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"Je raisonne toujours d’un point de vue dramatique" - Une interview de Robert Carsen, metteur en scène

Robert Carsen

Robert Carsen compte parmi les plus célèbres et des plus talentueux metteurs en scène d’opéra de notre époque. Concertclassic l’a rencontré à l’occasion de la reprise de Richard III au Grand Théâtre de Genève. L’artiste canadien revient sur sa mise en scène de l’ouvrage de Giorgio Battistelli et sur celle du Don Giovanni présenté en ouverture de la saison de la Scala, et dévoile ses projets à Genève et à Paris.

Comment vous est venue l'idée d'une arène de sable rouge pour Richard III ?

Robert CARSEN : Très vite, j'ai eu cette vision d'une arène macabre. Il y a tellement de sang versé dans cette histoire ! Elle faisait sens aussi pour moi. Elle était à la fois le lieu de l'enterrement, du temps qui passe et bien évidemment du sang qui coule.

Elle sert aussi d'agora politique ou de bac à sable pour la dimension enfantine du personnage...

R.C. : Oui, c'est ce que je voulais. Elle permettait de faire des châteaux de sable et d'utiliser des brouettes, d'inscrire l'action dans quelque chose de trivial, de très concret.

Vous évoquez le fait d'avoir eu la « vision » de cette arène macabre. Vos mises en scène s'appuient souvent sur une image fondatrice : l'arène sanglante ici, l'eau dans Katia Kabanova ou la peinture dans Tannhäuser. L'inspiration visuelle est-elle pour vous fondamentale ?

R.C. : Avoir un imaginaire symbolique est très important à l'opéra, mais ce qui est encore plus important, c'est qu'il fonctionne sur plusieurs niveaux, et notamment du point de vue dramatique. Il faut pouvoir créer des résonances en permanence, que ce soit entre la musique et ce qui se passe sur scène bien sûr, mais aussi dans le temps avec une scène qui fasse écho à une autre. L'utilisation de l'eau dans Katia par exemple était pour moi évidente. Il s'agissait bien évidemment de figurer la Volga dont il est question pendant tout l'ouvrage mais aussi la continuité de la vie.

La lecture d'un opéra dans son contexte, son époque ou son processus de création, est-elle plus importante que le livret lui-même ?

R.C. : Ça dépend. Certains opéras peuvent rester très ancrés dans leur action. Pour Don Giovanni par exemple, l'oeuvre ne peut évidemment pas se résumer à ce qui se passe sur scène. Don Giovanni n'est surtout pas l'histoire d'un homme qui veut coucher avec trois femmes et qui n'y parvient pas !

Richard III comme Don Giovanni refusent les limites. Vous avez une tendresse particulière pour les personnages amoraux ?

R.C. : Plus pour Don Giovanni ! Richard III est très différent. Il est habité par un défi impossible. Son seul but est d'être roi. Il n'a aucun projet. Il profite simplement du fait que les autres autour de lui sont plus stupides que lui, mais c'est un personnage beaucoup plus négatif. Il devient même un peu pitoyable. Alors que Don Giovanni est pour moi un mythe positif.

Il a souvent été montré récemment comme un « dissoluto punito », un objet de la vengeance des femmes. Votre mise en scène se veut-elle à l'inverse un hommage à sa liberté d'esprit ?

R.C. : Oui, je voulais recentrer l'opéra autour de son héros. Tout l'ouvrage est bâti autour de lui. Mais ce n'est pas un Méphistophélès ! Il est très généreux, il n'arrête pas de donner autour de lui et je pense qu'il est tout à fait sincère. Ce sont les autres personnages qui ont un problème avec lui et sont assez hypocrites. Lui agit comme un miroir magique, il les aide à se libérer pour accomplir leurs désirs les plus secrets.

Vous le faites revenir à la fin en fumant nonchalamment pendant que les autres sombrent en enfer ! Pourquoi ?

R.C. : C'est un mythe, donc je ne pouvais pas le faire mourir, puni par les autres. C'est lui qui mène le bal. Il revient parce qu'il revient toujours, ne serait-ce qu'à la prochaine représentation ! (rires)

Vous avez réalisé quelques mises en scène pour le théâtre. Faites-vous vivre un plateau de la même façon au théâtre qu'à l'opéra ?

R.C. : Ce n'est pas si différent que cela. Il y a simplement plus de contraintes à l'opéra, d'abord parce que les chanteurs ne chantent pas forcément le texte de leur personnage. Ensuite, parce que du fait que tout est chanté, il faut trouver du temps à l'intérieur du temps de la musique. C'est ce qui s'est passé par exemple pour Richard III. J'ai aménagé nombre de scènes uniquement à partir de ce qui se passait dans la musique. Si j'avais à monter un Richard III au théâtre, il serait sans doute radicalement différent !

Les hommes autour de Richard III sont tous habillés d'un même costume très chic. L'esthétique est-elle pour vous fondamentale ?

R.C. : Non ! Ils sont habillés comme on peut l'être à la City. Je voulais simplement montrer que tout le monde peut devenir Richard III. Il peut être n'importe qui. Mais je ne pense jamais à l'esthétique. Je n'aime pas les choses esthétisantes. Je raisonne toujours d'un point de vue dramatique.

Où en est la création autour de Rousseau que vous allez monter à Genève à la rentrée ?

R.C. : La musique de Philippe Fénelon est écrite, et nous commencerons les répétitions en août. Il n’est évidemment pas question d'un ouvrage biographique, ce serait beaucoup trop fastidieux ! Il s'agit plutôt de faire la fête à Rousseau en saluant les différents aspects de son œuvre très riche, comme l'invention de la notation numérique et évidemment, la musique. Celle de Fénelon s'inspirera largement du Devin du village. Un baryton incarnera Rousseau jeune, un ténor Rousseau adulte.

Vous aviez monté une Elektra extraordinaire à Florence avec Seiji Osawa, jamais reprise depuis. Ne regrettez-vous pas parfois la dimension éphémère des productions d'opéra ?

R.C. : C'est amusant que vous m'en parliez car j'ai justement rendez-vous pour l'inscrire au répertoire de l'Opéra de Paris ! Elle devrait être reprise durant la saison 2013-14. Mais globalement, ça ne me gêne pas que les productions soient éphémères. C'est un bel entraînement pour la vie ! La vie n'est pas une répétition. Ça oblige à en prendre grand soin. D'autant que j'ai la chance, comme avec Katia Kabanova ou Richard III qui a été joué dans quatre pays, que mes productions soient souvent reprises.

Propos recueillis par Luc Hernandez, le 1er février 2012

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Photo : DR
 

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