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Inauguration du cycle « L’Univers de César Franck » au Palazzetto Bru Zane de Venise – Perles rares - Compte-rendu
Le Palazzetto Bru Zane est au rendez-vous du bicentenaire de la naissance de César Franck avec une riche programmation qui, outre des événements en Belgique (dont la recréation de l’opéra Hulda le 15 mai à Liège) puis dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane Paris en juin, propose sept concerts à Venise, répartis entre le 2 avril et le 27 mai. Essentiellement placé sous le signe de la musique de chambre (sans oublier la mélodie et le piano toutefois), le cycle que le PBZ réserve à la Sérénissime fait place à des ouvrages du musicien liégeois, mais aussi à ceux de contemporains et successeurs moins connus, en relation directe ou indirecte avec le « Pater seraphicus » et l’enseignement qu’il dispensa dans sa classe d’orgue – de facto classe de composition – du Conservatoire de Paris.
Une énergique partition de jeunesse
C’est vers le tout début de la carrière de Franck que se tourne le programme d’ouverture de la série avec le Trio concertant pour piano, violon et violoncelle op. 1 n° 1 (1840), premier d’un groupe de trois ouvrages « dédiés à sa Majesté Leopold 1er, Roi des Belges » qui valurent au jeune musicien de se faire repérer par Franz Liszt dès 1842. On le conçoit sans mal à en juger par l’énergie qui habite la partition ; un Franck d’avant Franck pourrait-on dire car le procédé d’écriture cyclique qui fera plus tard la réputation de l’artiste – et exercera l’influence que l’on sait – s’y manifeste déjà.
Introduit par des octaves staccato de la main gauche, le mouvement initial affirme d’emblée le rôle prééminent d’une partie de piano tenue ici par Frank Braley, professeur à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Il fait pour l’occasion équipe avec deux jeunes artistes en résidence dans cet établissement réputé : la violoniste danoise Anna Agafia Egholm et le violoncelliste américain Ari Evan. Point d'inutile hâte dans leur approche de l’Andante con moto introductif mais un discours au souffle large appuyé sur un clavier très présent qui n’écrase toutefois jamais les archets. La plénitude et la luminosité de ces derniers équilibrent parfaitement une partie de piano riche de puissantes rafales d’octaves et autres traits – qui rappellent quel époustouflant virtuose était le jeune César. Les trois instrumentistes ont fort à faire aussi dans le scherzo médian Allegro molto, auquel ils apportent le feu et le mordant requis, avant d’enchaîner sur l'ample final Allegro maestoso au cours duquel le lyrisme des cordes s’épanouit sur la mer démontée – et impeccablement maîtrisée par Braley ! – du piano.
La performance d’Ari Evan
On salue bien bas l’engagement des trois protagonistes et plus particulièrement celui d’Ari Evan. Le violoncelliste a en effet été victime d’un accident à l’index de la main gauche il a quelque temps et n’en a pas encore retrouvé l’usage. Il a toutefois tenu à honorer son engagement et a fait face à une partie qui n’a rien d’une promenade de santé en réinventant de bout en bout ses doigtés pour se passer de son doigt convalescent : une performance !
A propos des Trios op. 1 de Franck, signalons que les interprètes présents à Venise les ont enregistrés (en mars 2021) pour Fuga Libera dans le cadre d’une remarquable intégrale en 4 CD de la musique de chambre de Franck à paraître sous peu, fruit d’une collaboration entre la Chapelle Reine Elisabeth et le Palazzetto Bru Zane.(1)
Affronter en plus le Trio avec piano n° 1 de Cécile Chaminade initialement prévu n’eût pas été raisonnable pour le violoncelliste. Le programme a donc été modifié et s’ouvre sur deux compositions pour violon et piano : la Sonatine de Pauline Viardot et trois pièces de Lili Boulanger : Nocturne, Cortège et D’un matin de printemps. Le jeu intense et rayonnant d’Anna Agafia Egholm y témoigne d’un profond sens des caractères et d’un dialogue complice avec Frank Braley. De quoi donner toute leur saveur à ces petites perles rares de la musique française.
