire ou le relief dramatique du Chaperon rouge.
Puisse l’Ondif revenir vite à Respighi, et s’intéresser à une production d’œuvres originales qui ne se réduit pas, tant s’en faut !, aux Pins et aux Fontaines de Rome (2).

 

Jean-Paul Gasparian © Jean Baptiste Millot

Volet concertant de la soirée, le 1er Concerto de Liszt n’a plus besoin d’être présenté, parmi les chevaux de bataille préférés des virtuoses. Jean-Paul Gasparian en saisit les rênes et conduit la course avec une belle assurance, un propos direct et exempt de tape-à-l’œil, bien accordé au tempérament du chef. Avec les moyens dont il dispose, le soliste pourrait s’autoriser une petite graine de folie en plus, mais en l’état l’approche est bien préférable à la tonitruance auquel la partition peut prêter le flanc.

Née de la plume d’un Chostakovitch à peine sorti du Conservatoire de Leningrad, la Symphonie n° 1 en fa mineur (1924-1925), replacée dans la perspective des quinze symphonies, contient en gésine tout l’univers d’un des créateurs les plus singuliers du dernier siècle. Ilyich Rivas fait son miel de cette composition foisonnante, avec une netteté sans sécheresse, un sens parfait des transitions comme des ruptures. On est pris par la vie interne d’un tissu musical que le chef explore en sachant porter l’attention là où il faut, sans pour autant se laisser pour aller à des coups de zoom intempestifs. D’évidence tous les membres d’un Ondif en grande forme se prennent au plaisir d’une lecture vivante, intense et intelligente qui rallie légitimement les suffrages du public.

Après quelques mots dans un français parfait et en se gardant de la manière dégoulinante de certains lorsqu’ils abordent le sujet, le chef offre en bis la sobre Prière pour l’Ukraine de Valentin Silvestrov.

Encore deux dates pour découvrir Ilyich Rivas avec l’Ondif, le 19 mai au Perreux et le 20 à Créteil. On espère en tout cas le revoir très bientôt en France.
 

Alain Cochard

 

(1) bit.ly/3ww3LT6

(2) Les orchestres français ignorent le plus généralement Respighi ; ce n’est pas le cas de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège qui, poursuit avec succès (pour l’éditeur Bis) une intégrale de la musique symphonique (hors concertos) de l’Italien sous la baguette de l’excellent chef brésilien John Neschling. Cinq volumes sont déjà disponibles, le dernier sorti ( BIS-2350) comprend les cinq Etudes-Tableaux et des transcriptions de Bach.

Paris, Philharmonie, 13 mai ; prochains concerts les 17 ( Le Perreux-sur-Marne) et 18 mai (Créteil) 2022 // https://www.orchestre-ile.com/

  

 

Partager par emailImprimer

Derniers articles