Journal
Jean-François Verdier dirige l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté – Du souffle et du rêve – Compte-rendu
La création mondiale de la Symphonie de Charlotte Sohy, sous la baguette de Debora Waldman (1), en juin 2019 avait permis de juger des grands progrès effectués par l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté depuis que Jean-François Verdier (photo) en a pris les rênes en 2010. A la rentrée passée – Concertclassic reviendra prochainement de façon détaillée sur ces évolutions – l’OVHFC a franchi une étape importante avec la création de 30 postes permanents en son sein. Rien de tel pour stimuler le moral d’une formation que l’on retrouvait pour une soirée intitulée « Légendes et féeries », dirigée par J.-F. Verdier, avec Rémi Geniet et le Quintette Le Bateau Ivre à ses côtés
Florent Nagel © B. Song
Un quintette en soliste ? Tel était en effet la particularité d’un programme qui s’ouvrait par la première mondiale des Chants du rêve pour quintette (flûte, harpe et trio d’archets) et orchestre de Florent Nagel (né en 1979). Deux ans après la version orchestrale d’Alice au pays des merveilles (ouvrage de 2012 pour récitant et piano à quatre mains), Florent Nagel aborde une nouvelle fois les rivages du rêve avec une composition (d’environ 25 minutes et d’un seul tenant) que l'on découvre avec d’autant plus de curiosité qu’il s’agit de la première composition jamais destinée à cet effectif. Le Bateau Ivre (talentueux jeune ensemble constitué de Séréna Manganas, violon ; Valentin Chiapello, alto ; Kévin Bourdat, violoncelle, Samuel Casale, flûte et Jean-Baptiste Haye, harpe), à l’origine de la commande passée à Florent Nagel, peut se targuer d’avoir contribué la naissance d’une partition aussi séduisante qu’inclassable.
Le Bateau Ivre © Concertclassic
Tout à la fois concerto, symphonie concertante et symphonie, les Chants du rêve révèlent un bel art de coloriste mis au service d’une écriture aussi mobile que variée. Mobilité des climats, variété des textures ; d’évidence, le compositeur récolte les fruits du travail d’orchestration mené sur Alice au pays des merveilles. Du quintette, il sait exploiter tout l’éventail des combinaisons instrumentales, jouant de la couleur particulière introduite par la flûte et la harpe, sans en abuser, gâtant aussi les trois archets, ce en un dialogue très libre – avec de fluides transitions et parfois des ruptures plus inattendues, à l’image d’un rêve – avec un orchestre dont le souffle happe parfois l’ensemble soliste dans de grandes envolées, parfaitement maîtrisées toutefois sous la battue très souple de J.-F. Verdier.
Rémi Geniet et Jean-François Verdier © Concertclassic
Chaleureusement accueillie par le public bisontin, la pièce de F. Nagel est suivie par une œuvre, importante ô combien ! pour Le Bateau Ivre : le Quintette pour flûte, harpe et cordes de Jean Cras. C’est en effet autour de cette composition qu’en 2015 les jeunes instrumentistes décidèrent de se constituer en formation. Atypique certes, mais qui n’est possède pas moins un répertoire vaste et méconnu, suscité entre 1924 et les années 50 par le Quintette instrumental de Paris (du harpiste Pierre Jamet). Le Quintette du musicien breton, composé en 1928 (exactement contemporain donc de Journal de bord, son chef-d’œuvre symphonique), s’inscrit parmi ses plus belles réalisations et, bien éloigné du néo-classicisme parfois convenu de son époque, exhale une effusive poésie.
Le Bateau Ivre joue de mémoire et fait totalement corps avec la musique. La sveltesse de la ligne et le dynamisme de l’échange entre les instruments dans le Assez animé initial montrent des interprètes au cœur de leur sujet. Impalpable et mouvant tel un ballet de nuages, le Animé révèle un parfait art de la demi-teinte. On ne le savoure pas moins au cours du Assez lent , « chant du rêve » à sa manière, que les interprètes distillent avec tact, avant que ne surgisse, miroitant, heureux et impatient, le final Très animé – ici, il est permis d’imaginer le capitaine Cras à bord du La Provence filant vers Brest de retour de contrées lointaines ... Public conquis par ce qui était, pour la plupart des auditeurs, une complète découverte et 1er Mouvement du Quintette de Villa-Lobos en bis, pas moins réussi. Le Bateau Ivre : une formation à suivre de près !
© Concertclassic
A Maurice Ravel revient toute la seconde partie de la soirée. Plein de rebond et de saveur harmonique, le Menuet antique précède le Concerto pour la main gauche par Rémi Geniet. L’interprète signe conception aussi dominée qu’originale. A l’exacerbation du propos, si souvent de mise dans cette œuvre, Geniet préfère une conception autre ; il y instille du mystère, du vertige et parvient à un résultat singulier et profondément troublant, avec le renfort d’un chef et de musiciens idéalement complices.
Un autre beau défi les attend en conclusion avec la 2ème Suite de Daphnis et Chloé, que le chef emporte avec une sensualité admirable. Quel engagement de la part d’une formation considérablement rajeunie (sa plus jeune membre, clarinettiste Anaïde Apelian, n’a que 19 ans !), quelle envie collective : Jean-François Verdier la canalise dans une interprétation solaire et vibrante (bravo à la flûte de Thomas Saulet !) ; véritable chorégraphie de timbres. Admirable !
Alain Cochard
20 février 2020, Kursaal, Besançon // www.ovhfc.com/
Photo © DR
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