Ferveur et équilibre
Une autre perle rare, aux proportions impressionnantes celle-là, attend le public le lendemain, à quelques pas du Palazzetto, à la Scuola Grande San Giovanni Evangelista, où un concert du Quatuor Hanson et d’Ismaël Margain (photo) propose la Grande Fantaisie-Quintette pour piano et cordes de Rita Strohl (1865-1941), une absolue rareté que l’on découvre en compagnie d’une des réalisations majeures de Franck et de la musique de chambre française de la fin du XIXe siècle : le Quintette pour piano en fa mineur. Grâce au Palazzetto Bru Zane, qui a commencé en éditant la Grande Sonate dramatique pour violoncelle et piano « Titus et Bérénice » (que l’enregistrement d’Edgar Moreau et David Kadouch chez Erato a fait largement connaître), la compositrice lorientaise reprend enfin sa place dans le cours de l’histoire de la musique.
Il faut faire un peu durer le suspens avant la recréation de la Grande Fantaisie-Quintette ... Le fameux Quintette de Franck ouvre le programme : l’une des ces œuvres qui ne pardonnent rien ! Forte de l’impeccable préparation et de la parfaite entente des interprètes, l’interprétation se révèle aussi engagée que dénuée de lourdeur et d’opacité, d’un équilibre juste idéal entre les archets et un piano toujours richement timbré. Les deux mouvements extrêmes ne cèdent à aucune précipitation ; l’oreille est continûment prise par une vie intérieure et une noblesse admirables (merveilleux violon I d’Anton Hanson dans le Lento !). Réalisation quasi testamentaire (1879), le Quintette s’offre à nos oreilles avec une fraîcheur singulière, comme aimanté par l’œuvre de jeunesse qui lui succède.
L’inspiration d’une compositrice de 20 ans
Celle qui s’appelait encore Rita La Villette avait en effet à peine plus de vingt ans lorsqu’elle composa sa Grande Fantaisie-Quintette à la Trinité-sur-Mer en 1886 et l’on sait par l’autrice que la pièce fut « exécutée à Lorient par un groupe de professeurs et d’amateurs », avant de sombrer dans l’oubli. Bien injuste ! Après la Sonate «Titus et Bérénice », cette recréation confirme que le Palazzetto Bru Zane à mille fois raison d’explorer le « filon » Strohl, surtout quand des interprètes du calibre des Hanson et d’Ismaël Margain s’y investissent à ce degré. L’inspiration profuse d’un ouvrage en quatre volets (Moderato / Scherzo / Intermezzo / Thème et Variations) aurait pu en dérouter d’autres ; ceux-ci sont pleinement à la hauteur de l’enjeu. Ismaël Margain ne fait qu’une bouchée de la redoutable partie de piano et consacre toute son attention, toutes les nuances de sa vaste palette sonore, au dialogue avec les archets infiniment poètes et ardents des Hanson – quelle classe ! De la musique « que c’est vraiment la peine », a-t-on envie de s’exclamer en paraphrasant le bon Chabrier.
Dès le lendemain, les interprètes, nourris du succès de leur concert, étaient devant les micros pour enregistrer le Grande Fantaisie-Quintette. Elle prendra place dans le coffret Compositrices françaises (8 CD) que le PBZ publiera en février 2023. Une perle rare parmi bien d’autres : on brûle d’impatience !
Alain Cochard
(1)
Franck : Intégrale de la musique de chambre / Fuga Libera FUG 795, dist. Outhere (Enregistrements réalisés entre avril 2019 et janvier 2022) / outhere-music.com/en/albums/franck-complete-chamber-music
Venise, Palazzetto Bru Zane, Scuola Grande San Giovanni Evangelista, 2 et 3 avril 2022 / Le cycle « L’Univers de César Franck » se prolonge jusqu’au 27 mai à Venise : bru-zane.com/fr/ciclo/ciclo-luniverso-di-cesar-franck-1822-1890/#
Photo © Matteo De Fina
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