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Iphigenia en Tracia au Teatro de la Zarzuela de Madrid – José de Nebra en manière de grand classique – Compte-rendu
Comme devenu de règle, le Théâtre de la Zarzuela de Madrid réserve toujours une place judicieuse pour le répertoire lyrique baroque espagnol. Cette saison, c’est Iphigenia en Tracia qui retrouve les honneurs de la scène en nos temps modernes, depuis ces années jadis qui en 1747 ont suivi la création et le succès dans les théâtres madrilènes de cette zarzuela de José de Nebra (1702-1768) (1). La production répond aux attentes suscitées, bien que sous des auspices particuliers.
Car la restitution se place plutôt sur le terrain d’une relecture actuelle. Aussi bien sous le rapport de la mise en scène que de la transmission musicale. La conception scénique de Pablo Viar échappe ainsi à tout contexte historiciste, pour verser dans un esthétisme abstrait et dépouillé, très léché, et qui ne serait pas sans évoquer la touche d’un Robert Wilson. L’action se plante donc sur un plateau nu et sous des lumières crues, avec un fond de scène parsemé de tubes noirs ou de taches cramoisies (conçus par le peintre Frederic Amat), sur lequel se découpent les personnages vêtus de tenues allégoriques sans âge dans des gestes parcimonieux. Les événements qui mettent aux prises les acteurs du drame, celui mythologique d’Iphigénie confrontée à des oracles vengeurs, restent dès lors confinés dans la stature métaphorique. Plutôt séduisant ! Quand bien même cela nécessite d’être au fait d’un sujet que transcende une vision théâtrale allusive.
Maria Bayo (Iphigenia) © Javier del Real
D’autant que le principal ressort en est évacué : les dialogues parlés, inhérents à toute zarzuela (baroque ou non), ici remplacés par de brefs textes de liaison en voix off sonorisée. Ce qui constituerait l’option la plus contestable de cette production. On conçoit que l’on puisse écourter ces dialogues, en raison de leur longueur ou de la difficulté supplémentaire que présente leur déclamation pour les chanteurs… Mais les trancher entièrement revient à dénaturer la structure même de la pièce, sinon son mouvement et sa nature. S’agissant avant tout de théâtre, conforme certes aux conventions du baroque, et non d’une suite d’arias façon mélodrame (cher à Benda et au prochain Sturm und Drang).
Côté musical, il semblerait que l’approche soit du même ordre. Puisqu’il est fait appel à l’orchestre titulaire du théâtre, plus coutumier du répertoire des XIXe et XXe siècles. A contrario d’autres productions baroques en cette maison, comme le diptyque Durón vu la saison passée avec la Cappella Mediterranea de García Alarcón (2) ou Viento es la dicha de Amor, de ce même Nebra, donné en 2013 avec l’excellent Orchestre baroque de Séville. À la quarantaine d’instrumentistes d’une traditionnelle formation « Mozart », s’ajoutent toutefois un continuo, avec violoncelle et clavecin, ainsi que des vents naturels, de style tout à fait d’époque. Une manière de traiter Nebra comme un classique, comme on traite Mozart. Pourquoi pas ?... Surtout que la direction vive de Francesc Prat sait retrouver les accents emportés qui innervent une splendide partition, dont la géniale exubérance revient à des solistes qui la défendent sans compter. Les mérites de María Bayo (photo) ne sont plus à chanter, qui campe le rôle-titre avec l’autorité vocale qu’on lui connaît. Mais Auxiliadora Toledano, Ruth González, Erika Escribá-Astaburuaga et Lidia Vinyes-Curtis, elles aussi rompues au chant baroque, lui donnent fière réplique. Parmi une distribution entièrement féminine, comme de juste pour la zarzuela baroque, et des plus justement choisie.
Pierre-René Serna
(1) Voir : www.concertclassic.com/article/jose-de-nebra-1702-1768-lage-dor-de-la-zarzuela-baroque
(2) Voir notre compte-rendu : www.concertclassic.com/article/spectacle-sebastian-duron-au-teatro-de-la-zarzuela-de-madrid-double-gagnant-compte-rendu
De Nebra : Iphigenia en Tracia - Madrid, Teatro de la Zarzuela, 19 novembre ; prochaines représentations 25 et 27 novembre 2016 / teatrodelazarzuela.mcu.es/es/temporada/lirica-2016-2017/iphigenia-en-tracia-2016-2017
Photo (Maria Bayo) © Javier del Real
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